Les Machiavelliens, défenseurs de la liberté selon James Burnham

James Burnham est un philosophe américain. Marxiste-Trotkiste dans les années 30, son militantisme donne lieu à une correspondance, puis un lien d'amitié avec Trotsky. Il se redéfinit comme conservateur dans les années 40 et produit deux ouvrages important :

Machiavelli (!469-1529) image credit: wikicommons

Il prône une science politique basée sur des faits plutôt que sur des poncifs vagues supposés universels. 

Nous nous intéressons à ce deuxième ouvrage qui décrit l'évolution du théâtre politique, et explique la dérive des démocraties vers des politiques irrationnelles basées sur l’appel à l'émotion, et les risques de dérives autoritaires. 

Prologue : De Monarchia de Dante

Avant de parler de Machiavel, Burnham résume un ouvrage de politique écrit par Dante sur la théorie politique. 

  • Dante explique que le but du gouvernement est d'assurer le salut des âmes et la réalisation de tous les potentiels humains
  • il justifie le pouvoir temporel et religieux doivent être séparés en citant les écritures saintes et des pères de l'Eglise
  • Il explique que l'empereur Hohenstaufen résidant au Luxembourg devrait régner sur le monde entier, en basant sa légitimité sur une transmission de l'empire romain qu'il suppose ininterrompue 

Après avoir expliqué la position de Dante, Burnham devient impatient et explique la situation réelle qui motive ce raisonnement, c'est que Dante est exproprié et exilé parce qu'il prend partie dans une guerre civile entre les Guelfes et les Gibelins:

  • Compétition: Une querelle entre deux fils de famille puissante entraîne une rixe. Le chef de famille demande à son fils d'aller voir le père de l'autre famille et de s'excuser de la blessure
  • Escalade: Le père de l'autre famille refuse les excuses, fait saisir le fils par ses serviteurs (pour l'humilier) et lui fait couper la main dans une étable. Il le renvoi dire à son père qu'une blessure est mieux réparée par une amputation que par des mots
  • Guerre Civile: Les deux familles réunissent leur faction (les Bianci et des Neros) et la ville entre en guerre civile
  • Élargissement du conflit: Pour fuir la destruction et trouver des renforts, un membre des bianci part à Florence. Un membre de l'autre faction va faire de même et trouve le support d'une famille non-moins puissante à Florence. Florence entre en guerre civile et Dante, qui était un notable mineur doit s'enfuir alors que sa faction se range du côté des Gibelins (pro-empereur) contre les Guelfes (pro-pape) 

Pour Burnham, Dante écrit un ouvrage de théorie politique dans le but de justifier sa trahison de la nation italienne en faveur d'un empereur Hohenstaufen vivant au Luxembourg dans l'espoir de relancer une guerre civile en Italie et de retrouver sa position à Florence.

La plupart des ouvrages de théorie politiques ne proposent une formule abstraite (monarchie de droit divin, représentation du peuple, dictature du prolétariat) dans le but de justifier l'ordre établi ou un régime qui serait avantageux à l'auteur du discours. Ainsi Hegel, présente la monarchie prussienne comme la fin de l'histoire, de même que Marx pour le communisme ou Fukuyama pour la démocratie libérale bipartisane américaine. De telles théories reflètent l'opportunisme de l'auteur et n'ont aucune valeur prédictive.

Machiavel : la politique comme science

Alors que les discours de Dante sont basés sur des utopies, des préférences personnelles et des intérêts à défendre, les écrits de Machiavel se concentrent à corréler des faits. Lorsqu'il y a un objectif, Machiavel l'énonce clairement plutôt que de décrire des principes abstrait ou surnaturels.

Burnham définit trois critères pour une politique rationnelle suivant Pareto:

  1. l'objectif doit pouvoir être formulé de manière à définir le succès
  2. le succès doit être possible
  3. la politique mise en œuvre doit pouvoir mener aux objectifs et non aller en sens contraire
Selon lui, le discours public a pour but la légitimation symbolique alors que la science politique s'intéresse aux faits.

