Paradoxes de l'Euro de Jacques Delors

Jacques Delors a eu une influence plus importante que tous les présidents Français vu sa contribution à la création de l'Union Européenne. L'UE a complètement libéralisé les flux de marchandises, de capitaux, et de travailleurs, ce que la droite conservatrice et peu libérale n'aurait jamais su ni voulu obtenir.

Comme je l'évoquais dans ce billet précédent, le paradoxe est que Jacques Delors agit comme un cheval de Troie du "néo-libéralisme". Sous ses abords de syndicaliste et de social-démocrate, il sut convaincre les gauches qu'il s'agissait d'un projet d'Europe sociale (Melenchon appelait à voter pour le oui en 1992).

On sait qu'en politique, chacun aborde un projet complexe sous l'aspect qu'il désire. Pour mieux comprendre cette action, je présente ici une fiche de lecture des Mémoires de Jacques Delors de 2004.

Origines

Enfance

Parisien du 11ème arrondissement d'origine modeste, petit fils d'un petit paysan de Corrèze et catholique pratiquant, c'est un enfant de la République qui parvient au baccalauréat. Il réussi au concours de la Banque de France et y commence le travail. Il suit des cours de formation permanente qui mettent en valeur ses qualités.

Progression 1950-1984

Alors qu'il travaille à la Banque de France, il mène une vie sociale intense en animant des clubs, agissant pour la CFTC (syndicat catholique qui deviendra la CFDT). Il s'agit la d'un catholicisme social et engagé contre ce que Mr Delors appelle le "malthusianisme réactionnaire".

Dans les années 60 son rôle syndical lui permet de devenir rapporteur aux affaires sociales à la commission au plan. Il est naturellement convaincu par l’utilité des plans des quinquennaux. Il voit la formation de l'ANPE et remarque que son directeur se félicite du nombre croissant d'inscription plutôt que de s’intéresser au nombre de chômeurs qui retrouvent un emploi.

Suite à Mai 68, il participe à la rédaction du programme sur la société nouvelle de Chaban-Delmas. Ce programme néo-gaulliste de gauche fera beaucoup de bruit mais sera suivi par le basculement du gaullisme à droite (pour une société conservatrice et un État fort). Jacques Delors traversera le désert en obtenant un poste de professeur de négociation jusqu’à l’élection de Mitterrand en 1981.

À partir de 1981, et malgré ses relations distantes avec le nouveau président, il est nommé Ministre des Finances. S'ensuit une attaque du Franc par les marchés financiers qui fut un événement particulièrement traumatique pour lui : le gouvernement de gauche suscite un tel manque de confiance pour les marchés financiers que des dévaluations et des contrôles des changes sont nécessaires, un peu comme les gouvernements de droite faisaient face à des grèves dès qu'ils proposaient de discuter une réforme.

En 1983 le programme bascule dans la rigueur et la deuxième gauche prendra la commande.

Destin Europeen 1985-1995


1985-1988: Acte Unique, Objectif 92

Jacques Delors est ensuite nommé président de la commission Européenne. Il doit faire face à l’évolution de la PAC. Il apprécié la collégialité de la commission européenne. Il remarque qu'un progrès peut être fait dans la manière dont les décisions plutôt que de se braquer sur des décisions.

Dans ses discussions avec les autres politiciens européens, il envisage un triptyque :
 la compétition qui stimule, coopération qui renforce, solidarité qui unit.

Face au parlement qui a l'option d'un veto, il obtient le vote de paquets Delors de 4.5mld, puis 14mld, et 26mld. Il est intéressant de noter que selon Mr Delors, le fait que des montants important et toujours croissant sont débloqués est un succès indépendamment des résultats de leur allocation.

Il met en place très rapidement l'Acte Unique, un traité fondateur, et lance le très ambitieux objectif 92. L'objectif est un marche commun, la libre circulation et la suppression des frontières. Ainsi qu'une aide à la régionalisation et au développement.

Marqué par l’expérience des dévaluations françaises et la complexité des négociations avec l'Allemagne concernant le SME, un projet de monnaie commune est aussi envisagé. Il estime que l'inflation est l'ennemie de l'épargne populaire, et qu'une monnaie forte aidera les classes moyennes.

Alors que Mme Thatcher était enthousiaste quand il s'agissait de la partie libérale de ce programme, elle n’appréciera pas que Jacques Delors soit invité pour parler de l'Europe par les syndicats britanniques en 1988, et deviendra de plus en plus Eurosceptique. Jacques Delors arrivera néanmoins à travailler avec Mme Thatcher et la distance n’apparaît pas plus grande que celle qui le sépare de Mr Mitterrand.

Union Economique et Monétaire : 1988-1991

Alors que l'Union Economique et Monétaire sont le rêve des socialistes Français, Espagnols et Italiens qui leur permettrait d'annoncer des politiques sociales financées à des taux bas et sans risque de déstabiliser leurs taux de change, la libre circulation des capitaux est un préliminaire demandé par les pays bas et l’Allemagne. 

