2023-11-01

Contention en Politique et la Guerre comme Racket de Protection selon Charles Tilly

Charles Tilly est un historien et sociologue éminent actif de 1964 à 2008. Contrairement à Max Weber, son étude des mécanismes sociaux est inspirée historiquement. Il étudie la contention en politique, les mécanismes de discontinuité sociale, et le rôle de la guerre dans la formation des États. Après ses études en histoire, il est chargé de recherche sur la contention sociale alors que la société américaine fait face aux révoltes anti-racistes des années 60.

Guerre et États

En 1975, Charles Tilly reprend les distinctions de Frederic C Lane concernant le développement du capital et de la coercition en Europe. Face au chaos des invasions barbares en 950AD, la société se réordonne par le féodalisme. Les seigneurs attachés à un fief collectent une rente de protection. Selon l'expression plus tardive de Douglass North ces seigneurs sont des "bandits stationnaires" installant des péages et impôts, alors que les envahisseurs sont des "bandits errants" qui demandent un tribut pour éviter le pillage. 

L'histoire du développement et de la formation des États Européens, est selon Tilly celle de gouvernants qui, avec des intentions malhonnêtes, exagèrent, hâtisent, mais aussi fabriquent les conflits afin de causer des guerres, d'augmenter leurs armées et de justifier leur pouvoir. 

Si Douglass North décrit le gouvernement comme un "bandit stationnaire", Charles Tilly décrit l'État comme l'apex du crime organisé. Malgré ces intentions néfastes, la mise en place d'un monopole de la violence permet  l'investissement, la formation de capital et la différentiation sociale. En cela, l'émergence de l'État permet l'émergence civilisationnelle, même si ce n'était pas l'intention des gouvernants.

L'expression "formation des États" lui semblait plus neutre. Dans son interview, Tilly note que l'expression a vite été reprise dans un cadre téléologique par des conseillers politiques en développement : tel État est-il déjà formé ? Ne faudrait-il pas un long conflit armé pour aboutir à un État fort et une identité nationale ?

Politique de la Contention et Mouvement Sociaux

En 1986, Tilly publie deux titres concernant l'étude des mouvements sociaux revendicatifs. Ceux-ci commencent au milieu du 18e siècle et continuent jusqu'à nos jours. Il y distingue ces mécanismes récurrents : 

  1. campagne et mobilisation d'appel à l'action du pouvoir
  2. un répertoire de contentions : réunions, manifestations, etc
  3. le mouvement doit avoir des qualités reconnues publiquement : justice, unité, nombre, engagement.

Mécanismes de Discontinuité Sociale

Selon Tilly, l'État accapare l'armement afin de se prémunir contre les révolutions. Pour cette raison, une révolution n'est possible qu'avec la défection des élites de l'armée. 

Cela explique notamment que les coups d'État sont en général organisés par l'armée. Pour les révolutions, une délégitimation du gouvernement en place est nécessaire. 

Ce mécanisme apparait aussi bien lors de la révolution jacobine, de la révolution bolchevique, et lors du réveil islamique en 2011 en Tunisie, Égypte et Libye.

Entretiens avec Daniel Little

Conclusion

Charles Tilly a une capacité d'abstraction exceptionnelle et cependant il l'utilise pour éviter les généralisations. Il définit le social comme l'ensemble des relations entre humains, et la sociologie comme son étude. Il considère que Max Weber était parfois trop théorique et essaie de revenir à une description historique et une science qui a une valeur prédictive.

Sa vision de l'histoire n'est pas téléologique. Il se veut descriptif et non narratif, il n'a pas d'agenda ou de sens de l'histoire.

 

2023-10-22

L'Etat du 3e Millénaire selon Hans Adam II

Hans Adam II est souverain du Liechtenstein, un micro-pays rural de 30,000 habitants sans grande ville ni ressources qu'il a mené de la pauvreté après-guerre à un PIB de 184,000 dollars par habitant en 2023. 

Il publie en 2009 l'État du 3e millénaire qui retrace l'histoire politique, et présente ses préconisations. Sa recette est l'autodétermination et la décentralisation, et la défense patiente du bien public face aux intérêts spéciaux.

Le Prince Hans Adam II, credit: wikicommons et 


Histoire Mondiale vue du Liechtenstein

  • L'histoire humaine commence il y a 2 millions d'années avec l'Homo erectus
  • L'agriculture ne se développe dans le croissant fertile et la Turquie il y a 12000 ans, c'est la première révolution civilisationnelle (la seconde étant l'imprimerie, la troisième l'industrialisation)
  • L'organisation politique existe déjà chez les sauvages, avec un chef, et en second rôle un shaman, la légitimation religieuse du monarque est un phénomène essentiel aux sociétés humaines
  • Société agricole : citoyen-soldat pour les petits États. Pour les grands États, on ne donne pas d'arme ou d'entrainement aux gueux pour permettre un meilleur contrôle. L'agriculture requiert beaucoup de travail au moment des semences et des labours, la population étant oisive en dehors de ces périodes, il faut trouver à l'occuper : construction de châteaux et corvées.
  • Les grecs distinguaient Monarchie, Oligarchie et Démocratie, suivant le nombre de personnes qui exercent le pouvoir. 
  • Un cycle existe entre les trois régimes, qui dégénèrent de la monarchie à la démocratie et conduise à l'anarchie et l'émergence d'un nouveau monarque
  • Des courants antireligieux apparaissent au 18e siècle. L'homme moins religieux est peut-être plus éduqué ou plus intelligent, mais il est plus individualiste et a moins d'enfants.
  • La religion ne peut plus être une source de légitimation du souverain, et un accord entre pouvoir exécutif, oligarchie administrative et le peuple doit être mis en place.

Démocratie et Autodétermination

  • Pour que l'exercice du pouvoir soit démocratique, il faut une démocratie directe. Un représentant unique comme un président est un monarque élu pour quelques années. 
  • La monarchie dans certains pays a été dépouillée de son rôle politique. Le monarque a l'interdiction d'exprimer une opinion politique. Quand le roi Baudouin de Belgique refusait pour des raisons éthiques de ratifier une loi, il était déclaré incapable pour un jour et une autre personne signait a sa place contre son gré. La famille royale est attachée au gouvernement, mais interdite de politique, ce qui la condamne à une existence paradoxale. La presse à scandale espionne les maisons royales européennes depuis les années 50. Tout cela rend un mariage avec une famille royale peu attrayante pour des personnes de qualité. Le chef du gouvernement est dans ce cas le monarque. Il est élu pour une période assez courte de quatre ou cinq ans.
  • Le Liechtenstein a une loi de la maison princière qui datait de 1606 et a été mise à jour pour réglementer la déposition du prince en d'incapacité constatée par la famille. Le prince est souverain. Le peuple a la possibilité de demander un référendum pour passer en république, et peut demander la sécession au niveau communal.
  • La nomination des juges et la délibération des lois au Liechtenstein a permis au prince Hans-Adam de voir comment la saucisse est fabriquée, selon lui, ni la fabrication ni le résultat ne sont appétissants. 
  • Auto-détermination : la sécession de républiques soviétiques était possible de jure selon la constitution de Staline, mais ce droit n'existait pas en pratique. Elle était possible de facto en 1991, mais anticonstitutionnelle.
  • La sécession est attractive pour de grandes sous régions, et peut donner lieu à l'oppression d'une minorité dans ce grand territoire.
  • Les francophones québécois majoritaires voulaient prendre toute la province, y compris les ressources naturelles du nord, alors qu'ils ne sont majoritaires que le long du fleuve. Le pouvoir d'auto-détermination doit être donné à un niveau le plus local possible pour éviter la création de poches minoritaire sans représentation.
  • État-providence : il a pour but avoué de créer le paradis sur terre. Le paradis sur terre, s'il est créé, ne l'est que pour une minorité
  • Redistribution permet la justice sociale, pourquoi un père de famille bavarois devrait payer la retraite d'un fonctionnaire sans enfants à Berlin. Ne devrait-on pas s'assurer de la solidarité au niveau local, ou sinon, ne faut-il pas redistribuer pour obtenir une justice sociale au niveau mondial ?

Prescriptions

  • Agenda de réformes : 
    1. Retraite à fonds 
    2. Réformes du travail 
    3. Décentraliser la solidarité
  • Transports : trop de routes, pas assez de chemins de fer, trop d'intervention inefficace de l'État
  • Financement : les impôts ne doivent pas affecter les comportements, TVA pour financer les fonctions régaliennes (justice, affaires étrangères), impôts directs (foncier, revenus) pour les gouvernements locaux. La TVA peut être mise à un taux unique plutôt élevé, les taux variables sont clientélistes et inefficaces. Les impôts directs suivent une formule identique pour éviter les arbitrages. Les taux sont différents, reflétant des choix sociaux différents, ce qui ne cause pas de migration, car les préférences personnelles et l'attachement a un modèle communautaire donne est en pratique plus important que d'optimiser quelques pourcents d'impôt.
  • Monnaie : on utilise le Fr Suisse, un projet de monnaie métallique (or) était en discussion, ou une monnaie métallique serait produite avec une réserve à 90% en métaux précieux et certaine parité à un panier de devises référence. Notons que le Franc Suisse était étalonné au Dollar et donc à l'or jusqu'à 1973, et le prince écrit avant l'apparition de Bitcoin.

Conclusion

C'est un ouvrage qui articule des idées que j'attribuerai à James Burnham, Eric Hoffer, Eric von Kuehnhelt Leddihn, Francis Fukuyama, Mansur Olson, Douglass North, Charles Tilly, James Buchanan et Hans Herman Hoppe. S'il n'y a pas de références à cet ouvrage, il est plus court que les œuvres de ces auteurs, son ton est réaliste, inspiré de l'étude de l'histoire et de la pratique politique du Prince. 

S'il est clément dans son jugement envers Woodrow Wilson qu'il voit comme un pionnier de l'autodétermination, un autre auteur comme Graham Wallas en 1904 expliquait déjà que le système d'État-nation que les États-Unis essaient toujours de répliquer dans le reste du monde s'applique peut-être dans certains pays homogènes unifiés par les guerres napoléoniennes, mais pas dans les Balkans, en Afrique ou en Asie centrale, ou la création de grands États-nations implique l'oppression de minorités non représentées.

Sa politique a permis de conduire le PIB du pays à 187,000 dollars par habitant, alors que l'Allemagne stagne a 48,000 dollars par habitant. Cela l'autoriserait à être aussi dédaigneux des régimes occidentaux aux politiques ineptes que ceux-ci ne l'étaient envers les démocraties populaires dans les années 70.

Le prince porte cependant un jugement modéré concernant les démocraties libérales, bien qu'elles bafouent l'autodétermination de leurs propres populations et créent des dispositifs d'assurance sociale qui détruisent les mécanismes d'entraide locaux. Cela lui permet d'inscrire son opinion dans la sphère du consensus et d'être plus influent.


2023-10-02

L'Europe Declassée? selon Blanchard, Pisani-Ferry, Wyplosz

En 2004, après la défaite du référendum sur la constitution Européenne, trois économistes français de centre-gauche influents et conseillers de longue date des gouvernements s'expriment sur le bilan et les perspectives économiques européennes.

Olivier Blanchard, credit: wikicommons

Les trois articles et leurs auteurs :

  • Les limites du plus d'Europe, Charles Wyplosz: ECP70 Harvard PhD78, professeur à Genève à l'Institut des Hautes Études Internationales et du Développement. Intérêts : macroéconomie, monnaies, marche du travail, membre de think tank de centre gauche progressiste réformiste.
  • L'Europe ne va pas si mal, Olivier Blanchard : ESCP70, MIT PhD77, professeur au MIT et chef économiste du FMI. Interets: macroéconomie, nouvelle école keynésienne, il se définit politiquement comme très à gauche en 68 puis devenant social-démocrate.
  • Les limites des paradoxes, Jean Pisani-Ferry : Supelec 73, CEPE 77, conseiller économique de DSK et France Stratégie,  il se définit politiquement comme "le plus Bruxellois des économistes de gauche". 