Il définit deux archétypes d’élites: 

  1. Les lions: ils sont francs, conservateurs, défenseurs de valeurs traditionnelles. Il n’hésitent pas à utiliser la force et n’aiment pas raisonner.
  2. Les renards: ils sont calculateurs, aptes à raisonner et opposés à l’usage de la force, ils se complaisent à évaluer des combinaisons et à tirer profit d’un environnement changeant.

Il s’agit des conservateurs et des progressistes. La situation politique fait toujours l’objet de compromis et évolue toujours, n’en déplaise aux conservateurs.

Il y a trois types de gouvernement en fonction du nombre de personnes qui détiennent le pouvoir. Machiavel considère une bonne et mauvaise forme pour chacun de ces gouvernements.

  • Monarchie et Tyrannie
  • Aristocratie et Oligarchie
  • Démocratie et Anarchie

Quand bien même sa préférence était pour l’aristocratie, Machiavel voit la Monarchie comme la manière la plus simple d’obtenir l’objectif de l’unification de l’Italie. Un prince doit être opportuniste et s’adapter à son époque, plutôt que d’essayer d’appliquer des principes qui ne sont plus adaptés.

La civilisation porte en elle les germes de sa propre destruction. La richesse s’oppose à la force militaire, la liberté qui selon lui est garantie par l’Etat et les institutions provient d’un équilibre des pouvoirs sans arrêt remis en cause.

La souveraineté dépend de la force. Elle fait face à des attaques externes (militaires) et internes (activités illégales).

  • La forme externe de la force est la défense d’un pays doit s’appuyer sur des citoyens armés et non des mercenaires qui sont moins fiables.
  • La forme interne de la force correspond au système légal. Machiavel conseille que les loi soient appliquées avec constance. L’état doit empêcher trop d’inégalités dues aux privilèges ou à la richesse.

Si l’on tient pour évident le propos d’Aristote au début de sa métaphysique que tout homme recherche la connaissance, on imagine volontiers que la connaissance est toujours la bienvenue. Cependant, il nous semble que l’hypocrisie est une qualité distinctive de l’occident, et l’hypocrisie évite toujours la vérité.

Pour cette raison, les philosophes de la pensée officielle, les légistes, les prêtres et les démagogues, tous doivent diffamer Machiavel. Machiavel parle de l’ambition des hommes et leur volonté de puissance, mais les puissant, vous affirment-ils, ne sont la que pour vous gouverner pour votre propre bien.

Les puissants ont la capacité et la pratique d’évaluer leurs adversaire et de s’y opposer efficacement, même si leur adversaire est un traité abstrait de sciences politiques. Car Machiavel écrit lors de l’essor des sciences. Sa méthode est scientifique quand bien même il se montre souvent intuitif.

Gaetano Mosca: la théorie de la classe dominante

Gaetano Mosca (1858-1941) est un des trois membre de l’école politique italienne libérale élitiste. Sénateur à vie de la monarchie italienne, il s’opposera au fascisme en 1925 et sera relevé de ses fonctions par Mussolini en 1926. Il examine en détail trois théories: la théorie géographique, la théorie raciale, et la théorie économique matérialiste. Selon lui, aucune de ces trois causes ne suffit à déterminer le fonctionnement politique. Le déterminisme social ne s’accorde pas aux faits (NDT: Daron Acemoglu et Robinson reprendront cet argument au début de la Défaillance des Nations)

En s’en tenant aux faits, Mosca arrive à une observation politique: la société est scindée en deux classes: les dirigeants et les diriges. La première est toujours une petite minorité. Il réfute notamment deux idées que l’on rencontre souvent:

  •  dans une tyrannie, le tyran serait seul à gouverner
  • dans une démocratie, la masse majoritaire aurait le pouvoir de décider pour elle même 

Hors, dans les deux cas, une élite est au pouvoir. Le pouvoir ne peut ni être concentre en une seule personne, ni diffus dans une masse. Une centaine d’hommes bien accordés auront raison de 1000 hommes qui ne s’entendent pas et tirent dans des directions différentes.

