La Nature Humaine en Politique selon Graham Wallas

 Graham Wallas (1858-1932) est un membre de la société Fabienne en Angleterre. 

Les Fabiens sont une société très influente en politique durant la période progressiste de 1880 à 1950 bien qu'elle n'atteint au maximum que cinq milliers d'adhérents. Elle influencera d'abord l'université et les partis libéraux et les conservateurs pour défendre les intérêts des travailleurs et s'alliera ensuite aux socialistes du Labour Party quand ce parti est en mesure de remporter des élections. Il s'agit pour eux d'améliorer le lot des travailleurs par un processus d'évolution politique et syndicale, plutôt que de faire le pari d'une révolution prolétarienne.

Wallas quittera les Fabiens en 1904 suite à leur alliance avec les libéraux. Il continuera comme "progressiste". Il publie La Nature Humaine en Politique en 1907.

Graham Wallas

De l'Existence des Partis Politiques

Wallas explique qu'une liste électorale doit comporter des dizaines de personnes. Ces personnes sont en général inconnues de ceux qui vont voter. L'existence de partis politiques permet de simplifier l'exercice du vote.

Ce faisant, les partis créent des carcans pour ces électeurs et pour les élus. 

Mis à part le problème théorique de décision collective que décrit Condorcet sous Louis XVI et généralisé par Kenneth Arrow en 1950, qui explique comment un choix public met l'électeur médian en position de dictateur, il s'agit là d'un problème pratique : les électeurs n'ont ni le temps ni l'inclination de connaître tant de personnes qui pourtant prendront des décisions importantes les concernant.

L'Éducation et ses limites: Le Pari des Lumières et des Socialistes

En 1800, les taux d'alphabétisation en Europe sont à 34% en France et 54% en Angleterre, pour finir aux alentours de 80% avant l'école obligatoire et a 98% après cela.

L'alphabétisation était une bataille entre l'Église et l'État dont l'enjeu était la légitimation par la fidélité des masses, c'était aussi un remarquable moteur de progrès social. La ou l'Angleterre, les Pays-Bas, la France et l'Allemagne arrivaient à des taux d'alphabétisation de plus de 90%, l'alphabétisation était encore faible en Italie, au Portugal et en Suède, et de 10% a 20% hors Europe.

Wallas est donc l'un des premiers à constater que les milieux populaires, plutôt que de devenir des encyclopédistes prêt à découvrir et à se remettre en cause, utilisent leur alphabétisation pour lire des tabloïds pour confirmer leurs idées reçues, et leur temps libre pour aller à des matchs de football qui deviennent très populaires dans les villes industrielles de Manchester et Liverpool. 

Il s'agit là d'un enseignement que l'on peut tirer des faits sociaux en 1905, mais qui était inaccessible aux auteurs des lumières en 1750 ou aux Marxistes et aux socialistes en 1880.

Tout comme un éducateur doit accepter que les enfants ne sont pas nécessairement curieux d'apprendre à lire ou à compter, Wallas recommande que les bonnes incitations soient mises en place pour la population et la vie de la cité.

Frontière Juste: Nationalisme, Colonisation, Génocide et Eugénisme 

Si le Royaume-Uni apparaît comme une nation depuis fort longtemps, Wallas s'interroge sur la question du nationalisme qui entend universaliser la tendance à l'unification que l'on a vue en Allemagne et en Italie en 1871. 

La question de la frontière est facile à résoudre sur la base des frontières naturelles et de la langue en Angleterre et en Italie, selon lui, ceux qui prêchent l'universalité des États-Nations ont vite fait d'escamoter la question des balkans ou les nationalités varient d'un village a l'autre, et de la plupart des colonies, ou des administrateurs Européens gouvernent des territoires arbitraires ou des tribus coexistent. 

Aussi, il prévoit une guerre en Europe avec l'affrontement de l'Allemagne et de la Russie, qui parait inéluctable en 1907.

Concernant la colonisation, il fait la même distinction que Thomas Piketty:

• d'une part les colonisations précédentes en Amérique et en Australie ou des populations indigènes vulnérables aux maladies importées par les européens qui ont étés pour la plupart remplacées par des populations plus résistantes venues d'Europe et d'Afrique, et 
• d'autre part les colonies comme l'Inde et l'Afrique ou la population locale résistent visiblement mieux aux maladies, et qui ne se laisseront donc pas remplacer.

Des théories racistes avaient libre cours en Europe et aux États-Unis au 19e siècle, selon lesquelles les "races européennes" étaient plus "vigoureuses". Peut-être que la colonisation de l'Algérie par la France en 1830 suivait un plan de "grand remplacement" de la population musulmane par des Français. 

