Le Vrai Croyant selon Eric Hoffer

Selon Marc Andreessen, un milliardaire fondateur de Netscape, l'ouvrage de Eric Hoffer permet de mieux comprendre l'irrationalité de l'évolution politique actuelle.

Eric Hoffer est un américain issu d'immigrants alsaciens modestes qui a appris à lire l'allemand et l'anglais à 5 ans, puis devient aveugle pendant sept ans apres un accident. Il lit avidement craignant de redevenir aveugle. Il perd ses parents dans les années 1920, part en Californie et y mène une existence précaire jusqu'en 1950. A 40 ans, l'armée refuse de l'enlister pour aller à la guerre en 1940 en raison d'une hernie, il devient alors docker et décharge les bateaux malgré ses problemes de santé, et fréquente toujours les bibliotheques.

En 1951, il fait une contribution majeure à la sociologie politique en publiant le Vrai Croyant, qui est une analyse du fanatisme. Son livre a un succes mérité et Hoffer devient professeur adjoint à Berkeley.

Jean Calvin, un vrai croyant 


Mouvement de Masse et Fanatisme

Comme l'explique Hoffer, "Le sacrifice de soi est un acte déraisonnable." Les hommes sont prêts à mourir pour un objectif vague et hors de portée comme le salut des âmes, par pour un objectif clair et mesurable comme une augmentation de 3% des subventions à la production agricole de leur pays.

Des mouvements qui ont changé la face du monde comme le Christianisme, l'Islam, le Puritanisme en Angleterre, la Révolution en France, le Communisme ou le Nazisme plus récemment sont mus par le fanatisme et l'irrationalité. 

L'auteur présente les mécanismes communs qui alimentent ces mouvements de masse. 

Les Trois Phases du Mouvement de Masse

  1. les hommes de mots : avant l'arrivée des fanatiques, des hommes de mots, des théoriciens délégtiment l'ordre existant. Sous l'empire Romain, il s'agit des épicuriens et des stoïques qui dénoncent les dieux de la cité comme superstition, faisant place pour le christianisme. Au 15e siecle, les humanistes qui fustigent la superstition et la pompe religieuse. Ils préparent le fanatisme de la réforme. Au 18e siecle, les Encyclopédistes qui théorisent sur le bon gouvernement. Ils sont suivis par les jacobins sanguinaires. Au 19e siecele, des anarchistes inoffensifs comme le prince Kropotkin de la Royal Academy of Science qu'on laisse parler librement inspireront les premiers actes terroristes de Ravachol.
  2. les fanatiques : ce sont des hommes prêts à se battre, dont les certitudes sont à l'épreuve des faits, qui haïssent le présent et le réel, même s'ils se réfèrent parfois à un passé imaginé. Ils projettent dans un futur vague un salut commun dans lequel l'individu, ses fautes et ses faiblesses sont noyées dans la masse. Les leaders des mouvements fanatiques ont du succès parce qu'ils offrent l'absolution de l'individu et planifient des projets grandioses qui correspondent au désirs de domination de la masse.
  3. les hommes d'action : ce sont les administrateurs qui consolident le mouvement et le rendent perenne. Ils peuvent être fanatiques comme Staline et Hitler ou plus opportunistes comme Krushchev ou Goebbels.
Certains individus excellent dans l'une de ces trois catégories alors que d'autre ont su passer de l'une à l'autre:
  • La plupart des hommes de mots s'arretent avant de tomber dans le fanatisme. L'humaniste critique de la superstition catholique Bracciolini de 1450 n'a rien à voir avec le fanatisme du réformateur Jean Calvin de 1550 qui interdit à la population de Genève de danser puis de rire.
  • Le plus revolutionaire des encyclopedistes, Condorcet est condamné pour trahison pour son opposition à la terreur de Robespierre. Le fanatique Robespierre est remplacé par l'homme d'action Napoléon.
  • Certains hommes de mots savent devenir fanatiques: Trotsky et Lénine sont des hommes de mots qui deviennent fanatiques.
  • D'autres sont des fanatiques qui deviennent homme d'action, Staline et Hitler par exemple.

Citations

Quand les hommes ont déjà « quelque chose pour lequel il vaut la peine de se battre », ils n'ont pas envie de se battre.

Satan a dit : « Tout ce qu'un homme possède, il le donnera pour sa vie. » Tout ce qu'il possède, oui. Mais il meurt plus tôt que de céder ce qu'il n'a pas encore.

L'homme d'affaires prospère est souvent un échec en tant que leader communautaire parce que son esprit est à l'écoute des « choses qui sont » et son cœur fixé sur ce qui peut être accompli à « notre époque ».

