Mon Combat: l'ecueil du Nationalisme

Comprendre l'extremisme nationaliste

Dans les années 1990, Mike Goodwin découvre une remarquable régularité sociale. Il énonce sa règle éponyme, selon laquelle une discussion politique sur internet finit toujours par une comparaison indignée au Nazisme. 

Le Nazisme est un spectre omniprésent dans le discours politique Européen. Les démocraties promettent de ne "jamais plus" retomber dans les erreurs de l'époque. Si les adultes qui ont vécu dans les années 30 pouvaient comprendre les mouvements nationalistes, savoir les reconnaitre, la promesse "de ne jamais oublier" est devenue vide de sens pour ceux en Europe qui pour des raisons de censure n'ont jamais eu accès a ces théories qu'ils sont censes abhorrer. 

Il est difficile de comprendre des auteurs comme Popper, Hayek, Burnham, Hoffer ou Habermas sans savoir ce que Hitler, Staline et Mao ont écrit. Nous revoyons ici Mon Combat, le manifeste du mouvement Hitlérien qui a la distinction d'être un mouvenent populiste de "vrais croyants" nationalistes alors que tous les autres sont communistes ou fanatiques religieux. 

Mon Combat est un livre autobiographique et un manifeste écrit en prison en 1924. Il s'agit d'un document historique exceptionnel qui, s'il n'est pas disponible en Europe, peut se trouver en traduction anglaise sur le site Gutenberg Australien.

Formation du personnage

Il est instructif de lire comment le personnage se perçoit et décrit son évolution:
  • Il s'est intéressé à la peinture dès son enfance. Son père qui était fonctionnaire voulait le forcer à devenir fonctionnaire, il a volontairement saboté ses études.
  • Le décès de son père, puis rapidement de sa mère lorsqu'il a 18 ans, lui a permis de se consacrer à l'art. Il va à Vienne et s'intéresse alors à l'architecture.
  • À Vienne, il n'est pas accepté à l'école de peinture qu'il espérait rejoindre, leur ayant dit son fort intérêt pour l'architecture. Il ne peut pas non plus être accepté a l'école d'architecture, ayant volontairement saboté ses études secondaires pour ne pas devenir fonctionaire.
  • Il a de très grandes difficultés à trouver un travail et un salaire satisfaisant. Il côtoie des milieux populaires les plus miséreux et remarque des activités syndicales qui lui semblent néfastes à la société. C'est sa période de Lumpenproletariat.
  • Au bout de deux ans, il arrive à recevoir un salaire satisfaisant, qu'il emploie en grande partie pour aller à l'opéra voir le cycle entier des Niebelung de Wagner. 
  • Il a beaucoup de temps libre qu'il emploie à lire les journaux. Il pense que l'empire Austro-Hongrois est en phase de déclin et qu'un renouveau nationaliste germanique est necessaire. Il pense que les journalistes de la presse de haute qualité qui peuvent paraitre plus nuancés ou neutres minent l'unité nationale. Il remarque qu'ils sont juifs, tout comme les meneurs de syndicats.
  • Il se dit tolérant religieusement, puisqu'il accepte protestant comme catholiques, mais il pense que le judaïsme n'est pas une religion, mais une race qui se dissimule comme religion. Pour lui, l'impardonnable, c'est que les juifs ne sont en fait pas vraiment allemands. Le nationalisme est chez lui une valeur fondamentale dès sa jeunesse.
Aquarelle en 1909: credit: wikicommons

En dépit de cette jeunesse difficile, l'ouvrage est écrit dans une prose élaborée, avec des allusions littéraires classique à la mythologie grecque et au Faust de Goethe. Le niveau de connaissances politiques et littéraires et la facilite d'expression est remarquable, similaire au niveau de Walter Lippmann et d'un niveau comparable sinon supérieur à beaucoup de chefs d'États modernes.