En 1907, soit 80 ans plus tard, Wallas prédit que les "remplacements" démographiques ne pourront plus se faire par les maladies infectieuses. Ils requièrent selon lui des "massacres de population systématiques" (le mot génocide n'était connu qu'en 1943), ou des mesures de politique nataliste. Il est sincèrement convaincu de la valeur de la race "anglaise" mais admet, de par la réussite exceptionnelle de certains métis que l'on encourage l'étude scientifique des races et de la question du métissage. Il voit dans l'eugénisme une question importante pour l'avenir de l'Europe et un espoir pour l'humanité.

Cet espoir de l'humanité devait se transformer en cauchemar: dans les décades qui suivirent, la question de l'eugénisme fut récupérée par des populistes à des fins politiques pour justifier la xénophobie, des sous-populations d'Europe furent massacrées dans le but de confisquer leurs biens (il s'agissait d'élites) et d'uniformiser les États-Nations.  

Alors que Wilson imposait en 1918 l'État-nation comme panacée pour la paix, les incertitudes de Wallas concernant l'universalité des Etats-Nations sont validées dans le siècle suivant: par l'instabilité de la frontière Prusse-Pologne-Russie entre 1918 et 1945, les Balkans en 1991 et les questions de partition pour l'Inde-Pakistan en 47, Nigeria-Biafra en 67.

Conclusion

Graham Wallas est un socialiste pragmatique, qui signale honnêtement en 1907 des questions qui n'étaient pas visibles en 1880 au début de l'ère progressiste, ou en 1780 lorsque la constitution des États-Unis est promulguée. 

Ces questions seront évitées par des politiciens qui préfèrent discourir comme si l'on vivait encore à l'époque de la déclaration des droits de l'homme ou de Karl Marx.

Il s'agit des limites de l'éducation, des questions de polarisation selon des lignes partisanes, de frontières naturelles et des droits des minorités pour un État-Nation : le scrutin "universel" n'est envisagé comme légitime qu'au sein d'une frontière et d'une population donnée.

Geostrategie: la Chine et les USA selon E Luttwack

Je me permet ici une revue synthétique sur la relation Chine/US a partir du livre d'Edward Luttwack de 2010 qui donne un bon résumé de la situation géostratégique avant la Nouvelle Route de la Soie.

Luttwack: un Sino-sceptique revoit les fondamentaux

Luttwack revoit en 2010 la géostratégie américaine et chinoise. Les deux pays sont de proportion continentale, et pour cette raison, ils sont aveugles par les questions de politique intérieure, ce qui les empêche de comprendre et d'anticiper les réactions des petits gouvernements. Voilà une erreur que les britannique ont appris a corriger depuis la guerre de cent ans.

Voici la situation telle que l'analyse Luttwack en 2011:

US:

• le ministère des finances est pro-commerce par choix idéologique et aide la désindustrialisation et le transfert technologique au profit de la Chine
• le ministère des affaires étrangères répète des questions de droits de l'homme et participe a une stratégie d'encerclement de la Chine
• le ministère de la défense n'avait perdu la raison d'être du complexe militaro-industriel en 1991 avec l'effondrement de l'Union Soviétique. La perspective de conflit asymétrique contre des talibans ne semblait guère promettre un gros budget. La Chine est l'excuse idéale pour se relancer dans les dépenses militaires traditionnelles.

Chine:

• contrairement a l'URSS, le différentiel de croissance de 4% par rapport aux US garanti que la situation de la Chine s'améliore si elle ne fait rien
• la situation de la Chine est similaire a celle de l'Allemagne en 1890-1914, la politique militaire  aggressive poursuivie pour satisfaire le complexe militaro-industriel est contre-productive.
• le gouvernement parle d'émergence pacifique, mais aussi de cacher ses capacités.
• la Chine Ming ne comprenait pas la Mandchourie, le Tibet, la Mongolie ni le Xinjiang, c'est la dynastie Qing qui, se voyant comme non-chinoise a ajouté ces conquêtes ethniquement différentes. Apres la stabilisation du régime communiste, le gouvernement a repris le contrôle de ces zones a la geographie difficile.

Luttwack revoit la situation des autres acteurs nationaux:

Inde:

• puissance non-alignée, naturellement anti USA et URSS
• relation Chine/Inde chaleureuse au début,
• la Chine pensait pouvoir revoir les frontières sur des bases pragmatiques. Les frontières indiennes sont le résultat de l'arbitraire des géographes britanniques et ne peuvent être remises en question sans remettre en question la frontière du Pakistan.
• sanction des US sur les ventes d'armes depuis le test nucléaire de 79 a poussé l'Inde dans les bras de la Russie et la France pour les achats d'avion militaires, sanction levee par l'administration Bush en 2009, l'Inde recommence à collaborer avec les US.
• La Chine est maintenant autant un voisin a problème que le Pakistan. Si l'Inde a un lourd retard technologique face a la Chine, elle a une forte population et la volonte de defendre son territoire.