Une deuxième constante est l’existence d’une "formule" utilisée pour justifier le gouvernement. Il peut s’agir de la monarchie de droit divin, de la démocratie, ou de la dictature du prolétariat du communisme. Différents pays peuvent employer une formule similaire qui correspondent à des variations sur un même  thème.

Un changement de formule doit être graduel. Un changement brutal détruit la société. C’est pour cela que les sociétés semblent tenir attachées à d’anciennes formules, quand bien même les connaissances et informations disponibles font que les hommes éduqués ne peuvent plus y croire littéralement.

Quand le système liberal repose sur une large base, ce qui est le cas du suffrage universel, les candidats aux plus hauts postes exploitent les sentiments rétrogrades de la masse. Il s’agit, invariablement, de monopoliser et d’exploiter leur sympathie en fustigeant l’égoïsme et l’opulence des plus riches en dénonçant leurs vices réels et imaginaires.

Le politicien conservateur Edmund Burke remarquait qu’un régime qui suppose l’existence de vertus héroïques ou surhumaines conduit au vice et à la corruption. Selon Mosca, le pays le plus libre est celui où l’on est le mieux protégé contre l’arbitraire et les caprices des gouvernants.

Selon Mosca, la liberté d’expression est la meilleure défense contre la tyrannie, et le droit la meilleure protection. Il ne s’agit de pratiques juridique, et pas de textes juridiques: Hitler n’a jamais abrogé la constitution de Weimar, et Staline a doté son pays d’une constitution qu’il a voulu la plus démocratique du monde. La tyrannie est la perte des droits juridiques.

Le triomphe d’un groupe au dessus de tous les autres conduit à la tyrannie. Ainsi, le jacobinisme démocratique conduit à la tyrannie parce que le pouvoir n’est pas assez partagé. Les démocraties parlementaires faibles du 19e siècle étaient les plus libres selon Mosca. 

Dans son analyse, un changement abrupt de formule, une révolution, conduit souvent à la prise de pouvoir d’un groupe unique, ce qui est une cause de tyrannie.

Mitchels: les limites de la démocratie 

Robert Mitchels (1876-1936) est un politologue italien d’origine allemande, ami et disciple de Max Weber et Sombart. Élitiste et non libéral contrairement à Mosca et Pareto, il adhère au fascisme qu’il perçoit comme une alternative douce du socialisme, il est également eugéniste, et opposé à la première guerre mondiale et à la démocratie. Il est connu pour sa Loi d’airin de l’oligarchie. 

Dans son livre sur les partis politiques publié en 1911, il explique que toute organisation implique une oligarchie. Même dans une organisation à  but égalitaire comme un Parti communiste ou un syndicat, les responsables administratifs ont un avantage informationnel et décisionnel qu’ils utilisent pour asseoir leur pouvoir. Les masses sont incapables d’exercer le pouvoir, et désirent être dirigées par un leadership fort.

Selon lui, la démocratie représentative est une contradiction dans les termes. Si la masse transfère son pouvoir à des représentants, elle abdique sa souveraineté à une classe politique restreinte. La fin de la démocratie est entérinée par l’attente pour le représentant d’être reconduit dans ses fonctions et l’apparition d’une classe de politiciens professionnels.

Il existe une forme autoritaire de la démocratie: le Bonapartisme. Napoléon a été élu consul à vie, et Napoléon III plébiscité empereur des français. Dans ce cas, le leader s’identifie à la volonté du peuple, et toute opinion divergente et dénoncée et supprimée comme venant de groupes de pression quand bien même elle serait l’expression de la diversité des intérêts dans une société plurielle. Toute critique du leader est identifiée comme une menace contre la démocratie.

Le syndicalisme montre une évolution similaire. Les anarchistes sont les individus qui ayant évité la corruption du pouvoir ont le plus de noblesse. Néanmoins, l’anarchie est incompatible avec toute forme d’organisation et reste divorcée des faits.