Jacques Delors ne développe pas cet aspect dans ses mémoires publies en 2004, pourtant, il apparaît que certains pays comme l'Irlande ou la Hollande entendent bénéficier de la libéralisation en limitant l'inflation sociale. La question de l'Europe Sociale était centrale pour son acceptation par les socialistes. La compétence de la commission et des gouvernements nationaux était repartie ainsi: 
Majorité qualifiée :
- santé et sécurité des travailleurs
- conditions de travail
- égalité hommes/femmes
- intégration des exclus
Unanimité:
- sécurité sociale
- protection des travailleurs
- licenciement, représentation, défense collective
États Membres:
- rémunérations
- droit syndical, grèves

Les Allemands et Hollandais voulaient s'appuyer sur la réticence anglaise pour faire temporiser le projet. John Major fini par accepter le compromis de Delors, qui est de laisser la Grande-Bretagne hors de l'Europe sociale.

Les syndicats Allemands et Hollandais pensaient que leur système est bien supérieur au système français et considéraient donc que de faire passer certaines de ces questions au niveau européen n'aurait aucun bénéfice pour eux.

Enfin, un programme d'Europe de la Défense et des Affaires Étrangères était proposé, qui était vague, trop ambitieux, et pas réaliste. Ce programme démontrera son inutilité en 91 pour la 1ère guerre du Golfe puis en Yougoslavie.

L'Ouverture chaotique des pays communistes 1991-1995

Alors qu'un agenda bien rempli avait été défini en 1988, l'ouverture des pays de l'Est a créé de nouvelles opportunités pour l'Europe. Tout le monde essaie d'aider Gorbatchev à l’époque. Le chancelier Kohl prend l'initiative pour réunifier l'Allemagne alors que Mme Thatcher et Mitterrand sont très méfiants. Helmut Kohl s'engagera à l'Euro pour obtenir le soutien Français.

On voit que l'Euro a été voulu par le Sud pour stabiliser leurs devises, mais que les conditions libérales telles que la libre circulation des capitaux et des personnes sont imposées par les pays du nord.

L'Union Européenne se formera in extremis alors que les pays d'Europe de l'Est se libèrent et demandent à faire partie du club. La proposition par la France de Confédération Européenne en 91, qui se propose d'inclure la Russie entraîne les protestations de Vaclav Havel et d'autres pays de l'Est qui ne lui font pas du tout confiance.

Enfin, l'Uruguay Round conduit à la création de l'OMS ouvrant le commerce à la Chine et accentuant l'ouverture commerciale tous azimuts.

Alors que les pays de l'Est rejoignent l'Europe, la structure de décision qui était adaptée pour 6 Etats, l'est beaucoup moins pour 27 membres comme le souligne VGE dans un ouvrage plus récent que nous avons revu ici.

Paradoxes de la création de Jacques Delors


Jacques Delors était un socialiste modéré comme Michel Rocard. Sa vision du monde a été façonnée pendant les 30 glorieuses, et pour lui, la planification et les dépenses votées par les politiciens sont toujours bénéfique, la compétition et le progrès social vont de pair.

Il pourra paraître idéologiquement éclectique tant il s'accorde à l'intervention des planificateurs, à la réglementation des socialistes et à la compétition et à l'ouverture des libéraux. Quand il dit à plusieurs reprises lutter contre les réactionnaires et le malthusianisme d'avant-guerre, et contre "la pensée unique", peu se réclament d'un tel héritage idéologique.

Bien que socialiste, il veut une monnaie forte car "l'inflation ronge l’épargne populaire" ce qui sous-entend que la population doit se constituer une épargne, et dit à plusieurs reprises qu'on ne peut endetter les générations futures sans faire un investissement dont elles vont profiter, ce qui sous-entend une condamnation de déficit structurels qui soutiennent la consommation et des retraites par répartition, ce qu'il n'explicite pas.

Il semble défendre l’optimalité de la décision Démocratique, et dénonce une tendance au Saint-Simonisme français, qui espère imposer la bonne politique malgré la populace, et atteindre la légitimité en démontrant sa compétence.

Par lui, l'union monétaire est arrivée, mais la convergence des politiques fiscales par des réformes structurelles en France dont on parlait tant entre 1992 et 1997 semble avoir été abandonnée alors que c'en était une condition.

On voit donc un grand projet commun ou les Allemands et les Hollandais ont obtenu plus de concurrence et la liberté de mouvement des capitaux, alors que les Italiens, les Français et les Espagnols ont obtenu une stabilité monétaire. Cela devait se faire dans une convergence économique et sociale qui devaient mener la France à des réformes structurelles et une harmonisation fiscale.

Avec la chute de l'Union Soviétique, les pays de l'Est on voulu rejoindre l'UE pour son libre-échange et non pour construire un nouveau socialisme. L'Europe sociale était reléguée en arrière-plan, et la France aurait du converger.  Ce qui est paradoxal, c'est que 5 ans plus tard, la fille de Jacques Delors introduisait la reforme des 35 heures en France. Les politiques marquées à gauche étaient certes populaires en France, mais elles augmentèrent la divergence.

Tous les pays ont bénéficié de la construction de l'UE, mais il semblerait que l'Irlande et les Pays-Bas n'ont pas tiré les mêmes bénéfices de cette évolution que l'Italie et la France.



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