Mongolie

• Etat satellite contrôlé auparavant par la Russie, utilise le Cyrillique plutôt que l'écriture mongole.
• Population de 4m, la majorité des Mongols est en Mongolie intérieure, appartenant a la Chine.
• le Japon désire faire plus de commerce avec la Mongolie, mais c'est en fait toujours des commerces Coréens que l'on retrouve en Mongolie.
• Alors que les importantes ressources de charbon pourraient facilement être vendue a la Chine, la Mongolie construit des chemins fers long pour livrer a la Russie et au Japon
• La Mongolie menage la Russie qui est le plus faible de ses deux voisins. 

Vietnam

• avant d'être un pays communiste, le Vietnam s'est défini dans l'histoire par sa capacité a s'affirmer face a la Chine.
• dernière attaque de la Chine en 79 alors que le Vietnam attaquait le Cambodge. Le Vietnam est parvenu a se défendre et a signer un armistice. Le statut des îles en mer de Chine n'a pas ete decide.
• Les barrages sur le Mekong et les revendications Chinoises en mer de Chine sur les îles Paracelse ont poussé les vietnamiens dans les bras des Américains.
• en 2009, l'Initiative du Bas Mekong lie les USA, le Vietnam, le Cambodge, la Thailande, le Burma dans un forum de discussion sur la sante publique, la gestion des ressources fluviales... et les conséquences de la construction de barrages par les Chinois.

Japon

• culturellement, le Japon est respectueux de la Chine
• le Japon est une chasse gardée Américaine, mais les bases américaines sont impopulaires
• le LDP conservateur est toujours au pouvoir depuis 65 ans, sauf en 93-96 et 2009-2012, où les socialistes ont la majorite. Ceux-ci tentent une ouverture vers la Chine qui sera vite gâchée par une dispute sur les îles Senkaku

Corée :

• Etat traditionnellement soumis a la Chine. Les politiciens de Séoul n'ont pas de problème a paraître toujours conciliants avec la Chine.
• La Chine tient en laisse la Corée du Nord, mais en fait ne fait pas grand chose.
• Quand la Corée du Nord torpille un bateau tuant des marins sud-coréens, elle appelle simplement les deux Corées à la paix et à faire preuve de modération.

Indonesie et Malaisie

• pays lointain de la Chine et a priori non-aligne
• la revendication territoriale en mer de Chine s'étend jusqu'aux revendications Indonésiennes et Malaisiennes.

Philippines

• les Philippines ont ete conquis par les USA a la suite d'une guerre coloniale contre l'espagne.
• Ils ont obtenu l'indépendance des USA en 1945, les USA ont d'importantes bases militaires notamment Subic Bay qui a été fermée en 1991 a cause de son impopularité auprès de la population locale.
• Pas de puissance navale mais une légitimité géographique pour leurs prétentions sur les Sprattly.

Taiwan

• Ile dont le gouvernement est menacé par la politique de Chine Unique, allie historique des USA
• Connu pour sa fabrication de composant électroniques stratégiquement importants 
• une attaque directe causerait probablement une diaspora des talents Taïwanais vers les USA et priverait la Chine d'une opportunité d'acquérir commercialement ces talents.

Australie

• allié idéologique et stratégique des USA et de l'Angleterre.
• politique de confinement du risque naval Chinois et de maintien des routes maritimes commerciales.

Singapour

• Leur force de defense maintient des moyens important
• allié à l'Australie et la Nouvelle-Zélande de longue date. 

Pakistan

• ennemi de longue date de l'Inde
• recipient important de l'aide Chinoise

Myanmar

• Dictature évitée par les democratie
• Etat satellite de la Chine.

Routes de la Soie: une suite logique

N'en deplaise a Luttwack, les Chinois semble avoir redressé leur pays de manière habile sur le plan économique. Il semblerait aussi qu'ils ont lu son livre car les nouvelles routes de la soie sont une opération de charme politique. 

Pour la période d'après 2016, il conviendrait de compléter cette étude par  et des ouvrages de Louis Vincent Gave, une société d'analyse macroéconomique basée a Hong Kong

L'excellent "Clash of Empires" de Janvier 2019 s'attendait a une résolution de la guerre commerciale par un nouveau Plazza-Accord, et est suivi par "Avoiding the Punch" en 2021, dans lequel il décrit les effet de la politique de confinement du au Covid 19.

Ayant des livres de B. Turchman, de P Turchin, et de G Wallas a revoir qui sont mieux alignés a ce blog, et la revue du livre de Luttwack m'ayant pris deux semaine, je me cantonne a une revue de ce livre.

