Civilisation Materielle, Structures du Quotidien selon Fernand Braudel

Alors que l'histoire est souvent la biographie des grands hommes ou l'étude des aiguillages critiques, Fernand Braudel est un historien français qui publie de 1963 a 1979 une analyse en trois tomes des conditions matérielles sur le temps long. 

Fernand Braudel. Credit: wikicommons

Nous nous interessons ici a la premiere partie, l'évolution démographique depuis le 16e siecle.

Population Mondiale

L'estimation de la population en 1600 fait l'objet d'incertitudes, de manipulation politiques et de réécritures téléologiques de l'histoire pour maximiser ou minimiser l'impact génocidaire des colonisations. Minimisé dans une vision souvent ethnocentrique du développement civilisationnel de la destinée manifeste et du colonialisme du 19e siècle, maximisé pour un point de vue décolonialisateur qui apparait entre deux guerres et devient dominant après la seconde guerre mondiale.

Le dynamisme de la population européenne jusqu'en 1900 est souvent attribué à différents facteurs  de progrès civilisationnel: tel l'allongement de la vie par les progrès de la médecine et de l'hygiène. 

Cependant, l'Asie a vu une augmentation comparable a l'occident dans des conditions parfois insalubres. Braudel décrit le déplacement  de la limite malthusienne. 

Selon Braudel, ce qui dirige la population est la productivité agricole. Celle-ci dépend principalement des techniques de culture cerealiere sur un territoire donné.

Productivité Agricole

Chaque céréale a des implications différentes sur le développement : 

  • en Europe, le blé est la principale source de calorie. La France voit une hausse de productivité de 3 grains pour 1 semé en 1200 à 6 en 1800, les pays les plus avancés, l'Angleterre et la Hollande atteignent 10. Les céréales représentent 50% à 75% de l'apport calorique et plus car certains ouvriers italiens mangent un gros pain qu'ils accompagnent d'une tomate ou d'un oignon.  L'assolement triennal conduit à produire des plantes de fourrage. Les paysans ont recours au bœuf et cheval pour tirer la charrue, le fumier permet de fertiliser. L'Europe met des siècles à optimiser la culture.  
  • en Asie, le riz est la principale culture, avec 7.3e6 cal/ha, contre 1.5e6 pour le blé et 3.4e5 pour l'élevage consacré à la viande, alors que d'importants travaux hydrauliques renforcent le développement administratif quatre siècles avant JC, ce n'est qu'entre le 11e et 12e siècle de notre ère qu'une variété permettant deux récoltes par an est introduite. La productivité est telle que les animaux ne sont pas utilisés, pratiquement tout le travail est fait par des hommes, la ou le riz est cultivé. Les déchets domestiques des villes et les excréments humains sont utilisés comme engrais, ce qui cause une puanteur des villes et des campagnes environnantes. L'évolution du 12e siècle s'accélère avec l'apparition de la patate douce et du mais introduits d'Amérique par les espagnols.
  • en Amérique, le maïs est la base des civilisations incas, maya et aztèques. Le maïs produit de nombreux grains, il produit 70 grains par grain plante en zone aride, et 10 fois plus dans les zones les plus favorables. Une autre spécificité est qu'il ne requiert que 50 jours de travail par an. Que peut-on faire de paysans oisifs ? Braudel note que ces sociétés ont développé des régimes théocratiques qui organisaient des travaux d'architecture grandiose, avec des temples pyramides et des murs à appareillage cyclopéens.

Civilisation à haut niveau d'usage énergetique

Comme l'explique Braudel, l'évolution des techniques agricoles détermine la population des nations avant le 19e siècle et l'avènement de la révolution industrielle et de ce que Boyden (et maintenant Jancovici) appelle la civilisation à haut niveau d'usage énergetique.

Notons qu'au 18e siècle, la construction d'infrastructures (routes, canaux, moulins a vents) s'intensifie sous l'effet d'une compétition européenne et surtout, comme le souligne John Darwin, d'une course a la production de l'Angleterre avec les colonnies. Même sans progrès technique, des infrastructures qui auraient pu être mise en place à l'époque d'Archimède sont installées en Europe. 

Le capitalisme libéral incite alors à la compétition et l'innovation et amène la révolution industrielle. Le développement scientifique et technologique s'intensifient. Ce n'est qu'alors que les progrès de la médecine causent l'explosion demographique de l'Europe puis apres 1950 des pays sous-developpés décrite par Alfred Sauvy.

Défis de la gouvernance: le 18e et le 21e siècle

La plupart des évolutions historiques suivent la découverte de nouvelles techniques. L'exception semble être la révolution capitaliste au 18e siècle qui impose une meilleure application en Europe des technique connues et un declassement des propriétaires terriens conservateurs en faveur d'entreprenneurs commercants à cause de la compétition commerciale avec l'Inde et la Chine. 

Des pays entiers peuvent etre déclassés: l'Espagne n'est pas entrée dans la course à la productivité contre l'Angleterre au 18 siècle, son élite a dilapidé sa rente coloniale dans une politique irrationelle de construction de superbes cathédrales et monastères, peut-être pour mieux légitimer la monarchie de droit divin et perpetuer le statu quo social.

La transition européenne vers de nouvelles énergies est un autre cas ou la volonté politique précede la découverte. L'Allemagne semble vouloir engager l'Europe dans une politique de production moins éfficace et d'investissement d'économie d'énergie à tout prix motivée par un sentiment diffus de culpabilité et une volonté de décroissance mal assumée. Cela pourrait accroitre la désertion du tissu industriel européen. 

Le problème est qu'il n'y a pas de critère accepté de succès de la transition energetique. Contrairement a la course à la production du 18e siècle, c'est une politique irrationelle au sens de Burnham.



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