Tous les mouvements de masse actifs s'efforcent d'interposer un écran à l'épreuve des faits entre les fidèles et les réalités du monde.

C'est la certitude de sa doctrine infaillible qui rend le vrai croyant imperméable aux incertitudes, aux surprises et aux réalités désagréables du monde qui l'entoure. 

L'efficacité d'une doctrine ne vient pas de son sens mais de sa certitude.

Pour être efficace, une doctrine ne doit pas être comprise, mais doit plutôt être crue. Nous ne pouvons être absolument certains que des choses que nous ne comprenons pas.

Quand un mouvement commence à rationaliser sa doctrine et à la rendre intelligible, c'est un signe que sa durée dynamique est terminée ; qu'elle s'intéresse avant tout à la stabilité. Car, comme on le verra plus loin, la stabilité d'un régime exige l'allégeance des intellectuels,

Si une doctrine n'est pas inintelligible, elle doit être vague; Et si elle n'est ni inintelligible ni vague, elle doit être invérifiable.

L'association de la croyance et du mensonge n'est pas caractéristique uniquement des enfants. L'incapacité ou la réticence à voir les choses telles qu'elles sont favorise à la fois la crédulité et le charlatanisme.

Bien qu'ils semblent être aux pôles opposés, les fanatiques de toutes sortes sont en fait entassés à une extrémité. Ce sont les fanatiques et les modérés qui sont aux antipodes et ne se rencontrent jamais.

Les mouvements de masse peuvent s'élever et se répandre sans croyance en un Dieu, mais jamais sans croyance en un diable.

Quand on demanda à Hitler s'il n'attribuait pas trop d'importance aux Juifs, il s'exclama : « Non, non, non !... Il est impossible d'exagérer la qualité formidable du Juif en tant qu'ennemi. »

Il est plus facile de haïr un ennemi avec beaucoup de bien en lui que quelqu'un qui est tout mauvais. Nous ne pouvons pas haïr ceux que nous méprisons.

Selon Hoffer, quand les Japonais visitent l'Allemagne Nazie, ils sont emerveillés et recommandent une politique similaire au Japon. Mais ils s'inquietent de ce que le Japon n'a pas de minorité ethnique comme les juifs qui pourrait servir de bouc-emissaires et fixerait la haine et l'envie des plus frustrés l'ethnie majoritaire. Les Japonais de l'époque ne sont pourtant pas anti-sémites.

Lorsque nous voyons l'effusion de sang, la terreur et la destruction nées d'enthousiasmes aussi généreux que l'amour de Dieu, l'amour du Christ, l'amour d'une nation, la compassion pour les opprimés et ainsi de suite, nous blâmons généralement cette perversion honteuse sur un leadership cynique et assoiffé de pouvoir. En fait, c'est l'unification mise en mouvement par ces enthousiasmes, plutôt que les manipulations d'une direction intrigante, qui transmute les nobles impulsions en une réalité de haine et de violence.

La propagande par elle-même réussit principalement avec les frustrés. Leurs peurs palpitantes, leurs espoirs et leurs passions se pressent aux portes de leurs sens et s'interposent entre eux et le monde extérieur. Ils ne peuvent voir que ce qu'ils ont déjà imaginé, et c'est la musique de leur propre âme qu'ils entendent dans les paroles passionnées du propagandiste. En effet, il est plus facile pour les frustrés de détecter leurs propres imaginations et d'entendre l'écho de leurs propres rêveries dans un double langage passionné et des refrains sonores que dans des mots précis réunis avec une logique irréprochable.

Goebbels admet dans un moment sans surveillance qu'« une épée tranchante doit toujours se tenir derrière la propagande si elle veut être vraiment efficace ».

En fait, la férocité de masse n'est pas toujours la somme de l'anarchie individuelle. La truculence personnelle milite contre l'action unie. Cela pousse l'individu à frapper pour lui-même. Il produit le pionnier, l'aventurier et le bandit. Le vrai croyant, peu importe à quel point ses actes sont bruyants et violents, est fondamentalement une personne obéissante et soumise.

Les personnes dont la vie est stérile et précaire semblent montrer une plus grande volonté d'obéir que les personnes qui sont autonomes et confiantes. Pour les frustrés, l'absence de responsabilité est plus attrayante que la liberté de ne pas être soumis à la contrainte.

L'exaltation du vrai croyant ne découle pas de réserves de force et de sagesse, mais d'un sentiment de délivrance : il a été délivré des fardeaux insignifiants d'une existence autonome.