Trois Systèmes de Pensée Économiques Dominant depuis la Révolution Industrielle

Dans le cours de Marcello Bucheli "Strategie Mondiale: comment fonctionne l'économie mondiale", on distingue trois périodes depuis la révolution industrielle, ou une idéologie s'impose dans le discours politique en général. 

Dans "une brève histoire du néolibéralisme", le marxiste David Harvey retrace les racines idéologiques du néo-libéralisme depuis Milton-Friedman et la société du Mont-Pèlerin de Hayek. Selon lui, des économistes idéologues de Chicago financés par des lobbys industriels et financier ont noyauté le FMI et la BIS, ce qui expliquerait le changement de politique. Il explique aussi les moyens de coercition auxquels les Etats-Unis ont recouru pour forcer les pays émergent à se libéraliser. 

Nous suivons cette évolution de la théorie économique et de l'ordre économique mondial.

Période Libérale Classique: Industrialisation 1815-1930

L'Angleterre et la France s'industrialisent durant cette période. L'Angleterre qui est déjà un pays riche à cause de son commerce et son accès à la finance se développe à un rythme annuel de 2% plus élevé que l'Inde, sa colonie. Une différence de croissance 2% sur 100 ans correspond à un facteur 7 sur le PIB. La France se développe aussi rapidement que l'Angleterre sans complètement la rattraper. 

Riccardo: l'économiste classique par excellence

L'Allemagne et le Japon ont une industrialisation plus tardive (1870, resp 1890) qui coïncide avec le développement de leur complexe militaro-industriel. Leur croissance démographique cause une augmentation rapide du PIB. 

Les Etats-Unis sont un cas à part: il s'agit d'un pays de 5 millions d'habitants à la frontière sauvage en 1800, l'alphabétisation est plus élevée qu'en Europe, et les opportunités y sont telles que le pays compte 60 millions d'habitants un siècle plus tard. Les salaires y sont d'abord plus élevés dû à la pénurie de main d'oeuvre comparée à l'Europe. Le pays est déjà à la pointe du développement économique, même si la culture scientifique est plus avancée en Europe.

La période libérale voit une politique d'exportation de matières premières pour les colonies, et d'industrialisation pour l'occident et le Japon.

Alors que l'Amérique Latine a été émancipée par la révolution Bolivarienne lors de l'attaque de l'Espagne par Napoléon, elle passera sous la tutelle diplomatique des Etats-Unis avec la doctrine Monroe en 1820 et suivra une stratégie d'exportateur de matières premières lors de cette période.

Les empires Chinois et Ottomans font figure de retardataires dont les institutions sont trop sclérosées pour permettre le développement.

Période d'Économie Contrôlée, Keynésianisme  1930-1975

L'Etat intervient dans l'économie pour faire face aux crises engendrées par la première guerre mondiale. Qu'il s'agisse des bolcheviques ou des neo-libéraux tels Walter Lippmann, les élites poussent pour plus d'intervention de l'Etat et la planification.

L'alternative socialiste et communiste de 1850 à 1914 va aussi dans cette direction, et la révolution Bolchévique en 1917 et les poussée totalitaires, nationalistes et protectionnistes dans les années 30 ne font que confirmer cette direction. 

JM Keynes est influent dès le début des années 20 comme le montre le succès international de la publication des Conséquences économiques du Traité de Paix. Il proposera la relance par la demande permet de palier à un excès de capacité de production. La théorie qu'il formule à la fin des années 20 suscite l'enthousiasme des jeunes générations d'économiste, pour les succès qu'elle rencontre et l'espoir qu'elle suscite chez les économistes et les politiciens d'améliorer le status quo du laissez-faire. 

John Hicks obtient le prix Nobel en traçant deux courbes

La théorie appelle une politique de baisse des taux basée sur la courbes IS-LM (une visualisation par Hicks de la théorie Générale Keynésienne) et une politique fiscale contra-cyclique.

Les pays émergent décident de substituer les revenus des exports par une production industrielle locale. C'est la base du Péronisme en Argentine.

Période Neo-libérale 1975-2020

L'inflation ne fait qu'augmenter dans les années 60, puis lors des chocs pétroliers de 71 et 74. un cas survient qui n'est pas prévu par la théorie Keynésienne: l'apparition d'une inflation qui est s'accompagne non plus de croissance mais de récession: la stagflation.

Friedman: la liberté n'est pas possible sans libéralisme

Les pays qui persistent dans des politiques Keynésienne sans flexibilité du travail voient apparaître un chômage structurel, alors que le Japon et les Tigres d'Asie (Coree, Taiwan, Singapour, Hong Kong) connaissent une croissance rapide.

Le vent tourne, et ces faits donnent du crédit aux interpretation de Buchanan ou d'Ayn Rand concernant la faible productivité et l'effet de cliquet des dépenses Étatiques.