Georges Sorel: une note sur le mythe et la violence

Sorel (1847-1922) ne peut être considéré un machiavellien parce que c’était un extrémiste politique qui a évolué vers le marxisme. Son analyse parait cependant suffisamment factuelle pour que Burnham mentionne ce penseur qui inspira socialistes, anarchistes et syndicalistes.

Sorel voyait l’Etat comme un instrument politique d’oppression de la masse. En tant que révolutionnaire, il propose que tout le programme soit réduit au mythe de la grève générale.

Le mythe de la grève générale est formulé comme un événement eschatologique: les prolétaires entre tous en grève et la société et l’ordre établi s’effondrent. Les prolétaires reprennent alors le travail libres et incontrôlés. Une nouvelle ère commence.

Un mythe n’est pas la description de faits mais une volonté d’action. Il fait d’un mouvement social quelque chose de sérieux et héroïque. Il justifie et donne lieu à la violence, qui le nourrit. Selon lui, la reconnaissance de la violence potentielle des conflits sociaux permet de réduire la violence.

Sorel écrivait avant la première guerre mondiale, alors que le pacifisme était un mouvement important et que l’on pensai que les travailleurs allaient faire une grève générale pour arrêter la guerre plutôt que de se laisser mobiliser.

Pareto: la nature de l’action sociale

Vilfredo Pareto (1848-1923) est un économiste et politologue italien. Il est souvent associé à l’avènement du fascisme à cause de son élitisme, mais il était fondamentalement libéral. 

Dans son ouvrage principal est le traité de sociologie générale publié en 1916, il désavoue tout objectif autre que de corréler les faits sociaux.

L’action humaine est logique lorsque (1) elle est entreprise en vue d’un objectif, (2) l’objectif est atteignable et (3) l’action est appropriée pour atteindre l’objectif.

Des principes comme la liberté, la fraternité et l’égalité de la declaration des droits de l’homme peuvent vouloir dire tout et n’importe quoi. Tous les hommes sont différents à certains égards et tous sont égaux selon d’autres. Ces trois mots apparaissaient au frontispices des prisons, nous rappelle Mitchel.

La charte de l’Atlantique de Churchill et Roosevelt déclarait comme objectif pour tous les homme le freedom from want (absence de manque), une situation qui n’est atteinte que lorsque un homme est mort.

En 1940, lorsque les Etats-Unis proclament le principe de la liberté de navigation, il ne s’agit pas de la liberté des bateaux américains d’aller en Allemagne, ni de celle des bateaux Allemands de naviguer.

Dans certains états américains, le Septième Commandement justifie la peine capitale alors que dans d’autres, il le proscrit.

Des pensées logiques ne déterminent pas en général l’évolution sociale. L’homme n’est pas un animal rationnel. Alors qu’il est manifeste que l’homme ne se comporte pas rationnellement, beaucoup écrivent encore sur des principes théoriques qui justifieraient logiquement une action. Il s’agit souvent de rationalisations.

Beaucoup prêchent aux autres ce qu’ils devraient faire sans s’intéresser à ce que les gens font réellement. Selon Pareto, les faits sociaux peuvent être ramenés à certains résidus, alors que leur justification est appelée une dérivation.

Il distingue 6 résidus même si les deux premiers ont un rôle politique prééminent.

  1. instinct pour les combinaisons: c’est la tendance humaine à combiner différents éléments tirés arbitrairement de l’expérience. La magie, mais aussi les spéculations financières, les idéologies sont le produit de ce résidu.
  2.  persistance de groupe: une fois qu’une combinaison est réalisée des forces se mettent en place en faveur du statu quo.
  3. besoin d’exprimer une émotion par une action: lorsque les humains éprouvent une émotion forte, ils sont poussés à agir indépendamment de ce que l’action accomplisse un objectif.
  4. résidu connectés à la sociabilité: les individus sont prêts à se conformer au groupe dans le but de mieux y appartenir.
  5. intégrité de l’individu et de sa propriété, selon Pareto, ce résidu conduit les hommes à garder leur biens et les conditions de leur existence. Selon lui, il intervient aussi dans les revendications égalitaires.
  6. sexualité : ce résidu correspond à l’instinct de reproduction ainsi que toutes les normes et tabous religieux associés aux pratiques sexuelles.