Opinions

  • Le journalisme encadre la vision du monde, les journaux élitistes prétendent être neutres et nuancés, mais ont souvent un agenda dissimulé alors que la presse populaire est plus directe.
  • Les parlementaires sont comparés à des chenilles parasites qui engraissent dans les coulisses du pouvoir dans la corruption et l'absence de responsabilités pendant les quatre ans de leur mandat, puis la chenille devient papillon le temps d'une campagne électorale. Ils n'ont aucune conviction et changeront leur programme au gres du vent pour conserver leur mandat.
  • Les universitaires cultivés lisent beaucoup, mais n’intègrent pas la connaissance. La lecture doit s'accompagner d'une réflexion qui intègre la connaissance pour informer la vision du monde du lecteur.
  • Les partis nationalistes allemands ne savaient pas entrainer les foules, les partis socialistes sont des partis de l'étranger et le grand capital financiarisé travaillait à saper l'économie Allemande..
  • La religion est un moyen de garantir le capital social et une institution fondamentale de la civilisation.
  • L'architecture des villes modernes a été défigurée par la révolution industrielle. Avant cela, les villes Allemandes les plus grandes avaient 50,000 habitants, et avaient de beaux monuments construits par la noblesse. La croissance rapide a entrainé une baisse de la qualité des logements et un manque d'architecture monumentale. Le prolétariat est en ville pour survivre et ne se soucie pas de son cadre de vie.
  • Les Alliances de l'Allemagne avant 1914 garantissaient une défaite stratégique. Il fallait soit s'allier avec la Russie ou avec l'Angleterre ? S'allier avec des Empires vus comme malades comme l'Autriche et pire encore, l'empire Ottomans et rendait la guerre plus attrayante encore pour les ennemis potentiels que si l'Allemagne n'avait eu aucune alliances, vu les prospectives de découpe de ces deux États multinationaux.
  • Vigueur démographique, natalité et sélection : une forte natalité par rapport aux ressources disponibles est nécessaire pour que s'opère une sélection naturelle. 
  • La syphilis et de la tuberculose ne peuvent pas être traitées efficacement par la médecine (c'est ecrit avant la commercialisation des antibiotiques). Il faut des solutions sociales et politiques totalitaires pour la salubrité publique. Par eugénisme, il suggère, l'internement ou la stérilisation forcée de toutes les personnes présentant des traits non désirables
  • Il y a trois sortes de lecteurs de journaux : (1) ceux qui croient tout ce qui est écrit, et ce sont les plus nombreux, de loin, (2) un fort groupe de complotistes, qui ne croient plus en rien, et ne sont plus très utiles socialement, (3) une petite élite qui sait se former sa propre opinion.
  • Guerre : l'auteur ressent un profond sentiment de gratitude qu'un régiment bavarois accepte son enrôlement volontaire. Il pense que beaucoup se sentaient soulagés par la déclaration de guerre.
  • Il accepte les combats avec patience, une attaque au gaz le rend aveugle et il constate que le front est plus motivé que l'arriere. Il revit avec nostalgie les quatre ans de guerre de tranchée. Convaincu que l'Allemagne pouvait gagner la guerre jusqu'à la grève de 1918, qu'il voit comme une trahison de l'arriere.
On retrouve dans ces écrits certains éléments fondamentaux décrits par Fukuyama sur la légitimation de l'ordre politique et le role de la religion, par Walter Lippmann sur l'opinion publique, par Graham Wallas sur la nature humaine en politique, par Burnham sur les élites, par Shaw et Wong sur l'identité et l'exclusion, par Mancur Olson sur la passivité des foules et le problème d'action collective.

Création du parti

  • Après "6 ans de guerre", le persiflage ou la haine en politique le gène moins que les shrapnels d'un obus de 300mm. Le leader d'un mouvement politique ne doit pas rechigner à être haï, c'est la preuve qu'il fait des choix difficiles.
  • Il rencontre six autres membres d'un parti préexistant, lors d'une présentation par un économiste conspirationniste (complot bolchevique et capitaliste international de la finance mondialisée).
  • Rapidement, il démontre des qualités exceptionnelles d'orateur : peut gagner une audience de 2000 personnes en quelques heures.
  • Selon lui, peu d'homme ont des talents d'orateurs qui pourraient intéresser une salle, mais encore un seul sur mille serait capable de motiver et d'émouvoir des intellectuels, des petits artisans et des ouvriers lors du même discours.
  • Concentration exceptionnelle sur les points importants : donner au peuple un message simple pour les mobiliser efficacement
  • Les intellectuels sont subordonnés au peuple, la propagande doit donner un message simple, une solution simple, et la répéter inlassablement.
  • Il va chercher les communistes pour les rallier à son parti, le processus de recrutement et de "conversion" sont importants. Il y a un fort risque de violence physique, et il doit organiser un comite de gros bras pour intimider les intimidateurs.
  • Les communistes, socialistes et syndicats utilisent la bêtise du peuple pour le guider vers une solution qui ne va nulle part. Ils utilisent l'intimidation et la violence pour faire taire leur opposition, c'est là que d'avoir été exposé à la guerre permet une opposition directe.
  • La masse est essentielle aux partis modernes et la nouveauté de son parti est de mobiliser le nationalisme pour combattre les socialistes et communistes qui jusque là étaient les seuls partis de masse.
  • Trois modèles politiques de l'État : 1) État comme contrat social volontaire, 2) État comme instrument de maintien de la paix et du statu quo, 3) État comme un moyen vers un objectif national. Le premier modèle n'intéresse que les philosophes et sociologue qui entendent légitimer l'ordre établi, le deuxième correspond aux pragmatiques, mais l'État moderne conduit à la Démocratie et cette dernière n'est souvent que l'antichambre du marxisme, le troisième correspond au parti proposé.
Par dela son talent d'orateurs, son écriture lyrique, et son nationalisme, il invoque une vision complotiste hallucinant une source volontaire néfaste et unifiée contre l'Allemagne. Le capitalisme international financiarisé des Américains et le bolchévisme se joignent selon lui en un seul complot contre la race de son peuple. 