Thatcher et Reagan cassent les grèves, font des reformes structurelles. Les retraites par capitalisation à cotisations définies deviennent une option pour les employés. Même l'Union Européenne  devient plus libérale. Delors explique que la solidarité unit et, la compétition renforce. L'Union Européenne devient une zone de libre échange (1992) et l'Union Monétaire se fait sur un principe anti-inflationniste qui applique une formule qui a fonctionné pour l'Allemagne à des pays comme l'Italie et la France au capital social plus faible et plus réfractaires aux renégociations des acquis sociaux. Si l'Euro permet, comme le pensait Delors de garantir aux milieux populaires une préservation de leur épargne, cela se fait au dépens des emplois industriels en l'absence de réforme structurelle.

La débâcle économique du bloc soviétique décrédibilise les politiques de planification et de nationalisations qui avaient été le coeur du programme socialiste depuis Jules Guesde et Jean Jaurès. 

Dans les années 90, le FMI pousse les pays émergents a adopter le consensus de Washington, une recette libérale basée sur des droits de propriété forts pour leur développement. En 1995, les accords du GATT permettent à la Chine d'exporter avec de meilleurs tarifs. 

Capacité d'Adaptation

Un fort capital social est nécessaire pour la financiarisation et le développement d'une industrie lourde. A chaque période, certaines nations et sous-populations récoltent les fruits de leur adaptation aux changements économiques. 

• l'empire Ottoman et Chinois sont les perdants de la première époque libérale alors que les Etats-Unis et le Japon sont les gagnants.
• Les travailleurs industriels occidentaux syndiqués sont les gagnants de la période Keynésienne, alors que les pays de l'Est sont les perdant. Le programme de décolonisation et d'industrialisation des pays émergents (amérique Latine et Afrique) est un aussi un échec car ces pays stagnent sans atteindre les 8-10 points de croissance de la reconstruction Européenne ou de la Chine qui rejoint le GATT en 1995.
• Le Japon était le grand gagnant des années 70-80, jusqu'à ce qu'il soit coulé par sa démographie. L'irlande et les tigres Asiatiques sont les gagnants de la période néolibérale.

En general, un fort capital social et des institutions flexibles permettent d'adapter une économie à un changement d'environnement concurrentiel.

La question est en fait: à quoi s'agit-il de s'adapter? A une évolution idéologique de l'hégémon (l'empire Britannique puis les Etats-Unis), à des circonstances qui sont le fruit des rapports économiques de production dans une interprétation marxiste, ou à une accumulation de malinvestissement due à une prise en charge socialisée du  risque systémique dans une interprétation néo-libérale?

Socialisme et Libéralisme: des idéologies de progrès

Alors qu'au 19eme siècle, les conservateurs s'opposent aux libéraux, ces derniers disparaissent des scrutins alors qu'apparaissent les socialistes au 20e siècle. 

Le paysage politique peut être simplifiée en deux partis :

• des conservateurs qui veulent éviter de changer l'ordre établi. S'ils sont soit très modestes, soit peu brillants. Dumoins, ils sont toujours satisfait de l'ordre des choses;
• des réformateurs qui veulent changer la société pour plus d'efficacité économique, de liberté et d'égalité en droit. Ils sont ambitieux, finiront par être remplacés par les socialistes à la fin du 19e siècle.

Le projet libéral du 18e siècle était de remplacer l'Ancien Régime par un régime légitimé par la raison, ou l'égalité en droit inspirée des lumières permettrait à chacun de s'épanouir. Faisant appel au peuple dans leur combat contre les conservateurs pour plus de liberté, de compétition et d'efficacité économique, les libéraux seront remplacés par les socialistes au début du 20e siècle. C'est en Angleterre que ce remplacement est particulièrement évident.

Nous verrons comment le libéralisme a été remplacé par le socialisme comme représentant du parti du changement.

Asquith, le dernier libéral en 1920

Angleterre: Conservatisme, Libéralisme et Socialisme

La défaite du parti libéral en Angleterre et l'avènement d'une nouvelle alternative  bipartisane socialiste vs conservateur a été amenée par les réformes constitutionnelles des libéraux.

Au début du 19e siècle, le suffrage censitaire met en opposition deux élites économiques en Angleterre:

• une aristocratie rentière agricole conservatrice
• une bourgeoisie industrielle d'entrepreneurs libéraux (nouveaux riches)

Le pouvoir est détenu par la chambre des Lords, et l'histoire du 19e siècle sera marquée par le combat pour le pouvoir de ces deux classes. Ainsi, les "corn laws" (lois d'abolition des tarifs sur le grain) sont une victoire des libre-échangistes contre l'aristocratie.