Faits Économiques

Il y a consensus sur les faits en 2004 :
  • l'Européen est toujours plus pauvre que l'Américain, le rattrapage des 30 glorieuses fait place à une situation ou le PIB par habitant est 30% plus bas et cela empire du fait d'une croissance atone dans l'UE15 comparée aux États-Unis ou a l'Asie.
  • cet effet s'ajoute à une natalité moindre, qui diminue le poids de l'europe dans le monde.
  • l'économie française est typique de ce manque de dynamisme, il y a tout de même un rattrapage apparent en termes de productivité horaire, car le nombre d'heures travaillées est en réduction 30% de 1970 à 2000
  • Le rattrapage apparent de la productivité horaire est cependant un artefact de l'exclusion en Europe des travailleurs les moins productifs. Les mesures sociales : l'age de retraite, protections sociales et salaire minimum réduisent le taux de participation. 

Perspectives et Politique

Charles Wyplosz est de centre-gauche, mais sa thèse peut paraitre neo-libérale : selon lui, la France et l'Allemagne n'ont pas fait les réformes structurelles. Les aides sociales et la retraite toujours trop tot detruisent l'emploi et créent une armée de rentiers miséreux qui ont abandonné la recherche d'emploi et sont politiquement mobilisés par la gauche. 

Si les critères de Maastricht entrainent des réformes impopulaires, il y a un risque de délégitimation technocratique par manque de démocratie de l'UE.

Selon lui, il y a un autre risque de collusion pour empecher la croissance européenne par une coalition de pays mal gérés mais dominants par leur taille. Les Pays-bas voient avec crainte les démagogues franco-allemands dénoncer le "dumping social", et sont rassurés par le contrepoids Anglais. 

De plus, les négociations sont minées par l'effet de cliquet des "acquis communautaires" qui devraient être acquis pour dix ou quinze ans, mais pas éternels. 

Ces risques limitent l'intégration et l'expansion de l'UE, qui doit mieux définir ce qui est du ressort national et ce qui est du ressort Européen. 


Olivier Blanchard est plus optimiste. Selon lui, la stagnation du PIB par habitant correspond à un choix social exprimé de travailler moins par les européens.

La comparaison de la productivité horaire française et américaine est difficile à évaluer précisément parce que les moins productifs sont exclus des marchés européens du travail par des mesures sociales. Il semble cependant qu'il y a divergence en faveur des États-Unis à cause du secteur des technologies de l'information.

Pour ces mesures difficiles de régulations et de productivité, Olivier Blanchard cite des recherches du Mc Kinsey Global Institute, dont il est l'un des conseillers économiques. 

Il note l'effet de cliquet d'acquis sociaux difficiles à reformer. Par exemple, la création du CDD en France qui devait flexibiliser le marché de l'emploi entraine une crispation des employés en CDI et la précarisation des CDD, aboutissant à un clivage social. Il cite le privilège des intermittents du spectacle qui avaient droit à 12 mois de chômage pour 3 mois travaillés dans l'année précédente. La réforme qui a rogné un mois d'allocation et mesure les 3 mois dans les onze mois précédent a causé un an de grèves et l'annulation des festivals.

Mais selon lui, le marché unique entraine des réformes :
  • elle permet de relever la compétitivité : les conducteurs de poids-lourd longtemps protégés en France font maintenant l'objet d'une concurrence intense
  • certains syndicats en Europe sont conscients de la nécessité d'un rendement du capital, sans quoi le capital s'enfuit. Ceux qui, comme la CGT, sont encore dans un schéma de lutte des classes, causent une désertification lente de leurs industries vers celles des travailleurs flexibles,

Il reste cependant de nombreuses poches de travailleurs privilégiés, notamment dans les monopoles du secteur public. La compétence européenne pour arbitrer les questions de compétition et permet de détruire les rentes de service public en démantelant les situations de monopole. 

Selon lui, le principe de subsidiarité n'est pas appliqué par les États, afin de maximiser le pouvoir de l'UE et de favoriser ce travail de sape. 

Si les acquis et donc les réformes sont méthodologiquement impossibles à comparer quantitativement, on observe que pour 7 réformes menées en Allemagne, 4 augmentent la flexibilité et 3 la diminuent. Il s'agit d'un va-et-vient plus que d'une tendance claire.

Jean Pisany-Ferry revoit les analyses des deux précédents économistes, il ajoute qu'un choix politique de direction doit être fait entre une évolution en profondeur avec plus d'intégration politique et une évolution en surface avec une extension du champ du marché commun.

Concernant la centralisation pour plus d'Europe, la politique des transports et de la recherche doivent être menées au niveau européen. Quant aux réformes sociales, elles ont des résultats locaux et le principe de subsidiarité doit s'appliquer, sans quoi la légitimité démocratique de l'institution européenne sera mise en cause. Il note que l'Italie et la France s'appuient sur les critères de Maastricht comme une contrainte externe, alors qu'un déficit structurel de 3% sans croissance mène éventuellement à la faillite.

Pour les pays membres de l'Euro, la politique macroéconomique doit être coordonnée au niveau européen afin d'aligner la politique monétaire et fiscale. Il note que l'Euro n'est pas une panacée, notamment les États-Unis ont une volatilité moindre de leur croissance.

Conclusions

En 2004, le discours d'économistes sociaux-démocrates du centre gauche semble conforme au consensus de Washington de démantèlement de la protection sociale en France par la concurrence internationale. L'opinion publique en France est à gauche de ce consensus qui parait plus néo-libéral que de centre-gauche.

J-C Trichet, gouverneur de la Banque de France en 1993 expliquait avec satisfaction que la France serait forcée par Maastricht  à liberaliser, force est de constater en 2004 que la France a choisi plus de loisirs avec la mesure phare des 35 heures de Martine Aubry. Les gouverneurs de la banque centrale italienne partageaient cette opinion, se plaignant que l'Italie est ingouvernable et que le traite de Maastricht apporte une contrainte externe, le "vincolo esterno", qui est salvatrice.

L'Allemagne poursuivra des réformes structurelles avec Hartz IV alors que la France et l'Italie continuent la désertification du tissu industriel conformément au mécanisme présenté par nos trois économistes. 

Alfred Sauvy, qui était conseiller économique sous Léon Blum explique que le passage aux 40 heures lors du front populaire était une catastrophe sur le plan de la production et du chomage, mais que les économistes et politiciens craignaient que ce soit impopulaire. La baisse de la participation et du temps de travail est toujours vue comme un mal par les économistes si elle est cause d'exclusion.

La gauche par définition est en faveur de la consolidation des acquis sociaux et de leur progression. Qu'est-ce qui, pour ces économistes, définit leur orientation politique en 2004 comme étant de gauche alors qu'ils proposent de démanteler les acquis sociaux par la compétition internationale? 

Ces économistes pensent que la France est allée trop loin dans la diminution de la quantité de travail par des mesures qui entretiennent chômage de masse, exclusion et rentes de situation. Selon eux, une remise en cause de ces acquis permettrait d'améliorer le lot du français moyen, et peut-être d'atteindre une société plus égale.


2023-10-01

Civilisation Materielle, Structures du Quotidien selon Fernand Braudel

Alors que l'histoire est souvent la biographie des grands hommes ou l'étude des aiguillages critiques, Fernand Braudel est un historien français qui publie de 1963 a 1979 une analyse en trois tomes des conditions matérielles sur le temps long. 

Fernand Braudel. Credit: wikicommons

Nous nous interessons ici a la premiere partie, l'évolution démographique depuis le 16e siecle.

Population Mondiale

L'estimation de la population en 1600 fait l'objet d'incertitudes, de manipulation politiques et de réécritures téléologiques de l'histoire pour maximiser ou minimiser l'impact génocidaire des colonisations. Minimisé dans une vision souvent ethnocentrique du développement civilisationnel de la destinée manifeste et du colonialisme du 19e siècle, maximisé pour un point de vue décolonialisateur qui apparait entre deux guerres et devient dominant après la seconde guerre mondiale.

Le dynamisme de la population européenne jusqu'en 1900 est souvent attribué à différents facteurs  de progrès civilisationnel: tel l'allongement de la vie par les progrès de la médecine et de l'hygiène. 

Cependant, l'Asie a vu une augmentation comparable a l'occident dans des conditions parfois insalubres. Braudel décrit le déplacement  de la limite malthusienne. 

Selon Braudel, ce qui dirige la population est la productivité agricole. Celle-ci dépend principalement des techniques de culture cerealiere sur un territoire donné.

Productivité Agricole

Chaque céréale a des implications différentes sur le développement : 

  • en Europe, le blé est la principale source de calorie. La France voit une hausse de productivité de 3 grains pour 1 semé en 1200 à 6 en 1800, les pays les plus avancés, l'Angleterre et la Hollande atteignent 10. Les céréales représentent 50% à 75% de l'apport calorique et plus car certains ouvriers italiens mangent un gros pain qu'ils accompagnent d'une tomate ou d'un oignon.  L'assolement triennal conduit à produire des plantes de fourrage. Les paysans ont recours au bœuf et cheval pour tirer la charrue, le fumier permet de fertiliser. L'Europe met des siècles à optimiser la culture.  
  • en Asie, le riz est la principale culture, avec 7.3e6 cal/ha, contre 1.5e6 pour le blé et 3.4e5 pour l'élevage consacré à la viande, alors que d'importants travaux hydrauliques renforcent le développement administratif quatre siècles avant JC, ce n'est qu'entre le 11e et 12e siècle de notre ère qu'une variété permettant deux récoltes par an est introduite. La productivité est telle que les animaux ne sont pas utilisés, pratiquement tout le travail est fait par des hommes, la ou le riz est cultivé. Les déchets domestiques des villes et les excréments humains sont utilisés comme engrais, ce qui cause une puanteur des villes et des campagnes environnantes. L'évolution du 12e siècle s'accélère avec l'apparition de la patate douce et du mais introduits d'Amérique par les espagnols.
  • en Amérique, le maïs est la base des civilisations incas, maya et aztèques. Le maïs produit de nombreux grains, il produit 70 grains par grain plante en zone aride, et 10 fois plus dans les zones les plus favorables. Une autre spécificité est qu'il ne requiert que 50 jours de travail par an. Que peut-on faire de paysans oisifs ? Braudel note que ces sociétés ont développé des régimes théocratiques qui organisaient des travaux d'architecture grandiose, avec des temples pyramides et des murs à appareillage cyclopéens.

Civilisation à haut niveau d'usage énergetique

Comme l'explique Braudel, l'évolution des techniques agricoles détermine la population des nations avant le 19e siècle et l'avènement de la révolution industrielle et de ce que Boyden (et maintenant Jancovici) appelle la civilisation à haut niveau d'usage énergetique.

Notons qu'au 18e siècle, la construction d'infrastructures (routes, canaux, moulins a vents) s'intensifie sous l'effet d'une compétition européenne et surtout, comme le souligne John Darwin, d'une course a la production de l'Angleterre avec les colonnies. Même sans progrès technique, des infrastructures qui auraient pu être mise en place à l'époque d'Archimède sont installées en Europe. 

Le capitalisme libéral incite alors à la compétition et l'innovation et amène la révolution industrielle. Le développement scientifique et technologique s'intensifient. Ce n'est qu'alors que les progrès de la médecine causent l'explosion demographique de l'Europe puis apres 1950 des pays sous-developpés décrite par Alfred Sauvy.

Défis de la gouvernance: le 18e et le 21e siècle

La plupart des évolutions historiques suivent la découverte de nouvelles techniques. L'exception semble être la révolution capitaliste au 18e siècle qui impose une meilleure application en Europe des technique connues et un declassement des propriétaires terriens conservateurs en faveur d'entreprenneurs commercants à cause de la compétition commerciale avec l'Inde et la Chine. 

Des pays entiers peuvent etre déclassés: l'Espagne n'est pas entrée dans la course à la productivité contre l'Angleterre au 18 siècle, son élite a dilapidé sa rente coloniale dans une politique irrationelle de construction de superbes cathédrales et monastères, peut-être pour mieux légitimer la monarchie de droit divin et perpetuer le statu quo social.

La transition européenne vers de nouvelles énergies est un autre cas ou la volonté politique précede la découverte. L'Allemagne semble vouloir engager l'Europe dans une politique de production moins éfficace et d'investissement d'économie d'énergie à tout prix motivée par un sentiment diffus de culpabilité et une volonté de décroissance mal assumée. Cela pourrait accroitre la désertion du tissu industriel européen. 

