L'Europe Declassée? selon Blanchard, Pisani-Ferry, Wyplosz

En 2004, après la défaite du référendum sur la constitution Européenne, trois économistes français de centre-gauche influents et conseillers de longue date des gouvernements s'expriment sur le bilan et les perspectives économiques européennes.

Olivier Blanchard, credit: wikicommons

Les trois articles et leurs auteurs :

  • Les limites du plus d'Europe, Charles Wyplosz: ECP70 Harvard PhD78, professeur à Genève à l'Institut des Hautes Études Internationales et du Développement. Intérêts : macroéconomie, monnaies, marche du travail, membre de think tank de centre gauche progressiste réformiste.
  • L'Europe ne va pas si mal, Olivier Blanchard : ESCP70, MIT PhD77, professeur au MIT et chef économiste du FMI. Interets: macroéconomie, nouvelle école keynésienne, il se définit politiquement comme très à gauche en 68 puis devenant social-démocrate.
  • Les limites des paradoxes, Jean Pisani-Ferry : Supelec 73, CEPE 77, conseiller économique de DSK et France Stratégie,  il se définit politiquement comme "le plus Bruxellois des économistes de gauche". 

Faits Économiques

Il y a consensus sur les faits en 2004 :
  • l'Européen est toujours plus pauvre que l'Américain, le rattrapage des 30 glorieuses fait place à une situation ou le PIB par habitant est 30% plus bas et cela empire du fait d'une croissance atone dans l'UE15 comparée aux États-Unis ou a l'Asie.
  • cet effet s'ajoute à une natalité moindre, qui diminue le poids de l'europe dans le monde.
  • l'économie française est typique de ce manque de dynamisme, il y a tout de même un rattrapage apparent en termes de productivité horaire, car le nombre d'heures travaillées est en réduction 30% de 1970 à 2000
  • Le rattrapage apparent de la productivité horaire est cependant un artefact de l'exclusion en Europe des travailleurs les moins productifs. Les mesures sociales : l'age de retraite, protections sociales et salaire minimum réduisent le taux de participation. 

Perspectives et Politique

Charles Wyplosz est de centre-gauche, mais sa thèse peut paraitre neo-libérale : selon lui, la France et l'Allemagne n'ont pas fait les réformes structurelles. Les aides sociales et la retraite toujours trop tot detruisent l'emploi et créent une armée de rentiers miséreux qui ont abandonné la recherche d'emploi et sont politiquement mobilisés par la gauche. 

Si les critères de Maastricht entrainent des réformes impopulaires, il y a un risque de délégitimation technocratique par manque de démocratie de l'UE.

Selon lui, il y a un autre risque de collusion pour empecher la croissance européenne par une coalition de pays mal gérés mais dominants par leur taille. Les Pays-bas voient avec crainte les démagogues franco-allemands dénoncer le "dumping social", et sont rassurés par le contrepoids Anglais. 

De plus, les négociations sont minées par l'effet de cliquet des "acquis communautaires" qui devraient être acquis pour dix ou quinze ans, mais pas éternels. 

Ces risques limitent l'intégration et l'expansion de l'UE, qui doit mieux définir ce qui est du ressort national et ce qui est du ressort Européen. 


Olivier Blanchard est plus optimiste. Selon lui, la stagnation du PIB par habitant correspond à un choix social exprimé de travailler moins par les européens.

La comparaison de la productivité horaire française et américaine est difficile à évaluer précisément parce que les moins productifs sont exclus des marchés européens du travail par des mesures sociales. Il semble cependant qu'il y a divergence en faveur des États-Unis à cause du secteur des technologies de l'information.

Pour ces mesures difficiles de régulations et de productivité, Olivier Blanchard cite des recherches du Mc Kinsey Global Institute, dont il est l'un des conseillers économiques. 

Il note l'effet de cliquet d'acquis sociaux difficiles à reformer. Par exemple, la création du CDD en France qui devait flexibiliser le marché de l'emploi entraine une crispation des employés en CDI et la précarisation des CDD, aboutissant à un clivage social. Il cite le privilège des intermittents du spectacle qui avaient droit à 12 mois de chômage pour 3 mois travaillés dans l'année précédente. La réforme qui a rogné un mois d'allocation et mesure les 3 mois dans les onze mois précédent a causé un an de grèves et l'annulation des festivals.