Les libéraux sont perçus comme des parvenus arrogants et ultra-compétitifs tel Joseph Chamberlain, parti de rien, brillant élève, cordonnier puis faisant fortune dans la manufacture de vis, il se lance dans la politique en adoptant un style flamboyant, il se mariera trois fois. L'aristocratie quant à elle, joue le temps long et évite les innovations, et apprend dès Eton qu'il ne faut pas trop briller dans ses études pour ne pas susciter l'envie. Elle cultive un paternalisme et un aspect "fin de race" qui rassure dans un monde qui change.

Chamberlain, industriel au succes flamboyant, parti de rien, politicien liberal

La compétition incessante entre libéraux et conservateur requiert un arbitre. Dans un royaume ou un roi catholique intolérant a été déposé par le Parlement à l'époque de Guillaume d'Orange, le droit divin n'est plus une source de légitimité. Le monarque s'abstiendra de défendre des Lords qui lui ont impose la Magna Carta et un parlement.

Disraeli et Gladstone s'en remettront donc au verdict populaire, et l'extension du scrutin se fera tout au long du 19e siècle. En 1911, Winston Churchill, jeune libéral impatient voyait la chambre des Lords comme un ramassis de Lords séniles, incompétents, et seulement capables d'opposer leur veto.

Il participe avec Lloyd George à un très habile référendum populaire concernant un "budget du peuple" de "guerre contre la pauvreté" qui se débarrasse du veto des Lords et installe la démocratie en Angleterre.

Le résultat sera plus de pouvoir populaire et seuls des partis inspirant les masses pourront être élus :

• les conservateurs qui proposent plus de tradition, de religion
• Les socialistes qui proposent plus d'égalité

Les politiciens qui poussaient pour plus de liberté depuis le 18e siècle se recyclent en revendicateurs d'égalité, ou deviennent conservateurs comme le devint Churchill dans la décennie qui suit.

Amérique : Esclavage et Liberté

L'évolution américaine est similaire, avec un glissement du libéralisme vers le socialisme. L'inversion de ligne idéologique du Parti démocrate est le résultat du traumatisme de la guerre de sécession.

Aux Etats-Unis, le suffrage est censitaire dans beaucoup d'Etats (pas de taxation sans représentation). Le suffrage universel permet d'attirer la population, car cette dernière est très mobile. Le problème moral que pose l'esclavage est reconnu par l'Angleterre et par tous les Etats depuis la fondation du pays. Le gouvernement décide d'interdire l'importation d'esclaves en espérant que le problème se résoudrait à long terme.

La population d'esclaves aux Etats-Unis va cependant augmenter par natalité pendant les 70 années qui suivent l'indépendance, cette question de liberté va occuper la politique Américaine. La guerre de sécession va opposer des républicains libéraux pro-industriels contre des démocrates jaloux du droit des Etats et des traditions supporté par les planteurs.

Après cela, les démocrates vont se réinventer dans un rôle progressiste. Wilson, notamment, va  centraliser le pouvoir par la perception d'un impôt sur le revenu au niveau fédéral. Cela fera des Etats des satellites du gouvernement fédéral.

On voit ici des libéraux républicains et des conservateurs démocrates dont le rôle s'inverse dans la seconde moitié du 19e siècle. Le sens de "libéral" va s'inverser aux Etats-Unis comme en Angleterre pour signifier "progressiste" parce que le mouvement libéral a toujours été un mouvement non-conservateur.

France : le Décalage vers le Rouge

En France, la première république (avec l'abolition des corps de métiers) et le premier Empire (avec son code Napoléon) sont des victoires libérales. Le pouvoir se décline sur une plateforme conservatrice ou libérale. 

Bastiat est un libéral célèbre hors de France

C'est en 1850 que Bastiat écrit "La loi", le chant du cygne du libéralisme Français. Le passage au populisme se fera avec le suffrage universel de la seconde république, puis le plébiscite de Napoléon III, qui se pose en défenseur des pauvres et engage des Saint-Simoniens dans son gouvernement. Les mouvements "radicaux" de la Troisième République comme Clemenceau finissent par être considérés comme centriste en comparaison avec les nouveaux entrants tels la SFIO de Jaurès, le Parti Communiste, et les anarcho-syndicalistes. La droite est monarchiste, catholique et donc plus conservatrice paternaliste et ne sera jamais libérale. 

Le grand décalage vers le rouge connu des astrophysiciens depuis Hubble semble être la loi d'airain de l'évolution politique française.

Conclusion: les Monsieur Jourdain du Libéralisme

A part Bastiat qui décrit le problème de la recherche de rente en social-démocratie de manière prémonitoire, les politiciens du 19e siècle pratiquaient le libéralisme proné par Mrs Von Mises et Rothbard dans les années 50 comme Mr Jourdain faisait de la prose: sans qu'ils n'en sussent rien.

