La Nature Humaine en Politique selon Graham Wallas

 Graham Wallas (1858-1932) est un membre de la société Fabienne en Angleterre. 

Les Fabiens sont une société très influente en politique durant la période progressiste de 1880 à 1950 bien qu'elle n'atteint au maximum que cinq milliers d'adhérents. Elle influencera d'abord l'université et les partis libéraux et les conservateurs pour défendre les intérêts des travailleurs et s'alliera ensuite aux socialistes du Labour Party quand ce parti est en mesure de remporter des élections. Il s'agit pour eux d'améliorer le lot des travailleurs par un processus d'évolution politique et syndicale, plutôt que de faire le pari d'une révolution prolétarienne.

Wallas quittera les Fabiens en 1904 suite à leur alliance avec les libéraux. Il continuera comme "progressiste". Il publie La Nature Humaine en Politique en 1907.

Graham Wallas


De l'Existence des Partis Politiques

Wallas explique qu'une liste électorale doit comporter des dizaines de personnes. Ces personnes sont en général inconnues de ceux qui vont voter. L'existence de partis politiques permet de simplifier l'exercice du vote.

Ce faisant, les partis créent des carcans pour ces électeurs et pour les élus. 

Mis à part le problème théorique de décision collective que décrit Condorcet sous Louis XVI et généralisé par Kenneth Arrow en 1950, qui explique comment un choix public met l'électeur médian en position de dictateur, il s'agit là d'un problème pratique : les électeurs n'ont ni le temps ni l'inclination de connaître tant de personnes qui pourtant prendront des décisions importantes les concernant.

L'Éducation et ses limites: Le Pari des Lumières et des Socialistes

En 1800, les taux d'alphabétisation en Europe sont à 34% en France et 54% en Angleterre, pour finir aux alentours de 80% avant l'école obligatoire et a 98% après cela.

L'alphabétisation était une bataille entre l'Église et l'État dont l'enjeu était la légitimation par la fidélité des masses, c'était aussi un remarquable moteur de progrès social. La ou l'Angleterre, les Pays-Bas, la France et l'Allemagne arrivaient à des taux d'alphabétisation de plus de 90%, l'alphabétisation était encore faible en Italie, au Portugal et en Suède, et de 10% a 20% hors Europe.

Wallas est donc l'un des premiers à constater que les milieux populaires, plutôt que de devenir des encyclopédistes prêt à découvrir et à se remettre en cause, utilisent leur alphabétisation pour lire des tabloïds pour confirmer leurs idées reçues, et leur temps libre pour aller à des matchs de football qui deviennent très populaires dans les villes industrielles de Manchester et Liverpool. 

Il s'agit là d'un enseignement que l'on peut tirer des faits sociaux en 1905, mais qui était inaccessible aux auteurs des lumières en 1750 ou aux Marxistes et aux socialistes en 1880.

Tout comme un éducateur doit accepter que les enfants ne sont pas nécessairement curieux d'apprendre à lire ou à compter, Wallas recommande que les bonnes incitations soient mises en place pour la population et la vie de la cité.


Frontière Juste: Nationalisme, Colonisation, Génocide et Eugénisme 

Si le Royaume-Uni apparaît comme une nation depuis fort longtemps, Wallas s'interroge sur la question du nationalisme qui entend universaliser la tendance à l'unification que l'on a vue en Allemagne et en Italie en 1871. 

La question de la frontière est facile à résoudre sur la base des frontières naturelles et de la langue en Angleterre et en Italie, selon lui, ceux qui prêchent l'universalité des États-Nations ont vite fait d'escamoter la question des balkans ou les nationalités varient d'un village a l'autre, et de la plupart des colonies, ou des administrateurs Européens gouvernent des territoires arbitraires ou des tribus coexistent. 

Aussi, il prévoit une guerre en Europe avec l'affrontement de l'Allemagne et de la Russie, qui parait inéluctable en 1907.

Concernant la colonisation, il fait la même distinction que Thomas Piketty:

  • d'une part les colonisations précédentes en Amérique et en Australie ou des populations indigènes vulnérables aux maladies importées par les européens qui ont étés pour la plupart remplacées par des populations plus résistantes venues d'Europe et d'Afrique, et 
  • d'autre part les colonies comme l'Inde et l'Afrique ou la population locale résistent visiblement mieux aux maladies, et qui ne se laisseront donc pas remplacer.

Des théories racistes avaient libre cours en Europe et aux États-Unis au 19e siècle, selon lesquelles les "races européennes" étaient plus "vigoureuses". Peut-être que la colonisation de l'Algérie par la France en 1830 suivait un plan de "grand remplacement" de la population musulmane par des Français. 

En 1907, soit 80 ans plus tard, Wallas prédit que les "remplacements" démographiques ne pourront plus se faire par les maladies infectieuses. Ils requièrent selon lui des "massacres de population systématiques" (le mot génocide n'était connu qu'en 1943), ou des mesures de politique nataliste. Il est sincèrement convaincu de la valeur de la race "anglaise" mais admet, de par la réussite exceptionnelle de certains métis que l'on encourage l'étude scientifique des races et de la question du métissage. Il voit dans l'eugénisme une question importante pour l'avenir de l'Europe et un espoir pour l'humanité.

Cet espoir de l'humanité devait se transformer en cauchemar: dans les décades qui suivirent, la question de l'eugénisme fut récupérée par des populistes à des fins politiques pour justifier la xénophobie, des sous-populations d'Europe furent massacrées dans le but de confisquer leurs biens (il s'agissait d'élites) et d'uniformiser les États-Nations.  

Alors que Wilson imposait en 1918 l'État-nation comme panacée pour la paix, les incertitudes de Wallas concernant l'universalité des Etats-Nations sont validées dans le siècle suivant: par l'instabilité de la frontière Prusse-Pologne-Russie entre 1918 et 1945, les Balkans en 1991 et les questions de partition pour l'Inde-Pakistan en 47, Nigeria-Biafra en 67.

Conclusion

Graham Wallas est un socialiste pragmatique, qui signale honnêtement en 1907 des questions qui n'étaient pas visibles en 1880 au début de l'ère progressiste, ou en 1780 lorsque la constitution des États-Unis est promulguée. 

Ces questions seront évitées par des politiciens qui préfèrent discourir comme si l'on vivait encore à l'époque de la déclaration des droits de l'homme ou de Karl Marx.

Il s'agit des limites de l'éducation, des questions de polarisation selon des lignes partisanes, de frontières naturelles et des droits des minorités pour un État-Nation : le scrutin "universel" n'est envisagé comme légitime qu'au sein d'une frontière et d'une population donnée.



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