Les dérivations sont des doctrines, croyances ou théories qui figurent dans les luttes sociales, les principes démocratiques et autres justifications sociales. Pareto propose quatre types:

  1. assertion: la dérivation est simplement affirmée 
  2. autorité: la dérivation fait appel a une autorité (individu, divinité, …)
  3. accord avec les sentiments: à l’aide du 2nd résidu, les hommes convertissent des sentiments en abstractions et en principes durables.
  4. preuves verbales: ce sont des dérivations qui dépendent d’ambiguïtés de preuves fallacieuses et d’appels aux émotions

Le pouvoir de droit divin est ridicule, et cependant, nombre de défenses de cette théorie furent écrites, et il n’est pas clair que de savoir que cette dérivation est ridicule soit souhaitable.

Les individus marqués par la classe 1 sont les renards de Machiavel, alors que les individus marqués par la classe 2 sont les lions.

Athènes, ville opportuniste qui dès sa victoire contre la Perse établi un empire maritime marchand est dirigée par les renards. Les philosophes d’Athènes ridiculisent les dieux de la cité comme des superstitions.

Sparte, une ville où l’innovation était interdite était régie par des lions.

Si les élites prennent par la force le pouvoir initialement lorsque la société est jeune, elles évitent les combats à l’issue imprévisible et lui préfère le compromis et les stratagèmes dans leur période de maturité. Ainsi, l’élite composée initialement de lions va se peupler de renards.

On observe un phénomène similaire avec des élites qui deviennent pacifistes et rechignent à des conflits autres que lorsque le rapport de force rend l’issue du conflit évidente.

 L’élite se doit d’être opportuniste et de s’adapter au changement. Selon Pareto, la forme sociale la plus stable est celle où la masse est composée de lions conservateurs et l’élite de renards. L’inverse garanti une révolution.

L’objet de la science politique est l’étude de la lutte pour le pouvoir dans ses formes ouvertes ou dissimulées. L’opinion contraire serait que la politique aurait pour but le bien commun. Les lois politiques ne peuvent pas être déduites des discours sur la théorie politique.

La logique est la rationalité ne joue pas un rôle important en politique. L’opinion contraire est que l’histoire est la conséquence d’actions rationnelles.

Les processus sociaux sont mieux compris en terme de division entre élites et non élites. L’objectif de l’élite est de conserver son pouvoir et ses privilèges. L’idéologie contraire est que l’élite est au service des masses.

Le pouvoir de l’élite est maintenu par la force et la fraude. La violence n’est normalement que menacée en cas de non-respect des règles, et la fraude n’est pas forcément un mensonge conscient. Une formule politique vient soutenir le régime en place. Il s’agit d’une religion, d’une idéologie ou d’un mythe généralement accepté.

Une élite peut gouverner plus ou moins dans l’intérêt de la population. On ne peut pas se fier à des formules théoriques comme la démocratie, mais à des comparaisons factuelles, comme (a) la puissance d’une communauté relative aux autres, (b) le degré de civilisation et (c) le niveau de vie économique de la masse.

L’elite fait face à deux courants: (a) la nécessité de rester exclusifs, de se fermer au vulgum pecus, et de garantir une place à leur enfants. (b) la nécessité de conserver une possibilité de circulation et d’intégration des membres les plus distingués de la masse. La circulation d’élite est nécessaire comme une soupape de sécurité qui empêche l’explosion et la discontinuité sociale.