Si le laissez-faire est une doctrine économique dominante du 18e et du 19e siècle, le débat politique s'emporte toujours sur des questions bien plus polarisante pour l'opinion: en France, la question de la séparation de l'Eglise et de l'Etat, de la colonisation en Afrique, du retour de la monarchie, de la liberté d'expression face a la menace terroriste des anarchistes, et de la préparation de la guerre avec l'Allemagne sont des sujets plus porteurs. La question de l'esclavage aux Etats-Unis, des guerres indiennes, et l'expansion aux Philippines faisaient partie des sujets. L'Angleterre était préoccupée par la défense de ses intérêts : vaste programme.

Le monde du 19e siècle avec ses Empires ambitieux était instable. Le développement des chemins de fer de 1850-70 engendre une production d'acier qui devait donner naissance aux complexes militaro-industriels en 1900. Cette mobilisation industrielle justifiera un contrôle de l'Etat sur toutes les ressources de la nation lors des conflits mondiaux.

Les partisans actuels du libéralisme le décrivent comme doctrine légale de liberté, de laissez-faire et de restreinte des pouvoir de l'Etat. 

Comme l'explique Garham Wallas, activiste socialiste anglais en 1907 dans La Nature Humaine en Politique, il devient clair pour les politiciens que l'homme de la rue auquel le suffrage universel a donné symboliquement le pouvoir légitime ne s'intéressera pas à ces subtilités. S'il apprend à lire, il lit des "tabloids" sans entrainer son sens critique, s'il a du temps libre il assiste à des match de football avec une ardeur jamais vue depuis le cirque romain.

En démocratie, un politicien se fait élire pour exercer le pouvoir, pas pour le restreindre. Les restrictions sur lesquelles les pères fondateurs américains insistaient en 1776 en réaction aux abus du monarque nécessitent un capital social qui n'existe plus en 1900. 

Le projet libéral est-il mort d'avoir émancipé les forces populaires comme en Angleterre, ou de la stratification sociale engendrée par l'évolution vers un mode de production industriel comme aux Etats-Unis?

Ecologismes selon Dominique Fond

L'Écologie a pour vocation l’étude scientifique des conditions de vie naturelle sur terre. L’environnementalisme s’intéresse d'un point de sociologique au problème de la gestion de ces questions par la société. L’écologisme est un mouvement militant.

Foret Vierge

Le paysage écologiste est très divers et nombre de voix et de mouvements sont marginaux et revendiquent une pensée "différente". Je ne ferais que brosser un rapide portrait en suivant la classification de Dominique Bourg.

Malthusiens

Ces écologistes sont préoccupés par l'explosion démographique. Ils écrivent quand le monde a 3 milliards d'habitant qu'il sera invivable quand il y en aura 7 milliards. 

• William Vogt
• Fairfield Osboen
• Paul Ehrlich

Acadiens

Certains de ces auteurs favorisent "l'auto-production" (autarcie?). le revenu universel, la décroissance et une approche participative et anarchiste du mouvement.  

• Andre Gorz
• Bertrand de Jouvenel
• Ivan Illich

Autoritaristes

Ces idéologues issus de la gauche suggèrent en 1970 que l'Ouest adopte des politiques coercitives du bloc de l'Est. Il ne s'agit plus de travailler pour le bien-être de tous, mais d'utiliser la violence pour organiser une pénurie dont la social-démocratie est incapable. 

• Hans Jonas
• Herbert Gruehl
• Robert Heibronnen

Collapsologues

Les théories fin de siècle de l'effondrement sont très en vogue en Europe, alors qu'aux US, des "preppers" accumulent les munitions et 5 ans de provisions dans un bunker en pleine nature.

• Donella Meadows
• Guenther Andres
• Jean-Pierre Dupuis

Institutionalistes

Des professeurs de sociologie suggèrent que des comités de sachant aient le pouvoir d'outrepasser la volonté populaire pour mettre au point une stratégie de transition écologique. On parle ainsi de modifier les constitutions des pays pour protéger l'environnement. 

Un problème est que les acteurs du débat politique les plus bruyants ne sont pas les meilleurs administrateurs, et que les administrations publiques et les gouvernements ont déjà démontré les limites de leur savoir faire face à la transition démographique.

Transhumanistes

Il s'agit d'un mouvement éco-sceptique, qui pensent que l'individu peut et doit dépasser sa condition avant un effondrement. La proposition de conquête spatiale d'Elon Musk et la recherche de prolongement de la vie par de nombreux entrepreneurs désireux d'avoir un plan B en Nouvelle-Zélande.

Les Origines Génétiques des Guerres selon Paul Shaw et Yuwa Wong

 En 1989, Paul Shaw et Yuwa Wong publient un livre sur les origines génétiques des guerres.

L'exaltation totalitaire de l'homogeneite du groupe

Rôle Fondamental de L'Identification de Groupes

Selon les auteurs l'un des objectifs de la vie sociale est de fonder des groupes de support. L'identification d'un groupe (les nôtres) et son opposition à un autre groupe (les autres) est une tendance naturelle innée.