Le problème est qu'il n'y a pas de critère accepté de succès de la transition energetique. Contrairement a la course à la production du 18e siècle, c'est une politique irrationelle au sens de Burnham.



2023-09-17

L'Europe Submergée selon Alfred Sauvy

L'Europe Submergée est publiée en 1987. Nous avons précédemment revu un ouvrage d'Alfred Sauvy publié en 1964 : l'Opinion Publique.

L'equipe de France (credit: wikicommons)

Démographie

La démographie est une donnée simple, factuelle et inexorable. Autant de raisons qu'elle intéresse peu les politiciens. Ils concentrent leurs efforts pour briller dans les grands débats pour remporter les élections.

La fécondité moyenne d'une femme permet au maximum 12 enfants. Cela permet d'assurer le renouvellement quand la mortalité infantile est élevée. Dans des conditions optimales sans mortalité infantile, la population peut être multipliée par 6 en une génération. 

  • Une forte natalité impose des couts, car les enfants sont dépendants et requièrent des infrastructures spécialisées : il faut plus former d'instituteurs, construire d'écoles. Il y a ensuite parmi ces enfants une plus grande compétition pour les formations et les diplômes.
  • Une basse natalité réduit les couts d'éducation. Le vieillissement croissant réduit ensuite la population active. Les personnes âgées sont dépendantes. Elles consomment, mais ne produisent plus.

Il faut 2.1 enfants par femmes pour assurer la stabilité de la population et éviter de faire face à des investissements et des besoins de services liés à l'augmentation de la population jeune ou vieille. 

  • la natalité est bien en dessous de 2.1 dans les pays développés depuis la pilule contraceptive, car 40% des grossesses n'étaient pas prévues avant son introduction en 1960
  • la natalité reste bien au-delà de 2.1 au Maghreb et au Sahel comme dans les autres pays émergents, alors que des mesures de santé publique très basiques ont permis d'éliminer 95% des causes de mortalité infantiles et de ramener à 2.1 le taux de natalité nécessaire au remplacement.
Cette évolution n'est pas voulue. Le développement de la pilule contraceptive commence avec la découverte en Inde par le docteur Sanyal du pouvoir stérilisant sur les éléphants du pisum sativum en 1951. En 1952, trois fondations américaines (Ford, Rockfeller, Carnegie) créent le Population Council, avec pour objectif la limitation les naissances dans les pays en développement et des motivations eugénistes. L'effet, contraire à l'intention, a été de limiter les naissances des populations les plus éduquées. 

Les enfants ne naissent plus la où le meilleur enseignement et les ressources sont disponibles et il y a une pression démographique du Sud vers le Nord. Sauvy se cantonne à une causalité environnementale et non génétique de l'inégalité parmi les hommes. A cet aspect environnemental s'y ajoute aussi l'effet dysgénique. Sauvy mentionne que la question de génétique est devenue tabou depuis la politisation du sujet par l'extrême droite européenne dans les années 20 pour justifier leur nationalisme. Il estime que les résultats obtenus avant-guerre ne sont pas fiables vu l'agenda politique de l'époque. Sauvy ne mentionne pas que selon des études américaines faites depuis les années 70, l'influence génétique domine les causes environnementales pour les performances cognitives à partir de l'age de 13 ans. Ces résultats entrevus depuis 1970 sont si peu désirables que personne ne veut approfondir ce domaine. 

Sauvy fait un tour de monde des pays développés. Le Japon n'a pas recours à l'immigration, alors que la France, l'Italie, et l'Allemagne sont en phase de remplacement par des africains, l'Espagne et les États-Unis par des immigrants d'Amérique latine.

Pour l'Espagne, l'Italie et l'Allemagne, il note que les régimes totalitaires ont eu une politique nataliste, et que la natalité baisse fortement lorsque le pays est repassé en démocratie libérale.

Diagnostics Erronés

Sauvy fait en 1985 des prévisions de population à 30 ans pour 2015, et il est juste à 10% près.

Lorsque l'âge moyen avance, les journalistes et politiciens voient cela comme un point positif lié à plus de longévité, alors que c'est l'érosion de la natalité qui est principalement responsable. 

De même, les politiciens africains ne voient rien de mal à une démographie galopante, alors qu'un taux de dépendance trop important est un frein au développement.

Comme il l'a fait dans l'Opinion Publique, il revient sur certains mythes :
  • mythe de l'abondance : si Lenine prévoyait que la société soviétique n'aurait plus besoin d'argent dans "quelques années" pour distribuer la richesse produite tant elle serait abondante, Engels soutenait que cela arriverait dés la victoire du prolétariat
  • mythe du seigneur : si Sauvy n'explicite pas ce mythe proche de l'abondance, l'Etat peut toujours payer, et toutes ses décisions peuvent être maintenues éternellement
  • mythe de la machine mangeuse d'emplois : il faudrait faire moins d'enfants car il y a trop de chômeurs.
En général, les mythes sont populaires parce qu'ils permettent de justifier quelque avantage et non par réalisme. Citant Toujours Plus, un livre de Francois de Closets publié dans les années 80, les français sont moins soucieux de justice que de se faire une niche confortable, et de se trouver un bouc-émissaire.

Sauvy comme François de Closets expliquent que les chercheurs ne veulent pas faire de recherche dans un domaine où les découvertes ne seraient pas socialement désirables. Il est défavorable, voire dangereux d'être le porteur de mauvaises nouvelles.

Les quatre défaites démographiques de la France

  1. traité de Paris en 1753 : la Louisiane, qui représentait 1/3 des États-Unis est alors perdue quand un territoire avec 70,000 français est cédé à des Anglais qui ont 1 million de colons. Il eut fallu envoyer 1000 français coloniser tous les ans, ce qui aurait couté aussi cher que la construction du château de Versailles. Le traité de la défaite qui promet la dominance de l'anglophonie est le premier rédigé en Français et non en latin.
  2. Sedan 1871 : la France perd une guerre alors que l'Allemagne est un jeune pays et la France est vieille. Selon Sauvy, la différence de dynamisme aurait causé des doutes sur la pérennité du "couple" franco-allemand et mené droit à la guerre de 1914.
  3. Algérie 1954 : comme le faisait remarquer Graham Wallas en 1904, les États-Unis et l'Australie étaient probablement les dernières colonisations génocides. Sauvy aussi note que l'Australie critique maintenant la France pour son traitement des Canaques en Nouvelle-Calédonie, alors que les Australiens ont mené une colonisation qui fait de la population aborigène une infime minorité en Australie. En Algérie, le développement de la santé publique assure au 10 enfants par femme musulmane une domination démographique que Sauvy expliquait au général de Gaulle après-guerre, et que le général comprenait.
  4. les retraites en 1974 : le taux de fécondité passe en dessous de 2.1 en 1974. Malgré cela, le gouvernement élu en 1981 passe la semaine aux 38h et la retraite à 60 ans.
Vente de la Louisiane 1803 (credit: wikicommons)

Conclusions

Selon Sauvy, la France et l'Europe se sont engagés dans la voie de l'immigration pour remédier aux problèmes démographiques d'érosion de la base de la pyramide des ages. Cette transition n'est pas assumée par la population. Les politiciens ne parlent plus en 1987 d'assimilation, mais d'intégration, ce qui selon lui, indique que l'on a abandonné l'idée d'une société homogène.

Étant donné la situation du financement des retraites, il se demande si ces immigrés accepteront de voir leur revenu confisqué au nom de la solidarité intergénérationnelle en faveur d'une population différente et plus riche. Il prévoit des conflits sociaux qui se polarisent suivant l'age plutôt que suivant la classe sociale.


2023-09-02

L'Opinion Publique selon Alfred Sauvy

Alfred Sauvy est le père de la démographie en France. Directeur de l'INED (Institut National d'Etudes Démographique), professeur au collège de France. Il écrit de nombreux livres accessible au grand public. 

Pourquoi publie t-il L'opinion Publique en 1964?

Alfred Sauvy en 1983, image credit: wikicommons

Le personnage et ses motivations

Un désir sincère d'éduquer et d'informer transparaît dans ses livres. Sauvy écrira pour contrer certains mythes tenaces, parmi lesquels le "malthusianisme" francais :

  • faire moins d'enfants qui consommeraient trop de ressources
  • travailler moins pour partager le travail.
Membre de X-Crise (X1920), il est conseiller des ministres de l'économie sous le gouvernement Léon Blum en 36, et Daladier en 38. 

Sauvy nous permet ainsi de mieux comprendre le contexte dans lequel Jacques Delors se plaçait lorsqu'il se déclarait dans ses mémoires contre le "malthusianisme réactionaire", ce qui est peut-etre une critique voilée du malthusianisme progressiste qui causa des déboires au Front Populaire.

Sa soeur, Titayana, est un "grand reporteur" qui mène une vie de voyages lointains et d'écriture dans les années folles. Coiffée à la garconne, avec un avion qu'elle pilote elle même, elle visite le Maroc, la Turquie, l'Iraq, la Chine, le Japon, l'Indonésie, les iles Fidji, Tahiti. Suite à la mort de Pierre Sauvy sous le bombardement anglais en 1940 à Mers El Kebir, elle collabore et publie des écrits antisémites. Condamnée à l'indignité nationale après la guerre, elle purgera une peine de prison en France et finit sa vie à San Francisco.

Alfred Sauvy sera mieux traité à la libération, se voyant proposer un poste au gouvernement pour la famille par le général De Gaulle, il préfere se concentrer sur la démographie avec la formation de l'INED.

Un tribunal populaire

La démocratie libérale s'appuie délibérément sur le jugement populaire. Il s'agit d'un tribunal rédouté par les gouvernements, les juges, et les syndicats. Toutes les institutions formelles se plient devant l'institution informelle du Vox Populi, Vox Dei.

Pour se manifester, l'opinion publique doit trouver un point de résistance : une autorité, une puissance étrangère, ou des techniciens rationnels. L'opinion publique se manifeste dans la sphère de la controverse légitime, on n'invoque pas l'opinion en cas de consensus ou de déviance.

L'opinion peut suivre différents modes :
  1. opinion ouvertement affichée et claironnée
  2. chuchotée 
  3. suffrage universel non obligatoire
  4. suffrage universel obligatoire
On observe "des courants d'opinion". Ainsi, l’isolationnisme aux États-Unis est populaire en 39 et sera peu à peu relégué alors que les va-t-en-guerre claironnent leur opinion.

Composer avec la base : 

Pour Sauvy des incidents spontanés montrent facilement que les responsables sont "hors-sol". Des  épisodes politiques catastrophiques sont selon lui :
  • le passage au 40h de travail hebdomadaire sous Léon Blum contre l'avis de ses économistes
  • la politique d'alliances dans les années 30 incohérente avec le pacifisme du pays
Opinion Permanente vs Courants d'opinion
  • Certains dogmes civilisationnels sont institutionnalisés. Certaines institutions sont impopulaires par constitution : il n'y a jamais d'association des amis du fisc.
  • Certains tabous sont invoqués pour discréditer une politique : par exemple, aux États-Unis, qualifier quelque chose de "unamerican" 
  • Un homme public doit savoir nager. Nager à contre-courant, même si l'on a raison, donne la certitude d'avoir tort.
  • En 53-54, tous sont contre la Communauté Européenne de Défense: De Gaulle, Auriol, le Comte de Paris
  • Guerre d'Algérie : les positions communistes amènent la droite à s'aligner pour soutenir la guerre. Il n'y a pas de dissidence.
  • Les peuples fort sont ingrats (selon Plutarque) Clemenceau sera remercié en 19, De Gaulle et Churchill en 46. Ils sont jugés sur le futur plus que pour leur contribution passée.
  • Les individus ont d'abord une certaine attitude, et se font ensuite une opinion cohérente avec leurs intérêts. Ils partent de ce qu'ils veulent et raisonnent ensuite.
  • L'opinion publique "libre" en démocratie libérale ne correspond souvent pas à la volonté du peuple, mais à ceux qui parlent le plus fort
L'opinion publique dans les régimes autoritaires existe 
  • On perçoit des discordances dans le discours officiel, et il y a une opinion chuchotée.
  • La politique peut plus s'éloigner de ce que donnerait le suffrage universel (Note: le théorème de chaos démocratique est découvert après 1964)
  • Écorner le dogme est plus dangereux pour le régime autoritaire.
On note des courants d'opinion supra-nationaux : ainsi l'anti-racisme puis l'anti-colonialisme sont des courants très puissants en 1964.