Sur le long terme, la seconde tendance fini toujours par prévaloir. On n’arrive jamais à un état statique d’équilibre. Il n’y a pas d’utopie communiste ou démocratique stable. Il arrive parfois un changement rapide de la composition de l’élite. Il s’agit des périodes révolutionnaires. Ce genre de changements arrivent dans les conditions suivantes:

  • évolution technique rapide à laquelle l’élite n’arrive pas à s’adapter
  • l’élite devient oiseuse et se désintéresse de l’exercice du pouvoir
  • incapacité ou refus d’assimiler les non-elites les plus brillants
  • l’élite ne croit plus aux formules qui légitimaient son pouvoir
  • le gouvernement a abandonne l’usage de la force et utilise uniquement la corruption et la fraude

En 1940, l’évolution technique depuis la révolution industrielle a rendu le capitalisme privé et les nationalismes post-renaissance obsolètes. Les membres de l’élite capitaliste ont abandonné le gouvernement pour des recherches culturelles et oiseuses. L’élite a abandonné sa foi dans le capitalisme en même temps qu’elle abandonne la force pour des raisons humanitaires. On préfère réformer plutôt que de punir les criminels, arbitrer plutôt que de casser les conflits sociaux. L’impérialisme est abandonné.

La théorie de la démocratie n’en est pas moins un mythe qui doit être abandonné si l’on veut comprendre l’évolution politique. L’extension du suffrage était dans l’intérêt des nouvelles élites mais ne conduit pas à une situation stable. Cette période voit un risque accru de bonapartisme.

Dans tous les pays démocratiques, on voit une élite qui prétend parler au nom du peuple. Il est impossible de décider si les Etats-Unis sont plus démocratiques que l’Allemagne ou la Russie parce que le problème est entièrement fictif.

Le fait qu’il y ait plus de liberté aux Etats-Unis qu’en Allemagne ou en Russie est un fait, tout comme le fait que les libertés aux Etats-Unis sont sapées depuis les 15 dernières années (entre 1925 et 1940).  

Les machivelliens présentent l’interprétation la plus explicative des faits politiques. L’élite est plus préoccupée de consolider son pouvoir que du bien commun. Quand une opposition existe, elle fait aussi partie de l’élite, mais elle limite le pouvoir. La destruction de l’opposition conduit à une tyrannie sans limite.

Le mythe de l’auto-détermination des masses est contre-productif, et la mesure réelle de l’avancement politique est le degré de liberté que permet le régime en pratique. Les démocrates totalitaires, selon Burnham prétendent servir le peuple et concentre plus de pouvoir dans l’appareil d’Etat. Une personne qui contesterait la légitimité d’une telle expansion serait suspect d’être anti-démocratique. Ils identifient leur volonté avec celle du peuple souverain et leur pratique comme une conséquence logique des grands principes démocratiques qui soutiennent l’ordre social actuel. 

Une dernière question que traite Burnham est la possibilité d’une politique scientifique.

Selon lui, cela recouvre trois questions: y a t-il une science politique? Est ce que les masses peuvent appréhender la politique de manière scientifique? Est-ce que l’élite peut gouverner de manière scientifique?

Il répond à la première question par l’affirmative. La deuxième question a longtemps été sans réponse: on observait que le degré de développement et de démocratie possible s’accroissait avec le taux d’alphabétisation. Les socialiste en 1850 avaient beaucoup d’espoir en l’éducation, et il fallut attendre 1900 pour comprendre que les masses n’ont ni le temps, ni la compétence, ni l’inclination de s’intéresser à la politique. Le discours dirige vers les masses est sans cesse détourné par des appels aux mythes, à l’émotion et aux grandes questions de destinées. Le 20ᵉ siècle n’a fait que confirmer cet état de fait. 

Si les élites peuvent gouverner de manière scientifique, cela suppose qu’elles mentent sur leur croyances. Dans un État démocratique, les élites qui croient aux mythes du discours légitimant ont l’avantage de ne pas avoir la charge cognitive d’un mensonge. On voit ainsi des naïfs arriver au pouvoir qui sont capables de se tromper eux mêmes pour mieux tromper la masse.

Typiquement, ces élites démocratiques promeuvent des politiques aux objectifs irrationnels alors qu’ils sont tout à fait scientifiques dans leur approche de la propagande et de la manipulation des masses.

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