Un mouvement de masse à part entière est une affaire impitoyable, et sa gestion est entre les mains de fanatiques impitoyables qui n'utilisent des mots que pour donner une apparence de spontanéité à un consentement obtenu par la contrainte. Mais ces fanatiques ne peuvent s'installer et prendre les choses en main qu'après que l'ordre dominant a été discrédité et a perdu l'allégeance des masses.

Les Britanniques qui gouvernaient l'Inde étaient d'un type totalement dépourvu d'aptitude à s'entendre avec les intellectuels dans n'importe quel pays, et encore moins en Inde. C'étaient des hommes d'action, imprégnés d'une foi en la supériorité innée des Britanniques.

Les établissements d'enseignement qu'ils ont créés ont produit des hommes de mots, des théoriciens ; et c'est une ironie du sort que ce système, au lieu de sauvegarder la domination britannique, ait précipité sa fin.

Le fait que les mouvements de masse, au fur et à mesure qu'ils surgissent, manifestent souvent moins de liberté individuelle que l'ordre qu'ils supplantent, est généralement attribué à la ruse d'une clique avide de pouvoir qui détourne le mouvement à un stade critique et trompe les masses de la liberté sur le point d'émerger. En fait, les seules personnes trompées dans le processus sont les précurseurs intellectuels.

Cependant, la libération à laquelle les masses aspirent n'est pas la liberté d'expression et de réalisation de soi, mais la libération du fardeau intolérable d'une existence autonome.

Ils ne veulent pas la liberté de conscience, mais la foi, une foi aveugle et autoritaire.

Oliver Cromwell : « Un homme ne va jamais aussi loin que lorsqu'il ne sait pas où il va.

Hitler considérait les bolcheviks comme ses égaux et ordonnait que les anciens communistes soient immédiatement admis dans le parti nazi. Staline, à son tour, voyait dans les nazis et les Japonais les seules nations dignes de respect.

À l'époque de la Renaissance, les influences étrangères (gréco-romaines et arabes) ont facilité l'émergence d'hommes de parole qui n'avaient aucun lien avec l'Église et ont également aliéné de nombreux hommes de parole traditionnels de la dispensation catholique dominante. Le mouvement de la Réforme qui en a résulté a secoué l'Europe de sa torpeur.

Conclusion

Contrairement aux officiers des armées qui sont toujours inquiets du risque de mutinerie de leur troupe, le leader fanatique est à l'aise dans la masse. Celle-ci se laisse conduire parceque les leaders projettent les pulsions des fanatiques qui ont abandonné leur individualité pour rejoindre le mouvement. Ils s'inspirent toujours de ce qu'elle veut.

Selon Hoffer: "Là où la liberté est réelle, l'égalité est la passion des masses. Là où l'égalité est réelle, la liberté est la passion d'une petite minorité. L'égalité sans liberté crée un modèle social plus stable que la liberté sans égalité." Cela explique que les socialistes ont remplacé les libéraux comme parti du progres face aux conservateurs une fois que la franchise a été étenduee entre 1850 et 1900, et le peu d'impact de Titus Gebel (2010) ou Ritter von Kuehnelt-Leddihn (1940) dans leur projet de revaloriser la liberté face à l'égalité et d'éviter les politiques aberrantes que l'on observe depuis 1914.

Si les étudiant qui ont participe au printemps Arabe en Egypte en 2011 se battaient pour la liberté et ne l'ont pas obtenu en 2016, ce n'est pas parce qu'une élite leur a volé leur révolution, c'est que la population ne désirait pas cette liberté.

Dans son dernier chapitre Hoffer declare que "J. B. S. Haldane compte le fanatisme parmi les quatre seules inventions vraiment importantes réalisées entre 3000 av. J.-C. et 1400 av. J.-C." (l'auteur cité propose en 1932 le fer, les routes pavées, le vote, et l'intolérance religieuse comme les quatres inventions importantes). Cet auteur est un eugéniste modéré pronant la diversité de l'espèce, marxiste-leniniste, admirateur de Staline et Trotsky, qui obtint des résultats statistiques concernant la sélection naturelle. Il parti de l'Angleterre et obtint la nationalité Indienne peu apres son indépendance pour des raison idéologiques. L'ouvrage cité par Hoffer est "l'inégalité de l'homme", publié par Haldane en 1932. 

Alors que les lumières présentaient une vision rationnelle de la société et de son évolution politique, Hoffer explicite les ressorts psychologiques et l'irrationalité des mouvements de masse a permis de créer un impact au niveau civilisationel. Il explicite ainsi le potentiel formidable du nationalisme, du socialisme et de la religion, au-dela de ce qui était décrit par Gustave Lebon dans sa Psychologie des Foules.



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