Raison contre Émotion

  • Le tribun sait titiller l'opinion dans le sens du poil
  • En politique extérieure, l'accord Hoare-Laval de partition de l'Ethiopie en 1935 aurait peut-être évité la guerre en Europe, mais il provoque l'indignation. Chamberlain pouvait obtenir l'aide de l'URSS en 1939 au prix des pays Baltes, ce qui est refusé pour des raisons émotionnelles.
  • Les vrais croyants refusent d'examiner un argument qui les contredit.
  • On observe parfois au parlement deux technocrates de factions opposées débattre et dégager une parcelle de vérité factuelle. Cela cause un grand désarroi chez les cadres du parti les plus fidèles, qui, craignant la débandade, appellent à l'émotion, ce qui fait que les factions se polarisent et toute discussion de bonne foi est abandonnée. 
  • Quand la foi est vive : une opinion rationnelle sera perçue comme démoniaque
  • Quand on doute : le rationaliste est un briseur de rêves, il risque le même sort violent que le porteur de mauvaises nouvelles.
  • L'émotion va souvent dans le sens de la justice, ou d'une inertie salvatrice.

Formation des Nouvelles et de l'Information

  • Certaines nouvelles sont des faits incontestables, le vainqueur d'une guerre ou d'une élection et sont relayées par tous
  • D'autres sont moins simples, sujette à des filtres inconscients, une sélection et déformation
  • Les déviations se font dans le sens de l'intérêt économique des consommateurs de nouvelles
    • Inflation pour salariés et consommateurs
    • Pénurie en temps de guerre
  • L'information tend à appuyer ses sentiments, et resserrer la cohésion de groupe
  • La transmission spontanée est plus sujette aux biais. Une question solennelle avec un temps de réflexion réduit la déviation
  • Le stade ultime de biais consiste à amplifier et déformer l'information pour réduire au silence les adversaire. On pense au faux Henry lors de l'affaire Dreyfus. (Note: ou Colin Powell remarquable pour ses déclarations, à 35 ans d'écart concernant MyLai durant la guerre du Vietnam et les armes de destruction massives avant la guerre en Iraq).
  • Ls chiffres sont utilisés dans un contexte où ils ne veulent rien dire, pour appuyer un discours plutôt que d'éduquer.

Le Visible et Superficiel et le Profond

Quand des spécialistes étudient un dossier sans a priori du résultat, soit ils arrivent à des conclusions différentes, ce qui indique que l'instrument d'observation n'est pas au point. Lorsque les conclusions sont les mêmes, cela correspond à un diagnostic objectif, qui n'est pas toujours celui de l'opinion.

L'opinion collective est souvent plus retranchée et difficile à pénétrer que l'opinion individuelle. Les faits sont oubliés. L'affaire Dreyfus est exceptionnelle parce qu'elle n'a pas été oubliée.

Mythes Eternels

Mythe de l'âge d'or : repas plantureux, architecture et meubles d'excellente qualité, même la guerre de tranchée était l'occasion d'une nostalgie des anciens combattants de la bataille de la somme. S'il peut sembler confortant aux vieillards, il n'est pas à conseiller aux jeunes de rêver du passé, de n'avoir d'autres espoirs que le passé.

Mythe de l'abondance : le pays où le lait et le miel forment des fleuves. Ne suffirait-il pas de rêver sans limites pour obtenir tout ce qu'on désire? Distribuez de la monnaie et du pouvoir d'achat, il y a de tout. Combattre un optimisme généreux est si déplaisant que la doctrine trouve toujours un écho favorable. C'est la libération de la contrainte comptable, la revanche contre les financiers austères. 
Utile ou nocif ? Une connaissance sûre peut être stérile, un mythe peut être source de force, il peut aussi accroitre les ressentiments stériles ou des mécontentements ardents, source de progrès. 

Mythe de la machine mangeuse d'emplois : il se présente sous différentes formes, mais en général, le changement et l'augmentation de la productivité sont vues comme des sources de misères. Dioclétien, Montesquieu, Sismondi, Marx ont selon Sauvy invoque ce mythe sous une forme ou un autre.

Courants d'Opinions d'Avant-Guerre

  • 14-18: la guerre sera gagnée
  • 18-26: l'allemagne paiera
  • 12-28: retour au Franc germinal
  • 29-35: contre la crise, blocage des prix
  • 34-36: dévaluation du Franc
  • 34-36: déflation
  • 36-38: front populaire
  • 19-39: pacifisme
Déflation ou dévaluation: une baisse nominale de revenu porte atteinte à la dignité plus qu'au bien-être.

Pacifisme interieur et politique exterieure offensive avec alliances militaires avec la Tchequoslovaquie et la Pologne. Il faut soit avoir la politique de ses armées ou les armées de sa politique. Un investissement dans les blindés pour complementer la ligne maginot sera suggéré par De Gaulle mais ignoré par l'opinion.

Politique économique du Front Populaire:  la dévaluation relance l'éeconomie et accroit la productivité. Léon Blum, craignant le chomage, fait passer les 40h hebdomadaires. La production retombe, les économistes ne disent rien de peur de se rendre impopulaires. La gauche réagit affectivement, la droite s'oppose uniquement à la hausse des salaires horaires. L'obscurité est presque totale.

En 38, on sait que Munich n'est qu'un répit. Les décrets Paul Reynaud sont prévus pour rassurer les capitaux (effet psychologique) et attenuer l'effet des 40h (effet mécanique). La moitié des ministres sont stupéfaits, Daladier signe quand même le décret. L'opinion et la presse sont hostile et la gauche prevoit l'effondrement de la demande. Et cependant, de Nov 38 à Juin 39, s'opère un redressement de la production et notament une diminution du chomage partiel de 20% a 9%. Une infime minorité a eu raison contre l'opinion. 

L'opinion a réagit à ce succès inattendu en trois temps: 
  1. Le déni,
  2. L'attribution des effets bénéfiques a une autre cause (l'armement), et enfin 
  3. L'oubli. 
Les faits sont une nourriture. Quand ils sont trop amers, l'organisme les rejette.

Léon Blum n'écoutera pas Jean Jaurès qui disait qu'il fallait "aller à l'idéal mais comprendre le réel". Il est généreux. Paul Reynaud a toujours eu raison entre les deux guerres. Il sera impopulaire et devient insignifiant.

Un scenario similaire se joue aux Etats-Unis en 1933. C'est la dévaluation qui relance l'économie. Franklin Roosevelt, pour tout grand vainqueur du Nazisme qu'il soit, n'a fait qu'arreter la reprise avec ses mesures destabilisantes. L'économie américaine oscille jusqu'en 38 et ne reprend vraiment qu'avec la guerre.

C'est ainsi que se clôt l'analyse des courants d'opinion de Sauvy d'avant-guerre. 

Prochain Courants d'Opinion


Pour reprendre des sujets qui ont plus d'actualité en 1964, Sauvy note quelques points suplémentaires:
  • Si un couple occupe un appartement de 50m2 en ville dans un immeuble de 6 étages, ils occupent 8m2 au sol pour lesquels il paient des impots. La voiture prend 8m2 au sol en bas de chez eux, au bureau, devant les magasins. L'automobile ne fait que multiplier l'emprise au sol et est un gachi de ressources comparée aux transports en commun. Selon Sauvy, un lobby est à l'oeuvre qui fait si bien son travail que son influence est inconsciente.
  • La lutte contre l'alcolisme en France est sabotée par le lobby de la betterave et des viticulteurs. 
  • Les comptes de la nation sont établis de manière à ce qu'ils soient illisibles.
L'opinion publique est parfois celle de celui qui parle le plus fort. On objectait que la France ne pouvait etre gouvernée comme la Suisse parce que le pays est trop grand. Sauvy relate la proposition du Comte de Paris de nommer un grand éelecteur pour 3000 francais, et obtenir par la 15000 électeurs qui seront toujours disponnibles pour voter sur un réferendum sous 24h. L'auteur montre ici que l'argument de la grandeur supposée du pays n'est qu'un pretexte (Note: la France n'a pas l'homogeneité de la Suisse et a des institutions centralisées depuis Louis XI).

Sauvy note la thèse de James Burnham selon laquelle une société où les proprietaires du capital prennent les décisions se fait remplacer par une classe manageriale, qui prend le controle, et explique que les travailleurs ont tout de suite remplacé le propriétaire par le patron comme enemi de classe, même si l'activité est nationalisée.

Enfin, Sauvy appelle à l'éducation en plus de l'information du public, sans quoi l'opinion publique est une contrainte plus qu'une aide aux bonnes politiques.

Conclusions

Ce livre d'Alfred Sauvy a le même titre qu'un livre de Walter Lipmann. Le livre de Lipmann s'intéressait plus à la presse et à la question de la ligne éditoriale, ce livre de Sauvy s'intéresse plus à l'opinion de la base, et est peut-être moins cynique ou machiavellien que Lipmann, appelant à une éducation et une information.

L'experience dans les gouvernements de Blum et Daladier semble l'avoir marqué: On peut avoir raison tout le temps, on ne peut pas aller contre l'opinion. Les points saillant sur lesquels il se distingue sont la limitation par le législateur de la quantité de travail fourni, et la politique familliale.

Les mécanismes de formation d'opinion décrit par Sauvy noous rapellent le vai croyant d'Eric Hoffer. Pour une approche plus psychologique et moin socio-politique, on peut se réferer au "trapped prior" décrit recement dans le blog Astral Codex Ten

Enfin, les risques de chaos démocratique, de discontinuité politique, ou d'abaissement du capital social lorsque les questions de choix sociaux fragmentent la population ne sont pas discutés.


2023-08-17

Le Grand Echiquier de Brzezinski

Zbigniew Brzezinski est un conseiller stratégique influent auprès des présidents américains depuis Kennedy. Son influence sur la politique étrangère en Afghanistan, l'expansion de l'Otan et la contention en Ukraine est décrite candidement dans son ouvrage de 1997 : le grand échiquier, dont l'agenda pour l'élargissement de l'Otan et de l'UE est suivi à la lettre par les administrations américaines successives de 1998 à 2008 jusqu'à la contention Ukrainienne. 

Issu d'une famille aristocratique polonaise déracinée par l'invasion Germano-Soviétique de la Pologne alors que son père est consul de Pologne en Amérique, il sera profondément marqué par la violence des relations entre États.

Brzezinsky (droite) en 1978 Credit: wikicommons

Brzezinski avec Kissinger est l'un des "grands stratèges" de la guerre froide. Les aparatchiks américains ont parmi leurs sciences politiques la "grande stratégie", dont l'objet est de maintenir l'hégémonie. 

Brzezinski sera critiqué pour avoir favorisé le support de la CIA des insurgents Mujahideens dans les années 70, l'opération ratée de sauvetage des otages americains en Iran, son soutien au bombardement de la Serbie par l'Otan en dehors du cadre international, et pour son titre, "le grand échiquier", qui présente la politique mondiale comme un jeu à somme nulle. Je retiens ci-dessous quelques passages en italique de cet ouvrage plus influent que prémonitoire qui montre la perception du monde par Washington et les racourcis qui ont été fait s'agissant de politique européenne.

Géostrategie: un libéralisme hégémonique

Pour l'Amérique, le principal prix géopolitique est l'Eurasie. Huntington a raison d'affirmer avec audace: un monde sans primauté des États-Unis sera un monde avec plus de violence et de désordre, moins de démocratie et de croissance économique qu'un monde où les États-Unis continuent d'avoir plus d'influence que tout autre pays dans les affaires mondiales. La primauté internationale maintenue des États-Unis est essentielle au bien-être et à la sécurité des Américains et à l'avenir de la liberté, de la démocratie, des économies ouvertes et de l'ordre international dans le monde. 

