Critique de l'ochlocratie par Erik Ritter von Kuehnelt-Leddihn

Erik Ritter von Kuehnelt-Leddihn est un noble autrichien conservateur libéral né en 1909. Passionné de sciences humaines, parlant huit langues et pouvant en lire 20, il partagera son opposition idéologique au jacobinisme, au bolchevisme et au nazisme. 

Lors de son exil aux États-Unis, il publie en 1943 "La menace du troupeau, Procuste au pouvoir". Dans cet ouvrage, il explique aux américains que la démocratie est une forme de gouvernement inférieure à la monarchie parce que les démagogues sont toujours à la recherche de justifications égalitaires ou identitaires pour manipuler l'envie et la cupidité de la tourbe.

Il est remarquable que les États-Unis permettent ce niveau de discussion politique lors d'une guerre qui est si fortement imprégnée de considérations idéologiques.


Conservatisme Nationaliste et Complexe de Supériorité Autrichien

Les généralités que l'on peut écrire concernant sa propre religion en disent parfois plus sur l'auteur que sur la religion. Ainsi, l'allemand Max Weber expliquait dans son ouvrage L'éthique protestante et l'esprit du Capitalisme que les protestants sont plus riches parce qu'ils travaillent plus, et que les nations catholiques étaient vouées à la pauvreté, car les catholiques cessent de travailler dès qu'ils en ont les moyens.

Pour RKL la morale catholique était bien mieux adaptée à la société austro-hongroise et la charité et la tolérance y étaient plus développées que parmi les protestants allemands, anglais et autres américains. L'ingérence du président Wilson après la 1ʳᵉ guerre mondiale qui importa la démocratie en Europe Centrale est selon lui une des sources du nazisme.

Cynisme politique : La Monarchie comme équilibre des pouvoirs

L'auteur explique que la monarchie traditionnelle était caractérisée par un équilibre des pouvoirs entre le peuple, la noblesse et le monarque. Que cet équilibre, lorsqu'il était préservé, donnait une plus grande liberté à l'individu et la possibilité d'une plus grande diversité.

La vie culturelle en Autriche à l'époque du Cercle de Vienne n'avait selon lui rien à envier aux Nazis et montrent selon lui que l'éducation sous un régime monarchique n'avait rien à envier à celle de la démocratie qui aboutit au Nazisme. Avec Tolstoï et Dostoïevski, la Russie tsariste n'avait aussi rien à envier en matière culturelle ou éducative aux Bolcheviques.

Il explique ensuite que les américains et le président Wilson en particulier ont remplacé des gouvernements monarchiques bien intégrés dans leurs contextes socio-culturels par des démocraties ou la plèbe prend des décisions mal informées et vire au communisme ou au fascisme quand la situation empire.

Le Progressisme et l'Égalité détruit la Liberté

L'auteur assume son conservatisme : la monarchie n'est pas basée sur une politique partisane mais est mieux intégré dans le cadre familial et religieux d'une société chrétienne. Une monarchie aurait selon lui plus de potentiel pour préserver la liberté et la diversité des individus et de leurs opinions qu'une démocratie.

De plus, la question n'est pas tant qui doit gouverner que comment gouverner. Les connaissances requises pour administrer la démocratie des fermiers pionniers américains de 1800 n'a rien à voir avec l'administration d'un État fédéral unifié par des voies ferrées et des télégraphes soixante-dix ans plus tard. Les connaissances politiques, économiques, technologiques, scientifiques, militaires et psychologiques des masses et de leurs représentants sont toujours plus éloignées des connaissances requises pour prendre une décision logique, rationnelle et morale dans ces domaines. 

Enfin, la démocratie pousse à imposer l'égalité par des moyens coercitifs ou une coercition basée sur des motifs identitaires et a une tendance uniformisante et anti-libérale.

De 1943 à 1967, de 1973 à 2020

Le sentimentalisme monarchique du Ritter peut paraître aussi désuet que celui des chouans, mais sa vision en 1943 concernant les monarchies européennes et les régimes qui leur ont succédé était plus articulée et mieux informée que celle du président Wilson en 1918.

Le mot démocratie est imbu de significations positives différentes : il s'agirait d'un gouvernement compétent,  respectant les libertés politiques et économiques dans une société avec un capital social (confiance, civisme) élevé. L'auteur nous rappelle que la corrélation n'implique pas la causalité.

En 1943, que ce soit pour RKL dans "La Menace du Troupeau", Friedrich Hayek dans "La route de la servitude", Karl Popper dans "La société ouverte et ses ennemis", ou Schumpeter dans "Socialisme et Démocratie", la démocratie et le socialisme pouvaient paraître l'antichambre du fascisme et du communisme. L'argument de tous ces auteurs ne portait pas sur l’efficacité économique du libéralisme mais sur l’érosion progressive des libertés pour satisfaire les velléités redistributives ou identitaires de la majorité.

Pour un lecteur en 1967 dans une société libre en progrès, ces ouvrages avaient perdu la pertinence qu'ils avaient en 1943. L’expérience des trente ans après 1945 semblait démontrer l’efficacité économique de la social-démocratie (qui entretient et développe le consumérisme par la redistribution) et du néo-libéralisme (avec l'ouverture des frontières au commerce et à l'immigration) en comparaison avec le communisme. Une augmentation considérable du poids de l'État s'est faite sans amener à une réduction des libertés. 

La situation a changé avec un net ralentissement économique entre 1967 et 1973. Cinquante ans plus tard, le risque de dérives partisanes coercitives basées sur des vues malthusiennes de la société et de l’économie qui semblait manifeste en 1943 est-il en train de revenir ?






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