La Weltanshauung construite n'est cependant pas un retour a ce qu'Auguste Comte appelerait la phase animiste de la pensée de personnification de l'Adversaire halluciné. S'il identifie rationellement des mécanismes d'incitations et de récompenses qui expliquerait divers complots, il explique que le message donné au peuple doit etre simple. Il faut donc présenter un seul enemi. Ce "complot judéo-bolchévique du capitalisme financiarisé international" donne a l'orateur une solution "toute-en-un", et lui permet de simplifier le discours pour la foule.

Il s'agit de créer une armée moderne la plus efficace. Le romantisme et les traditionalisme sont reconnus comme utiles à la constitution d'un mythe et d'une identité. Il se moque des traditionalistes allemands qui veulent se battre à l'épée par romantisme. il veut être aussi scientifique que l'Eglise Catholique dans sa conduite de la propagande.

Le parti ne s'intéressait pas à avoir une représentation juste de la réalité car il concentrait sciement tout ses efforts et toute sa rationalité pour mettre au point sa stratégie de campagne et de propagande dans la construction d'une symbolique nationaliste, d'un combat et d'un adversaire qui puisse unifier et mobiliser les masse.

Conclusions concernant les années 20

  • Hitler était un orateur exceptionnel. Il a grandi comme un orphelin et sait comment pense le peuple. La défaite de 1918 lui permet la conversion des masses et l'intimidation des bourgeois.
  • Le mouvement national socialiste correspond à ce qu'Eric Hoffer appelle un parti de "vrai croyant". Le parti repose sur la "conversion" d'idéalistes religieux, communistes, ou nationalistes qui recherchent un mouvement pour dépasser leurs insuffisances et trouver une rédemption.
  • Si la question juive semble être posée de manière curieuse au début : un juif peut-il être allemand ? Le ton devient pathologiquement antisémite, cherchant à déshumaniser les juifs en les présentant comme differents insectes parasites ou des bacilles nocifs sécrétant des toxines. Il explique que seuls des auteurs non-juifs sont capables de comprendre la religion juive, et que les juifs sont incapables de l'analyser en profondeur ou de la comprendre réellement.
  • La question économique est comprise comme un jeu à somme nulle. Il s'intéresse plus à des questions de culture, de conquêtes militaires, et de projets grandioses et rédempteurs. Comme l'expliquait Titus Gebel dans son livre sur les cités libres, les petits entités politiques doivent se concentrer sur le problème concret de la gestion des affaires de la cité. Les grandes Etats se font détourner par des grands orateurs qui séduisent les masses avec des projets impossibles.
  • De nombreux points présents chez Hitler le sont aussi chez Walter Lippmann, sa critique de la démocratie est fondée sur les memes points qui poussent ce dernier à suggérer un developement administratif fédéral. Les remèdes suggerés par Hitler sont toujours l'Etat totalitaire, ainsi, pour combattre la syphilis, il faut l'Etat total.
  • Le parti n'obtient pas le pouvoir en 1924, il faudra la grande dépression de 1929 pour ranimer ce mouvement. Tout comme le communisme, ce mouvement a toujours été très controversé. Il a conquis le pouvoir sans jamais obtenir la majorité. La technique utilisée pour faire taire l'opposition était l'intimidation et la violence.
  • Si le communisme joue sur l'envie et présente un biais de désirabilité sociale inclusif avec un projet de justice qui s'oppose à la nature en voulant compenser toute inégalité, le national socialisme embrace le darwinisme et propose un communautarisme fondé sur l'exclusion.
  • Le parti est réactionnaire en ce qu'il réagit à l'internationalisme socialiste et communiste, mais il se veut moderne et non conservateur. Il veut utiliser les outils du populisme pour définir un projet de société total, qui selon lui peut seul mettre en echec le socialisme de manière durable. La démocratie est selon lui instable à cause du problème d'action collective. 
  • Ce parti est à la fois un antidote contre le communisme, et l'adaptation opportuniste par des politiciens populistes de ses méthodes de propagandes de masses à une nouvelle realité politique : le pacifisme des socialistes Jaures et Haase et l'espoir d'une greve générale se sont avérés moins populaire que le nationalisme belliciste.
  • Le pivot populiste de l'internationalisme syndical au nationalisme corporatiste existait déjà chez Julien Sorel qui passa sa vie à défendre tous les extremismes du racisme de  Maurras en 1910 au Bolchevisme en 1920, dans l'espoir de mettre à bas l'ordre bourgeois.
  • Il s'agit de gagner des voix et d'obtenir le contrôle de la fenêtre d'Overton pour faconer un consensus aux fondé sur un mythe moderne plutot que de chercher à comprendre la réalité. L'extremisme gagne lors des situations de crises. Si le Sorelianisme ne pouvait pas passer en France en 1909, le nazisme réussi dans l'Allemagne vaincue après 1929.
  • Si le communisme révolutionaire est dénoncé comme une erreur en 1904 par Eduard Bernstein qui prône l'amélioration de la condition ouvriere par les réformes sociales, il est diagnostiqué en tant que mouvement en 1922 par Walter Lippmann comme une suradaptation de la politique a l'uniformisation industrielle, le nazisme serait une suradaptation à la guerre totale de 1914 et à la crise qui s'ensuit, utilisant des modes de propagande populiste et d'intimidation des communistes pour s'opposer à leur internationalisme.