Brzezinski se réfere aux théories de Halford Mackinder. Stratège Anglais qui suggerait l'indépendance de l'Iran face à la Russie pour preserver l'hégémonie britannique.
L'Eurasie axiale. Credit: wikicommons


L'Eurasie est le plus grand continent du globe et est géopolitiquement axiale. Le contrôle de l'Eurasie entraînerait presque automatiquement la subordination de l'Afrique.

Le scénario le plus dangereux serait une grande coalition de la Chine, de la Russie et peut-être de l'Iran. 

Le système mondial américain actuellement dominant, au sein duquel « la menace de guerre est hors de question », n'est susceptible d'être stable que dans les parties du monde où la primauté américaine, guidée par une géostratégie à long terme, repose sur des systèmes sociopolitiques compatibles et homogènes, reliés entre eux par des cadres multilatéraux dominés par les États-Unis. 

Les armes nucléaires ont considérablement réduit l'utilité de la guerre en tant qu'outil de politique ou même en tant que menace. L'interdépendance économique croissante entre les nations rend l'exploitation politique du chantage économique moins convaincante. 

La géostratégie consiste à empêcher la collusion et à maintenir la dépendance sécuritaire entre les vassaux, à les maintenir affluents, obéissants et protégés, et à empêcher les barbares de se rassembler. 

Brzezinski est l'oppose d'un isolationniste, il veut d'une Amérique impliquée en Asie centrale. Il est "libéral" dans la mesure où il estime que la démocratie américaine est garante de certaines libertés et de valeurs objectivement préférables. 

Ce point est disputé par les réalistes: chaque pays défend l'intérêt national. Chaque diplomate soutient que le meilleur des régimes est celui du pays qu'il représente. 

Il est réaliste lorsque explique qu'une certaine homogénéité et correspondance des régimes politiques en place permet un meilleur dialogue et plus de tolérance.

Acteurs et Pivots Géostrategiques

En toute candeur, Brzezinski décrit sa grille interprétative à l'intention des décideurs de Washington:

Les États géo-stratégiquement actifs sont ceux qui ont la capacité et la volonté nationale d'exercer un pouvoir ou une influence au-delà de leurs frontières. La France, l'Allemagne, la Russie, la Chine et l'Inde sont des États majeurs et actifs, tandis que la Grande-Bretagne, le Japon et l'Indonésie, bien que des pays certes très importants, n'en ont pas la volonté politique. 

  • La France, en particulier, a sa propre conception géostratégique de l'Europe, qui diffère à certains égards significatifs de celle des États-Unis, et est encline à s'engager dans des manœuvres tactiques destinées à opposer la Russie à l'Amérique et la Grande-Bretagne à l'Allemagne.
  • la France et l'Allemagne s'estiment habilitées à représenter les intérêts européens dans leurs relations avec la Russie. 
  • la Grande-Bretagne est de moins en moins pertinente à cause de son ambivalence vis-à-vis de l'unification européenne et de son attachement à une relation spéciale déclinante avec l'Amérique. Son amitié a besoin d'être nourrie, mais ses politiques n'appellent pas une attention soutenue.
  •  La Russie, reste un acteur géostratégique majeur, 
  • le Japon préfère ne pas s'engager dans la politique du continent asiatique, c'est la retenue du Japon que l'Amérique doit cultiver très subtilement. 
  • L'Inde est en train de s'établir en tant que puissance régionale et se perçoit en tant qu'acteur mondial potentiellement majeur 

Les pivots géopolitiques sont les États dont l'importance ne découle pas de leur pouvoir et de leur motivation, mais plutôt de leur situation sensible et des conséquences de leur condition potentiellement vulnérable sur le comportement des acteurs géostratégiques. L'Ukraine, l'Azerbaïdjan, la Corée du Sud, la Turquie et l'Iran jouent le rôle de pivots géopolitiques d'une importance cruciale, bien que la Turquie et l'Iran soient dans une certaine mesure – dans les limites de leurs capacités plus limitées – également actifs d'un point de vue géostratégique.

    • L'Ukraine, un espace nouveau et important Sans l'Ukraine, la Russie cesse d'être un empire eurasien. La Russie sans l'Ukraine peut encore aspirer au statut impérial, mais elle deviendrait alors un État impérial à prédominance asiatique. Si Moscou reprend le contrôle de l'Ukraine, avec ses 52 millions d'habitants et ses ressources majeures ainsi que son accès à la mer Noire, la Russie retrouve automatiquement les moyens de devenir un puissant État impérial, couvrant l'Europe et l'Asie. 
    • L'Azerbaïdjan, avec ses vastes ressources énergétiques, est également critique sur le plan géopolitique. C'est le bouchon dans la bouteille contenant les richesses du bassin de la mer Caspienne et de l'Asie centrale. Indépendamment de l'hostilité iranienne actuelle envers les États-Unis, agit comme une barrière à toute menace russe à long terme pour les intérêts américains dans la région du golfe Persique. 
    • La Corée du Sud est un pivot géopolitique de l'Extrême-Orient. Ses liens étroits avec les États-Unis permettent à l'Amérique de protéger le Japon et empêcher ainsi le Japon de devenir une puissance militaire indépendante et majeure

    La fable du Partenariat Égal

    Depuis l'époque de l'administration Kennedy, l'invocation standard a été celle du « partenariat égal ». Washington a toujours proclamé son désir de voir l'Europe émerger Washington souhaite-t-il vraiment une Europe qui soit un partenaire véritablement égal dans les affaires mondiales, ou préfère-t-il une alliance inégale? 

    Les différences américano-européennes sur l'Iran et l'Irak ont également été traitées par les États-Unis non pas comme une question entre égaux, mais comme une question d'insubordination. 

    Le soutien américain à l'unité européenne s'étend également à la question de savoir comment l'unité européenne doit être définie, en particulier en ce qui concerne le pays, le cas échéant, qui devrait diriger une Europe unie. Washington a également montré une nette préférence pour le leadership allemand – plutôt que français – en Europe. 

    Compte tenu du consensus croissant sur l'opportunité d'admettre les nations d'Europe centrale tant pour l'UE que pour l'OTAN, la signification pratique de cette question attire l'attention sur le statut futur des républiques baltes et peut-être aussi celui de l'Ukraine. 

    L'Empire Russe: Gardien des Balkans d'Asie centrale

    La Russie démocratique serait plus favorable aux valeurs partagées par l'Amérique et l'Europe et donc aussi plus susceptible de devenir un partenaire junior dans la formation d'une Eurasie plus stable et coopérative. L'establishment de la politique étrangère russe (composé en grande partie d'anciens responsables soviétiques) nourrit toujours un désir profondément enraciné d'un rôle eurasien spécial, qui entraînerait par conséquent la subordination à Moscou des États post-soviétiques nouvellement indépendants. 

    Le redressement interne de la Russie est essentiel à la démocratisation de la Russie et à son éventuelle européanisation. Mais toute récupération de son potentiel impérial serait contraire à ces deux objectifs. 

    Les coûts de l'exclusion de la Russie pourraient être élevés – créant une prophétie auto-réalisatrice dans la mentalité russe.

     Les tensions internes à l'intérieur de la Turquie et l'Iran sont susceptibles non seulement de s'aggraver, mais de réduire considérablement le rôle stabilisateur que ces États sont capables de jouer dans cette région volcanique. 

    Tout en préconisant l’extension de l'Otan, Brzezinski met en garde contre l'isolation de la Russie, et souligne l’instabilité des 25 pays d'Asie centrale succédant à l'explosion de l'empire soviétique.

    Chine et Japon

    Supposons que la Chine ne se démocratise pas mais continue de croître en puissance économique et militaire? tout effort visant à empêcher que cela ne se produise pourrait entraîner une intensification du conflit avec la Chine. 

    Un tel conflit pourrait mettre à rude épreuve les relations américano-japonaises, car il est loin d'être certain que le Japon veuille suivre l'exemple de l'Amérique pour contenir la Chine. 

    Si le Japon a brièvement tenté de se rapprocher de la Chine sous Abe et Fukuda entre 2006 et 2008, le militarisme de la Chine concenant les îlots disputés et des pathologies entretenues par le gouvernement Chinois (38% des chinois considèrent que le Japon est un ennemi) ont ramené le Japon dans le giron de son ancien vainqueur: les Etats-Unis.

    L'Otan: tête de pont Américaine en Eurasie

    Contrairement aux liens de l'Amérique avec le Japon, l'alliance atlantique, renforce l'influence politique et la puissance militaire américaines directement sur le continent eurasien. 

    À ce stade des relations américano-européennes, alors que les nations européennes alliées dépendent encore fortement de la protection de la sécurité des États-Unis, toute expansion de la portée de l'Europe devient automatiquement une expansion de la portée de l'influence directe des États-Unis. Une Europe politique n'a pas encore émergé. L'Europe occidentale, et de plus en plus l'Europe centrale, reste en grande partie un protectorat américain, avec ses États alliés rappelant les anciens vassaux et affluents. 

    La situation est aggravée par un déclin plus généralisé de la vitalité interne de l'Europe. L'anti-américanisme européen résiduel, actuellement assez faible, est curieusement cynique : les Européens déplorent « l'hégémonie » américaine mais se réconfortent d'être protégés par elle. 

    Le problème auquel l'Europe est de plus en plus confrontée est celui d'un système de protection sociale excessivement lourd qui sape la vitalité de son économie, tandis que la résistance passionnée à toute réforme par des intérêts particuliers détourne l'attention politique européenne vers l'intérieur. 

    L'idée d'unité jouit toujours d'un soutien populaire important, mais elle a tendance à être tiède, manquant de passion et de sens de la mission. 

    Brzezinski voit que face à ses défis géostrategiques, l'Europe de l'Ouest semble déjà en 1997 s'effondrer sous le poids de son Etat providence qui, mis en place en 1945, n'a pas ete reformé malgré l'évolution démographique.

    Délire néo-impérial Francais et Expiation Allemande

    Brzezinski donne une grille de lecture intéressante des motivations franco-allemandes:

    Les élites politiques de deux grandes nations européennes – la France et l'Allemagne – restent largement engagées dans l'objectif de façonner et de définir une Europe que la France cherche à réincarner en Europe ; L'Allemagne espère une rédemption par l'Europe. 

    La création d'une véritable Europe – selon les mots de Charles De Gaulle, « de l'Atlantique à l'Oural » – devait remédier à cette situation déplorable. Et une telle Europe, puisqu'elle serait dirigée par Paris, retrouverait simultanément pour la France la grandeur que les Français considèrent encore comme le destin particulier de leur nation. 

    Pour l'Allemagne, un engagement envers l'Europe est la base de la rédemption nationale, Pour l'Allemagne, rédemption + sécurité = Europe + Amérique. Cette formule definit la posture et la politique de l'Allemagne, faisant de l'Allemagne à la fois le vrai bon citoyen de l'Europe et le plus fervent partisan européen de l'Amérique. 

    Il y a un élément d'obsession délirante dans la préoccupation de l'élite politique française avec l'idée que la France est toujours une puissance mondiale. 

    Avec la Grande-Bretagne auto-marginalisée et essentiellement un appendice de la puissance américaine et avec l'Allemagne divisée pendant une grande partie de la guerre froide et toujours handicapée par son histoire du XXe siècle, la France pourrait saisir l'idée de l'Europe, s'identifier à elle et l'usurper comme identique à la conception que la France se fait d'elle-même. 

    La réunification de l'Allemagne a également radicalement changé les paramètres réels de la politique européenne. C'était à la fois une défaite géopolitique pour la Russie et pour la France. Avec la disparition de l'Union soviétique et la réunification de l'Allemagne, le lien avec l'Amérique fournissait désormais le cadre sous lequel l'Allemagne pouvait assumer plus ouvertement un rôle de leadership en Europe centrale sans menacer simultanément ses voisins. 

    Un coup d'œil sur la carte de la vaste masse continentale eurasienne souligne l'importance géopolitique pour l'Amérique de la tête de pont européenne – ainsi que sa modestie géographique. L'écart existant entre le souci mondial de l'Amérique pour la stabilité et pour la diffusion de la démocratie qui en découle et l'indifférence apparente de l'Europe à l'égard de ces questions (malgré le statut autoproclamé de la France en tant que puissance mondiale) doit être comblé.