Mais selon lui, le marché unique entraine des réformes :
  • elle permet de relever la compétitivité : les conducteurs de poids-lourd longtemps protégés en France font maintenant l'objet d'une concurrence intense
  • certains syndicats en Europe sont conscients de la nécessité d'un rendement du capital, sans quoi le capital s'enfuit. Ceux qui, comme la CGT, sont encore dans un schéma de lutte des classes, causent une désertification lente de leurs industries vers celles des travailleurs flexibles,

Il reste cependant de nombreuses poches de travailleurs privilégiés, notamment dans les monopoles du secteur public. La compétence européenne pour arbitrer les questions de compétition et permet de détruire les rentes de service public en démantelant les situations de monopole. 

Selon lui, le principe de subsidiarité n'est pas appliqué par les États, afin de maximiser le pouvoir de l'UE et de favoriser ce travail de sape. 

Si les acquis et donc les réformes sont méthodologiquement impossibles à comparer quantitativement, on observe que pour 7 réformes menées en Allemagne, 4 augmentent la flexibilité et 3 la diminuent. Il s'agit d'un va-et-vient plus que d'une tendance claire.

Jean Pisany-Ferry revoit les analyses des deux précédents économistes, il ajoute qu'un choix politique de direction doit être fait entre une évolution en profondeur avec plus d'intégration politique et une évolution en surface avec une extension du champ du marché commun.

Concernant la centralisation pour plus d'Europe, la politique des transports et de la recherche doivent être menées au niveau européen. Quant aux réformes sociales, elles ont des résultats locaux et le principe de subsidiarité doit s'appliquer, sans quoi la légitimité démocratique de l'institution européenne sera mise en cause. Il note que l'Italie et la France s'appuient sur les critères de Maastricht comme une contrainte externe, alors qu'un déficit structurel de 3% sans croissance mène éventuellement à la faillite.

Pour les pays membres de l'Euro, la politique macroéconomique doit être coordonnée au niveau européen afin d'aligner la politique monétaire et fiscale. Il note que l'Euro n'est pas une panacée, notamment les États-Unis ont une volatilité moindre de leur croissance.

Conclusions

En 2004, le discours d'économistes sociaux-démocrates du centre gauche semble conforme au consensus de Washington de démantèlement de la protection sociale en France par la concurrence internationale. L'opinion publique en France est à gauche de ce consensus qui parait plus néo-libéral que de centre-gauche.

J-C Trichet, gouverneur de la Banque de France en 1993 expliquait avec satisfaction que la France serait forcée par Maastricht  à liberaliser, force est de constater en 2004 que la France a choisi plus de loisirs avec la mesure phare des 35 heures de Martine Aubry. Les gouverneurs de la banque centrale italienne partageaient cette opinion, se plaignant que l'Italie est ingouvernable et que le traite de Maastricht apporte une contrainte externe, le "vincolo esterno", qui est salvatrice.

L'Allemagne poursuivra des réformes structurelles avec Hartz IV alors que la France et l'Italie continuent la désertification du tissu industriel conformément au mécanisme présenté par nos trois économistes. 

Alfred Sauvy, qui était conseiller économique sous Léon Blum explique que le passage aux 40 heures lors du front populaire était une catastrophe sur le plan de la production et du chomage, mais que les économistes et politiciens craignaient que ce soit impopulaire. La baisse de la participation et du temps de travail est toujours vue comme un mal par les économistes si elle est cause d'exclusion.

La gauche par définition est en faveur de la consolidation des acquis sociaux et de leur progression. Qu'est-ce qui, pour ces économistes, définit leur orientation politique en 2004 comme étant de gauche alors qu'ils proposent de démanteler les acquis sociaux par la compétition internationale? 

Ces économistes pensent que la France est allée trop loin dans la diminution de la quantité de travail par des mesures qui entretiennent chômage de masse, exclusion et rentes de situation. Selon eux, une remise en cause de ces acquis permettrait d'améliorer le lot du français moyen, et peut-être d'atteindre une société plus égale.


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