D'autres sources me semblent mieux decrire la realité: les ouvrages de Shaw et Wong ou d'Eric Hoffer. Mais la lecture de Mon Combat permet de mieux comprendre les vérités que l'auteur avait saisi et l'objectif d'exaltation nationale sectaire qu'il s'etait fixé.

Conclusions pour le Populisme Moderne

La religion: La religion a longtemps été un mécanisme de différentiation politique et d'exclusion. Les disputes sur les dogmes de l'église primitive sont un prétexte aux schismes qui se font suivant des lignes de failles politiques antérieures aux disputes. Dans l'Europe moderne, le catholicisme des Polonnais est une expression de leur volonté de différenciation des Russes Orthodoxes et des Prussiens protestants. En 2017, l'église Orthodoxe Ukrainienne a deplacé la date de Noel, ce qui la différencie de l'eglise Russe et la rapproche de l'ouest.

Quand Nietzsche affirme dans Le Gai Savoir que "Dieu est mort", il ne veut pas dire que plus personne ne croit en Dieu, mais qu'il est devenu acceptable pour les croyant d'Europe d'interagir avec des incroyants ou des personnes d'une autre religion sans avoir a penser que l'autre est moins humain. 

Le nationalisme entraine une regression du discours politique à la période précédant la tolérance et les lumières en occident.

Le nationalisme: La nation est un autre groupe susceptible de justifier l'exclusion. Il se massifie avec la conscription et l'alphabetisation, qui entraine une homogéneisation de la langue nationale pendant toute la periode moderne, mais surtout le 19e siecle. 

La caracteristique du Nazisme est d'exploiter le nationalisme et les pathologies induites par la 1ere guerre mondiale. Le nationalisme s'est montré in-fine plus mobilisateur que la lutte des classes dans toute l'Europe. Le démagogue nationaliste peut vaincre les démagogues communistes en Allemagne. Ces mécanismes nationalistes, raciaux et religieux d'exclusion sont expliqués dans un autre billet sur Les Origines Genetique des Conflits selon Shaw et Wong.

Le président Wilson a imposé en Europe après 1918 un ordre politique basé sur le nationalisme en découpant les trois empires vaincus. Selon l'aristocrate autrichien Ritter Von Kuenelt-Leddihn, le nationalisme est un risque accru depuis lors. La démocratie imposée par les Etats-Unis a été l'antichambre du fascisme et du communisme en Europe, et il s'avère moins pacifique pour sa capacité a déshumaniser l'autre.

Alors que la globalisation a entrainé un déclassement des ouvriers dans les pays développés, la gauche  internationale est devenu une gauche Brahmane alors que les ouvriers se sont tournés vers des mouvements nationalistes. La démagogie nationaliste est donc d'actualité a cause de la mondialisation et de l'immigration. 

Signalons enfin une distinction: la démagogie de la haine est renforcée par la démagogie de l'envie. L'antisémitisme, tout comme la haine des "oppresseurs blancs" chez les décolonisés, des hommes pour les feministes ou des riches pour les socialistes mobilise un complexe d'infériorité. Les Japonais visitant l'Allemagne des années 30 se seraient exclamés, le Nazisme est l'idéologie nationale la plus parfaite, mais comment pouvons nous copier ce modèle sans les bouc-émissaires juifs? La xénophobie utilise le complexe de supériorité. Elle n'a pas le moteur crapuleux de l'intérêt bien compris: il y a bien plus à gagner en s'attaquant à un groupe riche qu'à un groupe pauvre. Même s'il ne peut plus promettre "tout l'or des juifs", le nationaliste se doit d'être aussi paternaliste et redistributeur que le socialiste pour acheter la masse. C'est une composante essentielle du suffrage universel.






Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

L'Opinion Publique selon Walter Lippmann

Le Grand Echiquier de Brzezinski

L'Europe Submergée selon Alfred Sauvy