    Laissés à eux-mêmes, les Européens courent le risque d'être absorbés par leurs préoccupations sociales internes. La reprise économique de l'Europe a occulté les coûts à long terme de son succès apparent. La crise de légitimité politique et de vitalité économique à laquelle l'Europe occidentale est de plus en plus confrontée – mais qu'elle est incapable de surmonter – est profondément enracinée dans l'expansion généralisée de la structure sociale parrainée par l'État qui favorise le paternalisme, le protectionnisme.

    Les intérêts de l'Allemagne sont congruents, voire sublimés, par ceux de l'UE et de l'OTAN. L'Amérique devrait réitérer, en paroles et en actes, sa volonté de traiter finalement avec l'UE en tant que partenaire politique et de sécurité mondial de l'Amérique et pas seulement en tant que marché commun régional.

    Agenda d'Extension de Brzezinski

    L'agenda donne par l'auteur dans ce livre de 1997 a été suivi à la lettre par Washington et l'UE...

    L'OTAN assure la sécurité européenne et fournit un cadre stable pour la poursuite de l'unité européenne. L'UEO englobera certains États membres de l'UE qui, pour diverses raisons géopolitiques ou historiques, pourraient choisir de ne pas demander l'adhésion à l'OTAN. Il pourrait s'agir de la Finlande ou de la Suède, voire de l'Autriche, qui ont déjà acquis le statut d'observateur auprès de l'UEO. 

    La France n'est pas assez forte pour faire obstruction à l'Amérique sur les fondamentaux géostratégiques de la politique européenne américaine ou pour devenir par elle-même un leader de l'Europe en tant que telle. Par conséquent, ses particularités et même ses crises de colère peuvent être tolérées. 

    Toute l'Europe du Sud est de plus en plus préoccupée par la menace sociopolitique posée par l'instabilité le long du littoral sud de la Méditerranée. Une politique globale des États-Unis pour l'Eurasie dans son ensemble ne sera pas possible si l'effort d'élargissement de l'OTAN, lancé par les États-Unis, stagne et vacille. 

    La définition occidentale plus étroite de l'Europe a été associée à Rome et à son héritage historique. Mais la tradition chrétienne de l'Europe a également impliqué Byzance et son émanation orthodoxe russe. Ainsi, culturellement, l'Europe est plus que l'Europe pétrinienne, Dans les circonstances actuelles, l'élargissement de l'OTAN à la Pologne, à la République tchèque et à la Hongrie – probablement d'ici 1999 – semble probable. 

    Après cette étape initiale mais significative, il est probable que toute expansion ultérieure de l'alliance coïncidera avec l'élargissement de l'UE ou suivra celle-ci. Néanmoins, après que les trois premiers nouveaux membres de l'OTAN auront également rejoint l'UE, l'UE et l'OTAN devront se pencher sur la question de l'extension de l'adhésion aux républiques baltes, à la Slovénie, à la Roumanie, à la Bulgarie et à la Slovaquie, et aussi, éventuellement, à l'Ukraine. 

    En 1999, les premiers nouveaux membres d'Europe centrale auront été admis dans l'OTAN, bien que leur entrée dans l'UE n'interviendra probablement pas avant 2002 ou 2003. Dans l'intervalle, l'UE entamera des négociations d'adhésion avec les républiques baltes, et l'OTAN commencera également à avancer sur la question de leur adhésion ainsi que celle de la Roumanie, leur adhésion devant être achevée d'ici 2005. 

    À un moment donné à ce stade, les autres États des Balkans pourraient également devenir éligibles. L'adhésion des États baltes pourrait inciter la Suède et la Finlande à envisager également d'adhérer à l'OTAN. 

    Quelque part entre 2005 et 2010, l'Ukraine, surtout si, entre-temps, le pays a fait des progrès significatifs dans ses réformes intérieures et a réussi à être identifié de manière plus évidente comme un pays d'Europe centrale, devrait se préparer à des négociations sérieuses avec l'UE et l'OTAN. 

    La Russie: exclue plus que prévu depuis 1997?

    En 2010, la collaboration politique Franco-Allemand-Polonais-Ukrainienne, impliquant quelque 230 millions de personnes, pourrait évoluer vers un partenariat renforçant la profondeur géostratégique de l'Europe.

    Mais la mise à l'écart de la Russie ne faisait pas partie du plan Brzezinskien:

    La Russie devrait être continuellement rassurée sur le fait que les portes de l'Europe sont ouvertes, tout comme les portes de sa participation éventuelle à un système transatlantique élargi de sécurité.

    Si le concept de « partenariat stratégique mature » est flatteur, il est également trompeur. L'Amérique n'était pas encline à partager la puissance mondiale avec la Russie et ne pouvait pas le faire, la Russie était tout simplement trop faible.

    Aussi, de l'avis de Washington, l'Allemagne, le Japon et la Chine étaient au moins aussi importants.

    Celle-ci se préfigurait déjà, étant donné que la Russie se voit comme une superpuissance et l'Amérique lui refuserait ce role. 

    D'autres éléments ont joué que Brzezinski ne mentionne pas. (1) les pathologies des pays nouvellement intégrés (pays baltes, pologne) qui voulaient exclure la Russie de toute coopération sécuritaire, (2) l'élection du président Trump qui fit que les démocrates désignent la Russie comme enemi stratégique à des fins de politique intérieure, alors que (3) le complexe militaro-industriel américain avait besoin d'un ennemi conventionel pour justifier son niveau de dépenses.

    On ne construit pas 15 porte-avions nucléaires pour chasser des pirates somaliens en zodiac, on ne concoit pas des avions de chasses F22 furtifs coutant trois cent millions la pièce pour se battre contre des éleveurs de chèvres afghans. Il faut bien trouver ces ennemis conventionels quelque part.

    Après 1997

    En 2004, Brzezinski exprime son opposition à la politique de George Bush et sa guerre sans fin contre le terorisme qui l'amène à la guerre et à destabiliser les "balkans d'asie centrale". La ligne éditoriale des médias occidentaux fait qu'ils ne relaient pas ces commentaires.

    En 2014, il préconise de punir la Russie pour son annexion de la Crimée mais aussi de lui fournir des garanties que l'Ukraine ne rejoindra pas l'Otan.

    Très affecté par l'élection du président Trump en 2016, en Mai 2017, douze jours avant sa mort, Brzezinski lance un dernier tweet: "un leadership sophistiqué est la condition sine qua non d'un ordre mondial stable".

    L'agenda d'expansion de l'Otan et de l'UE présentés dans ce livre sont trop bien validé par la suite pour etre le fruit d'une concordance historique. Ce livre a été utilisé par Washington comme feuille de route pour sa politique d'Europe de l'Est, ce qui nous amène à la contention Ukrainienne actuelle.

    2023-08-04

    La Galaxie de Gutenberg selon Marshall McLuhan

    C'est en passant à Londres qu'un Cévenol vivant à Hong Kong rencontrait un Ardéchois vivant à Singapour. Il lui conseilla de lire Marshall McLuhan, philosophe Canadien un peu controversé connu pour son étude des médias dans les années 60. Il inaugura la formule "village global" et "le média est le message".

    La Galaxie de Gutenberg est un livre publie en 1962 qui explique l'impact des techniques de communication sur l’évolution civilisationnelle. Cette esquisse distingue quatre phases : 

    1. phase orale, tribale
    2. phase manuscrite, développements locaux d'institutions formelles
    3. ère de Gutenberg, consolidations nationales
    4. communications mondiales électrifiées et médias audio-visuels retour au village global 
    McLuhan en 1967 Credit: wikicommons

    Phase Orale et Tribale

    Dans les sociétés non alphabétisées, la communication est réduite à la zone de transmission des messages oraux, et ces messages font appels à la mémorisation. La hiérarchie sociale est relativement simple.

    Phase Manuscrite et Scribale

    La découverte de l'écriture permet la conservation des messages dans le temps. Elle astreint à une structure codifiée, plus linéaire et formelle. McLuhan considérait l’écriture alphabétique comme essentielle à ce processus d'abstraction et au développement technologique.

    Les scribes, dont le rôle est tout d'abord sacré ou commercial, prennent vite aussi un rôle administratif et participent à l'émergence des institutions formelles et des gouvernements

    L’ère de Gutenberg

    La production de masse de livres impose une normalisation plus poussée du langage, des blocs nationaux se forment où le langage s'homogénéise. Ces blocs permettent une diffusion accélérée des idées et des techniques pour les élites.

    Il y a donc un partage des connaissances utiles en même temps qu'une perte de diversité culturelle. Il y a aussi, selon certains intellectuels du 17ᵉ siècle, une augmentation en quantité, on ne peut plus tout lire, ainsi qu'une perte de qualité des livres imprimés. Mieux vaut ne pas tout lire pour rester sain.

    L'imprimerie permettra la création selon Habermas au 18e d'une sphere publique, et des changements politiques, scientifiques et technologiques en occident.

    Médias Électrifiés : Village Mondial 

    L'électricité permet d'abolir la distance avec le télégraphe, puis les journaux couvrent l'actualité mondiale en même temps que l'alphabétisation crée un marché de masse pour la presse tabloïd, qui diffuse l'image. 

    La radio et la télévision permettent aux masses de consommer un contenu optimisé pour engager leur attention. Les livres perdent de l'importance face aux médias électriques. Ces derniers parcourent instantanement toute la planète et la transforment en un village mondial.

    Alors que des auteurs comme Graham Wallas et Oswald Spengler se lamentent en 1905 de ce que l'alphabétisation conduise à la parution de journaux de mauvaise qualité éditoriale, Walter Lippmann y voit en 1925 une opportunité pour homogénéiser l'opinion comme comme McLuhan en 1962.

    Conclusions

    Cette image du "village mondial" préfigure l'évolution vers les médias électroniques en réseaux informatiques mondiaux, et notamment le world-wide-web, puis youtube, twitter et tiktok, qui permettent à chacun de partager du contenu. 

    On constate que l'évolution des médias sur internet suit une trajectoire similaire, avec des contenus écrit (html, blogs, wiki) remplacés par du contenu audio (podcast), puis audio-video (youtube, tiktok).

    McLuhan est controversé : c'est une étoile-filante intellectuelle qui parait dans les années 60, qui essaie toujours de rester "à la page". Son livre est disjoint, ambigu, composé comme une mosaïque, peut-être dans l'intention d'être invité sur les plateaux TV. C'est en cela un auteur tres différent de Walter Lippmann ou Jurgen Habermas, qui apporte un éclairage nouveau sur les médias. Très présent dans les années 60, il ne l'est plus dans les années 70. 

    Certains critiques ont des arguments spécieux : ils ne comprennent pas que l'alphabet puisse être considéré comme une technique. 

    L'analyse de McLuhan me semble souffrir en certains points d'ethnocentrisme occidental:

    1. L'ecriture correspond aux insitutions formelles, mais imprimerie ne correspond pas partout à l'emergence de l'Etat moderne: L'europe voit l'Etat moderne se former à la fin du féodalisme. Les historiens anglais et américains proposent comme aiguillage critique la ruine de l'Etat Bourgignon de Charles le Téméraire en 1477. Cela correspond chronologiquement en effet en Europe à l'introduction de l'imprimerie. Mais la Chine developpe un Etat-Nation et une conscience nationale à l'ere scribale vers 200 avant JC, à la suite d'une phase de guerre des clans qui dure 500 ans. Selon Charles Tilly: l'Etat cause la guerre, et la guerre crée l'Etat. La hausse du cout de la guerre et la recherche d'economies d'echelles causerait peut-etre plus la centralisation que l'introduction de l'imprimerie.
    2. McLuhan maintient que l'alphabet, et non les logogrammes (caracteres Chinois) est nécessaire pour le dévelopement cognitif et technologique. L'argument pour l'effet alphabetique a été lancé par des auteurs qui ne lisaient pas le chinois. Il est indéniable que la multiplicité des caracteres rendait l'imprimerie de Gutenberg moins utiles et la production de texte électronique chinois beaucoup plus facile. Toutefois, les questions de codage/décodage sont déjà là pour le chinois. La question est probablement plus celle d'absence de compétition qui incite moins au progres.

    Du point de vue de l'histoire des médias, ce livre préfigure en un sense un livre paru en Juin dernier et visiblement moins ambitieux: la parenthese de Gutenberg, dans lequel l'auteur explique que les medias audio-visuels deviennent à nouveau dominant.

    Le concept de Village Mondial apparait dans ce livre en 1962. McLuhan entend par la que 1) la conmmunication a un champ de diffusion etendu, 2) le monde entier se réduit socialement et psychologiquement à un village, recevant les mêmes informations. Il s'agit d'un effondrement du contexte au niveau mondial.

    Ce dernier relève d'un point intéressant, alors que les intellectuels non-anglophones jouaient un rôle déterminant au niveau national jusqu'au 19e siècle, ils le sont beaucoup moins depuis le 20e siècle s'ils ne lisent pas le contenu des autres pays. Les non-anglophones sont ils poussés à la péripherie de la noosphère et provincialisés par l'électronification?





    2023-06-23

    Les Machiavelliens, défenseurs de la liberté selon James Burnham

    James Burnham est un philosophe américain. Marxiste-Trotkiste dans les années 30, son militantisme donne lieu à une correspondance, puis un lien d'amitié avec Trotsky. Il se redéfinit comme conservateur dans les années 40 et produit deux ouvrages important :

    Machiavelli (!469-1529) image credit: wikicommons


    Il prône une science politique basée sur des faits plutôt que sur des poncifs vagues supposés universels. 
    Nous nous intéressons à ce deuxième ouvrage qui décrit l'évolution du théâtre politique, et explique la dérive des démocraties vers des politiques irrationnelles basées sur l’appel à l'émotion, et les risques de dérives autoritaires. 

    Prologue : De Monarchia de Dante

    Avant de parler de Machiavel, Burnham résume un ouvrage de politique écrit par Dante sur la théorie politique. 

    • Dante explique que le but du gouvernement est d'assurer le salut des âmes et la réalisation de tous les potentiels humains
    • il justifie le pouvoir temporel et religieux doivent être séparés en citant les écritures saintes et des pères de l'Eglise
    • Il explique que l'empereur Hohenstaufen résidant au Luxembourg devrait régner sur le monde entier, en basant sa légitimité sur une transmission de l'empire romain qu'il suppose ininterrompue 

    Après avoir expliqué la position de Dante, Burnham devient impatient et explique la situation réelle qui motive ce raisonnement, c'est que Dante est exproprié et exilé parce qu'il prend partie dans une guerre civile entre les Guelfes et les Gibelins:

    • Compétition: Une querelle entre deux fils de famille puissante entraîne une rixe. Le chef de famille demande à son fils d'aller voir le père de l'autre famille et de s'excuser de la blessure
    • Escalade: Le père de l'autre famille refuse les excuses, fait saisir le fils par ses serviteurs (pour l'humilier) et lui fait couper la main dans une étable. Il le renvoi dire à son père qu'une blessure est mieux réparée par une amputation que par des mots
    • Guerre Civile: Les deux familles réunissent leur faction (les Bianci et des Neros) et la ville entre en guerre civile
    • Élargissement du conflit: Pour fuir la destruction et trouver des renforts, un membre des bianci part à Florence. Un membre de l'autre faction va faire de même et trouve le support d'une famille non-moins puissante à Florence. Florence entre en guerre civile et Dante, qui était un notable mineur doit s'enfuir alors que sa faction se range du côté des Gibelins (pro-empereur) contre les Guelfes (pro-pape) 

    Pour Burnham, Dante écrit un ouvrage de théorie politique dans le but de justifier sa trahison de la nation italienne en faveur d'un empereur Hohenstaufen vivant au Luxembourg dans l'espoir de relancer une guerre civile en Italie et de retrouver sa position à Florence.

    La plupart des ouvrages de théorie politiques ne proposent une formule abstraite (monarchie de droit divin, représentation du peuple, dictature du prolétariat) dans le but de justifier l'ordre établi ou un régime qui serait avantageux à l'auteur du discours. Ainsi Hegel, présente la monarchie prussienne comme la fin de l'histoire, de même que Marx pour le communisme ou Fukuyama pour la démocratie libérale bipartisane américaine. De telles théories reflètent l'opportunisme de l'auteur et n'ont aucune valeur prédictive.

    Machiavel : la politique comme science

    Alors que les discours de Dante sont basés sur des utopies, des préférences personnelles et des intérêts à défendre, les écrits de Machiavel se concentrent à corréler des faits. Lorsqu'il y a un objectif, Machiavel l'énonce clairement plutôt que de décrire des principes abstrait ou surnaturels.

    Burnham définit trois critères pour une politique rationnelle suivant Pareto:

    1. l'objectif doit pouvoir être formulé de manière à définir le succès
    2. le succès doit être possible
    3. la politique mise en œuvre doit pouvoir mener aux objectifs et non aller en sens contraire
    Selon lui, le discours public a pour but la légitimation symbolique alors que la science politique s'intéresse aux faits.

    Il définit deux archétypes d’élites: 

    1. Les lions: ils sont francs, conservateurs, défenseurs de valeurs traditionnelles. Il n’hésitent pas à utiliser la force et n’aiment pas raisonner.
    2. Les renards: ils sont calculateurs, aptes à raisonner et opposés à l’usage de la force, ils se complaisent à évaluer des combinaisons et à tirer profit d’un environnement changeant.

    Il s’agit des conservateurs et des progressistes. La situation politique fait toujours l’objet de compromis et évolue toujours, n’en déplaise aux conservateurs.

    Il y a trois types de gouvernement en fonction du nombre de personnes qui détiennent le pouvoir. Machiavel considère une bonne et mauvaise forme pour chacun de ces gouvernements.

    • Monarchie et Tyrannie
    • Aristocratie et Oligarchie
    • Démocratie et Anarchie

    Quand bien même sa préférence était pour l’aristocratie, Machiavel voit la Monarchie comme la manière la plus simple d’obtenir l’objectif de l’unification de l’Italie. Un prince doit être opportuniste et s’adapter à son époque, plutôt que d’essayer d’appliquer des principes qui ne sont plus adaptés.

    La civilisation porte en elle les germes de sa propre destruction. La richesse s’oppose à la force militaire, la liberté qui selon lui est garantie par l’Etat et les institutions provient d’un équilibre des pouvoirs sans arrêt remis en cause.

    La souveraineté dépend de la force. Elle fait face à des attaques externes (militaires) et internes (activités illégales).

    • La forme externe de la force est la défense d’un pays doit s’appuyer sur des citoyens armés et non des mercenaires qui sont moins fiables.
    • La forme interne de la force correspond au système légal. Machiavel conseille que les loi soient appliquées avec constance. L’état doit empêcher trop d’inégalités dues aux privilèges ou à la richesse.

    Si l’on tient pour évident le propos d’Aristote au début de sa métaphysique que tout homme recherche la connaissance, on imagine volontiers que la connaissance est toujours la bienvenue. Cependant, il nous semble que l’hypocrisie est une qualité distinctive de l’occident, et l’hypocrisie évite toujours la vérité.

    Pour cette raison, les philosophes de la pensée officielle, les légistes, les prêtres et les démagogues, tous doivent diffamer Machiavel. Machiavel parle de l’ambition des hommes et leur volonté de puissance, mais les puissant, vous affirment-ils, ne sont la que pour vous gouverner pour votre propre bien.

    Les puissants ont la capacité et la pratique d’évaluer leurs adversaire et de s’y opposer efficacement, même si leur adversaire est un traité abstrait de sciences politiques. Car Machiavel écrit lors de l’essor des sciences. Sa méthode est scientifique quand bien même il se montre souvent intuitif.

    Gaetano Mosca: la théorie de la classe dominante

    Gaetano Mosca (1858-1941) est un des trois membre de l’école politique italienne libérale élitiste. Sénateur à vie de la monarchie italienne, il s’opposera au fascisme en 1925 et sera relevé de ses fonctions par Mussolini en 1926. Il examine en détail trois théories: la théorie géographique, la théorie raciale, et la théorie économique matérialiste. Selon lui, aucune de ces trois causes ne suffit à déterminer le fonctionnement politique. Le déterminisme social ne s’accorde pas aux faits (NDT: Daron Acemoglu et Robinson reprendront cet argument au début de la Défaillance des Nations)

    En s’en tenant aux faits, Mosca arrive à une observation politique: la société est scindée en deux classes: les dirigeants et les diriges. La première est toujours une petite minorité. Il réfute notamment deux idées que l’on rencontre souvent:

    •  dans une tyrannie, le tyran serait seul à gouverner
    • dans une démocratie, la masse majoritaire aurait le pouvoir de décider pour elle même 

    Hors, dans les deux cas, une élite est au pouvoir. Le pouvoir ne peut ni être concentre en une seule personne, ni diffus dans une masse. Une centaine d’hommes bien accordés auront raison de 1000 hommes qui ne s’entendent pas et tirent dans des directions différentes.

    Une deuxième constante est l’existence d’une "formule" utilisée pour justifier le gouvernement. Il peut s’agir de la monarchie de droit divin, de la démocratie, ou de la dictature du prolétariat du communisme. Différents pays peuvent employer une formule similaire qui correspondent à des variations sur un même  thème.

    Un changement de formule doit être graduel. Un changement brutal détruit la société. C’est pour cela que les sociétés semblent tenir attachées à d’anciennes formules, quand bien même les connaissances et informations disponibles font que les hommes éduqués ne peuvent plus y croire littéralement.

    Quand le système liberal repose sur une large base, ce qui est le cas du suffrage universel, les candidats aux plus hauts postes exploitent les sentiments rétrogrades de la masse. Il s’agit, invariablement, de monopoliser et d’exploiter leur sympathie en fustigeant l’égoïsme et l’opulence des plus riches en dénonçant leurs vices réels et imaginaires.

    Le politicien conservateur Edmund Burke remarquait qu’un régime qui suppose l’existence de vertus héroïques ou surhumaines conduit au vice et à la corruption. Selon Mosca, le pays le plus libre est celui où l’on est le mieux protégé contre l’arbitraire et les caprices des gouvernants.

    Selon Mosca, la liberté d’expression est la meilleure défense contre la tyrannie, et le droit la meilleure protection. Il ne s’agit de pratiques juridique, et pas de textes juridiques: Hitler n’a jamais abrogé la constitution de Weimar, et Staline a doté son pays d’une constitution qu’il a voulu la plus démocratique du monde. La tyrannie est la perte des droits juridiques.

    Le triomphe d’un groupe au dessus de tous les autres conduit à la tyrannie. Ainsi, le jacobinisme démocratique conduit à la tyrannie parce que le pouvoir n’est pas assez partagé. Les démocraties parlementaires faibles du 19e siècle étaient les plus libres selon Mosca. 

    Dans son analyse, un changement abrupt de formule, une révolution, conduit souvent à la prise de pouvoir d’un groupe unique, ce qui est une cause de tyrannie.

    Mitchels: les limites de la démocratie 

    Robert Mitchels (1876-1936) est un politologue italien d’origine allemande, ami et disciple de Max Weber et Sombart. Élitiste et non libéral contrairement à Mosca et Pareto, il adhère au fascisme qu’il perçoit comme une alternative douce du socialisme, il est également eugéniste, et opposé à la première guerre mondiale et à la démocratie. Il est connu pour sa Loi d’airin de l’oligarchie. 

    Dans son livre sur les partis politiques publié en 1911, il explique que toute organisation implique une oligarchie. Même dans une organisation à  but égalitaire comme un Parti communiste ou un syndicat, les responsables administratifs ont un avantage informationnel et décisionnel qu’ils utilisent pour asseoir leur pouvoir. Les masses sont incapables d’exercer le pouvoir, et désirent être dirigées par un leadership fort.

    Selon lui, la démocratie représentative est une contradiction dans les termes. Si la masse transfère son pouvoir à des représentants, elle abdique sa souveraineté à une classe politique restreinte. La fin de la démocratie est entérinée par l’attente pour le représentant d’être reconduit dans ses fonctions et l’apparition d’une classe de politiciens professionnels.

    Il existe une forme autoritaire de la démocratie: le Bonapartisme. Napoléon a été élu consul à vie, et Napoléon III plébiscité empereur des français. Dans ce cas, le leader s’identifie à la volonté du peuple, et toute opinion divergente et dénoncée et supprimée comme venant de groupes de pression quand bien même elle serait l’expression de la diversité des intérêts dans une société plurielle. Toute critique du leader est identifiée comme une menace contre la démocratie.

    Le syndicalisme montre une évolution similaire. Les anarchistes sont les individus qui ayant évité la corruption du pouvoir ont le plus de noblesse. Néanmoins, l’anarchie est incompatible avec toute forme d’organisation et reste divorcée des faits.

    Georges Sorel: une note sur le mythe et la violence

    Sorel (1847-1922) ne peut être considéré un machiavellien parce que c’était un extrémiste politique qui a évolué vers le marxisme. Son analyse parait cependant suffisamment factuelle pour que Burnham mentionne ce penseur qui inspira socialistes, anarchistes et syndicalistes.

    Sorel voyait l’Etat comme un instrument politique d’oppression de la masse. En tant que révolutionnaire, il propose que tout le programme soit réduit au mythe de la grève générale.

    Le mythe de la grève générale est formulé comme un événement eschatologique: les prolétaires entre tous en grève et la société et l’ordre établi s’effondrent. Les prolétaires reprennent alors le travail libres et incontrôlés. Une nouvelle ère commence.

    Un mythe n’est pas la description de faits mais une volonté d’action. Il fait d’un mouvement social quelque chose de sérieux et héroïque. Il justifie et donne lieu à la violence, qui le nourrit. Selon lui, la reconnaissance de la violence potentielle des conflits sociaux permet de réduire la violence.

    Sorel écrivait avant la première guerre mondiale, alors que le pacifisme était un mouvement important et que l’on pensai que les travailleurs allaient faire une grève générale pour arrêter la guerre plutôt que de se laisser mobiliser.

    Pareto: la nature de l’action sociale

    Vilfredo Pareto (1848-1923) est un économiste et politologue italien. Il est souvent associé à l’avènement du fascisme à cause de son élitisme, mais il était fondamentalement libéral. 

    Dans son ouvrage principal est le traité de sociologie générale publié en 1916, il désavoue tout objectif autre que de corréler les faits sociaux.

    L’action humaine est logique lorsque (1) elle est entreprise en vue d’un objectif, (2) l’objectif est atteignable et (3) l’action est appropriée pour atteindre l’objectif.

    Des principes comme la liberté, la fraternité et l’égalité de la declaration des droits de l’homme peuvent vouloir dire tout et n’importe quoi. Tous les hommes sont différents à certains égards et tous sont égaux selon d’autres. Ces trois mots apparaissaient au frontispices des prisons, nous rappelle Mitchel.

    La charte de l’Atlantique de Churchill et Roosevelt déclarait comme objectif pour tous les homme le freedom from want (absence de manque), une situation qui n’est atteinte que lorsque un homme est mort.

    En 1940, lorsque les Etats-Unis proclament le principe de la liberté de navigation, il ne s’agit pas de la liberté des bateaux américains d’aller en Allemagne, ni de celle des bateaux Allemands de naviguer.

    Dans certains états américains, le Septième Commandement justifie la peine capitale alors que dans d’autres, il le proscrit.

    Des pensées logiques ne déterminent pas en général l’évolution sociale. L’homme n’est pas un animal rationnel. Alors qu’il est manifeste que l’homme ne se comporte pas rationnellement, beaucoup écrivent encore sur des principes théoriques qui justifieraient logiquement une action. Il s’agit souvent de rationalisations.

    Beaucoup prêchent aux autres ce qu’ils devraient faire sans s’intéresser à ce que les gens font réellement. Selon Pareto, les faits sociaux peuvent être ramenés à certains résidus, alors que leur justification est appelée une dérivation.

    Il distingue 6 résidus même si les deux premiers ont un rôle politique prééminent.

    1. instinct pour les combinaisons: c’est la tendance humaine à combiner différents éléments tirés arbitrairement de l’expérience. La magie, mais aussi les spéculations financières, les idéologies sont le produit de ce résidu.
    2.  persistance de groupe: une fois qu’une combinaison est réalisée des forces se mettent en place en faveur du statu quo.
    3. besoin d’exprimer une émotion par une action: lorsque les humains éprouvent une émotion forte, ils sont poussés à agir indépendamment de ce que l’action accomplisse un objectif.
    4. résidu connectés à la sociabilité: les individus sont prêts à se conformer au groupe dans le but de mieux y appartenir.
    5. intégrité de l’individu et de sa propriété, selon Pareto, ce résidu conduit les hommes à garder leur biens et les conditions de leur existence. Selon lui, il intervient aussi dans les revendications égalitaires.
    6. sexualité : ce résidu correspond à l’instinct de reproduction ainsi que toutes les normes et tabous religieux associés aux pratiques sexuelles.

    Les dérivations sont des doctrines, croyances ou théories qui figurent dans les luttes sociales, les principes démocratiques et autres justifications sociales. Pareto propose quatre types:

    1. assertion: la dérivation est simplement affirmée 
    2. autorité: la dérivation fait appel a une autorité (individu, divinité, …)
    3. accord avec les sentiments: à l’aide du 2nd résidu, les hommes convertissent des sentiments en abstractions et en principes durables.
    4. preuves verbales: ce sont des dérivations qui dépendent d’ambiguïtés de preuves fallacieuses et d’appels aux émotions

    Le pouvoir de droit divin est ridicule, et cependant, nombre de défenses de cette théorie furent écrites, et il n’est pas clair que de savoir que cette dérivation est ridicule soit souhaitable.

    Les individus marqués par la classe 1 sont les renards de Machiavel, alors que les individus marqués par la classe 2 sont les lions.

    Athènes, ville opportuniste qui dès sa victoire contre la Perse établi un empire maritime marchand est dirigée par les renards. Les philosophes d’Athènes ridiculisent les dieux de la cité comme des superstitions.

    Sparte, une ville où l’innovation était interdite était régie par des lions.

    Si les élites prennent par la force le pouvoir initialement lorsque la société est jeune, elles évitent les combats à l’issue imprévisible et lui préfère le compromis et les stratagèmes dans leur période de maturité. Ainsi, l’élite composée initialement de lions va se peupler de renards.

    On observe un phénomène similaire avec des élites qui deviennent pacifistes et rechignent à des conflits autres que lorsque le rapport de force rend l’issue du conflit évidente.

     L’élite se doit d’être opportuniste et de s’adapter au changement. Selon Pareto, la forme sociale la plus stable est celle où la masse est composée de lions conservateurs et l’élite de renards. L’inverse garanti une révolution.

    L’objet de la science politique est l’étude de la lutte pour le pouvoir dans ses formes ouvertes ou dissimulées. L’opinion contraire serait que la politique aurait pour but le bien commun. Les lois politiques ne peuvent pas être déduites des discours sur la théorie politique.

    La logique est la rationalité ne joue pas un rôle important en politique. L’opinion contraire est que l’histoire est la conséquence d’actions rationnelles.

    Les processus sociaux sont mieux compris en terme de division entre élites et non élites. L’objectif de l’élite est de conserver son pouvoir et ses privilèges. L’idéologie contraire est que l’élite est au service des masses.

    Le pouvoir de l’élite est maintenu par la force et la fraude. La violence n’est normalement que menacée en cas de non-respect des règles, et la fraude n’est pas forcément un mensonge conscient. Une formule politique vient soutenir le régime en place. Il s’agit d’une religion, d’une idéologie ou d’un mythe généralement accepté.

    Une élite peut gouverner plus ou moins dans l’intérêt de la population. On ne peut pas se fier à des formules théoriques comme la démocratie, mais à des comparaisons factuelles, comme (a) la puissance d’une communauté relative aux autres, (b) le degré de civilisation et (c) le niveau de vie économique de la masse.

    L’elite fait face à deux courants: (a) la nécessité de rester exclusifs, de se fermer au vulgum pecus, et de garantir une place à leur enfants. (b) la nécessité de conserver une possibilité de circulation et d’intégration des membres les plus distingués de la masse. La circulation d’élite est nécessaire comme une soupape de sécurité qui empêche l’explosion et la discontinuité sociale.

    Sur le long terme, la seconde tendance fini toujours par prévaloir. On n’arrive jamais à un état statique d’équilibre. Il n’y a pas d’utopie communiste ou démocratique stable. Il arrive parfois un changement rapide de la composition de l’élite. Il s’agit des périodes révolutionnaires. Ce genre de changements arrivent dans les conditions suivantes:

    • évolution technique rapide à laquelle l’élite n’arrive pas à s’adapter
    • l’élite devient oiseuse et se désintéresse de l’exercice du pouvoir
    • incapacité ou refus d’assimiler les non-elites les plus brillants
    • l’élite ne croit plus aux formules qui légitimaient son pouvoir
    • le gouvernement a abandonne l’usage de la force et utilise uniquement la corruption et la fraude

    En 1940, l’évolution technique depuis la révolution industrielle a rendu le capitalisme privé et les nationalismes post-renaissance obsolètes. Les membres de l’élite capitaliste ont abandonné le gouvernement pour des recherches culturelles et oiseuses. L’élite a abandonné sa foi dans le capitalisme en même temps qu’elle abandonne la force pour des raisons humanitaires. On préfère réformer plutôt que de punir les criminels, arbitrer plutôt que de casser les conflits sociaux. L’impérialisme est abandonné.

    La théorie de la démocratie n’en est pas moins un mythe qui doit être abandonné si l’on veut comprendre l’évolution politique. L’extension du suffrage était dans l’intérêt des nouvelles élites mais ne conduit pas à une situation stable. Cette période voit un risque accru de bonapartisme.

    Dans tous les pays démocratiques, on voit une élite qui prétend parler au nom du peuple. Il est impossible de décider si les Etats-Unis sont plus démocratiques que l’Allemagne ou la Russie parce que le problème est entièrement fictif.

    Le fait qu’il y ait plus de liberté aux Etats-Unis qu’en Allemagne ou en Russie est un fait, tout comme le fait que les libertés aux Etats-Unis sont sapées depuis les 15 dernières années (entre 1925 et 1940).  

    Les machivelliens présentent l’interprétation la plus explicative des faits politiques. L’élite est plus préoccupée de consolider son pouvoir que du bien commun. Quand une opposition existe, elle fait aussi partie de l’élite, mais elle limite le pouvoir. La destruction de l’opposition conduit à une tyrannie sans limite.

    Le mythe de l’auto-détermination des masses est contre-productif, et la mesure réelle de l’avancement politique est le degré de liberté que permet le régime en pratique. Les démocrates totalitaires, selon Burnham prétendent servir le peuple et concentre plus de pouvoir dans l’appareil d’Etat. Une personne qui contesterait la légitimité d’une telle expansion serait suspect d’être anti-démocratique. Ils identifient leur volonté avec celle du peuple souverain et leur pratique comme une conséquence logique des grands principes démocratiques qui soutiennent l’ordre social actuel. 

    Une dernière question que traite Burnham est la possibilité d’une politique scientifique.

    Selon lui, cela recouvre trois questions: y a t-il une science politique? Est ce que les masses peuvent appréhender la politique de manière scientifique? Est-ce que l’élite peut gouverner de manière scientifique?

    Il répond à la première question par l’affirmative. La deuxième question a longtemps été sans réponse: on observait que le degré de développement et de démocratie possible s’accroissait avec le taux d’alphabétisation. Les socialiste en 1850 avaient beaucoup d’espoir en l’éducation, et il fallut attendre 1900 pour comprendre que les masses n’ont ni le temps, ni la compétence, ni l’inclination de s’intéresser à la politique. Le discours dirige vers les masses est sans cesse détourné par des appels aux mythes, à l’émotion et aux grandes questions de destinées. Le 20ᵉ siècle n’a fait que confirmer cet état de fait. 

    Si les élites peuvent gouverner de manière scientifique, cela suppose qu’elles mentent sur leur croyances. Dans un État démocratique, les élites qui croient aux mythes du discours légitimant ont l’avantage de ne pas avoir la charge cognitive d’un mensonge. On voit ainsi des naïfs arriver au pouvoir qui sont capables de se tromper eux mêmes pour mieux tromper la masse.

    Typiquement, ces élites démocratiques promeuvent des politiques aux objectifs irrationnels alors qu’ils sont tout à fait scientifiques dans leur approche de la propagande et de la manipulation des masses.

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