Les auteurs notent des recherches montrant une tendance innée à la xénophobie chez l'enfant de 2 ans. De même, on observe parmi les mammifères et les oiseaux, la préférence pour des individus de phénotype similaire. L’homogénéité génétique facilite les alliances chez les animaux sociaux.

Du groupe à la nation

Les auteurs relèvent 5 critères fondamentaux à la formation d'une identité :

1. Religion, La religion unifie un groupe (chrétiens sous Justinien, musulmans lors de l'expansion de l'islam). Les schismes du concile d'Éphèse et de Chalcédoine au 5ᵉ siècle sont motivés par le désir de se distinguer de groupes géographiquement et ethniquement distants. Le Grand Schisme de 1054 suit les mêmes intérêts, qui se justifient ensuite par des disputes concernant la "vraie" nature de la trinité. 
2. Langage, la langue joue un rôle fondamental et toute nation qui veut se construire procède à l’éradication des langues régionales.
3. Pays, souvent l'attachement d'une population à un pays (notamment les îles et les zone montagneuses) permettent le renforcement d'une conscience identitaire. 
4. Phénotype, il s'agit là des manifestations visibles des spécificités du groupe.
5. Origine Commune, la croyance en une origine commune est aussi un élément important

Ces 5 critères sont importants pour formation de sympathies et d'alliance. S’il est possible de s'allier avec une personne catégorisée comme étrangère, la barre sera placée bien plus haut avant de lui faire confiance.

États Nations Hétérogènes

La décolonisation a donné lieu à la formation et la reconnaissance internationale d'États suivant des lignes définies par l'administration coloniale, qui ne donnent pas aux peuples leur propre pays.

Les auteurs citent le Nigeria, où 3 populations ayant des valeurs et des attitudes différentes ont un seul gouvernement. Les Hausa-Fulanis sont traditionalistes, avec un statut qui est pré-imposé par la société selon une hiérarchie établie par la naissance et coopératifs, conservateurs, musulmans, alors que les Ibos sont méritocrates, égalitaires, compétitifs, très réceptifs au changement, chrétiens. Les Yorubas se situent entre ces deux extrêmes.  L’instabilité des gouvernements d'Afrique Noire serait due à cette instabilité ethnique. Les coups d'États sont organisés par des groupes ethniquement homogènes.

Les Kurdes sont un cas ou la population répartie sur des territoires d'États Turcs, Irakiens et Iraniens.

États Nations Homogènes

Les auteurs présentent le Japon, la nation Afrikaner, Israël, l'Iran et l'Afghanistan comme des pays homogènes. Alors que l'Afghanistan est ingouvernable en temps de paix et morcelé par des chefs de guerre, les Afghans s'unissent en cas d'invasion extérieure.

L'Afrique du Sud était sous un régime d'Apartheid à l'époque et l'Afghanistan était sous occupation soviétique. Leur analyse a bien passé l'épreuve du temps.

Question Impériale : USA, URSS

Selon les auteurs, les USA et l'URSS sont hétérogènes pour des raisons différentes. Les États-Unis ont une population d'origine européenne majoritaire, et population noire de l'ordre de 15% et une population d'origine hispanique en pleine croissance démographique.

Si le tout est uni autour d'une idéologie égalitaire, les tensions raciales peuvent toujours réapparaître.

L'URSS était constituée de républiques différentes et les auteurs voyaient justement le potentiel de séparatisme de certaines de ces groupes.

Conclusion

Le phénotype est des cinq facteurs identitaires avec la langue, la religion, le pays de naissance et la parenté. Le racisme est l'expression de l'exclusion sur la base de ces facteurs. Tous les hommes y sont naturellement enclins.

Si le modèle de confiance basée sur le groupe identitaire peut paraître simplificateur, il a permis aux grandes nations d’apparaître et de s'imposer aux autres.

Il y a certainement des limites à ce modèle : les Moghols en Inde et les Qing en Chine étaient hors du groupe ethnique majoritaire de l'empire qu'ils gouvernaient. L'homogeneisation ne prevaut pas necessairement au niveau national, encore que le maintien au pouvoir de minorités est une autre illustration de l'importance de ces réseaux de solidarité.

Néanmoins, des alliances suivant les lignes ethniques se reforment rapidement si des tensions ou des crises surviennent. Les conflits reviennent souvent sur la base d'alliances ethniques, l'idéologie n'étant qu'une superstructure.

L'importance Stratégique de la Puissance Maritime selon Alfred Mahan

 Alfred Thayer Mahan est un des stratèges les plus influents du 19e et 20e siècle. Il explique comment l'Angleterre gagne ses guerres contre la France du 17e au 19e siècle grâce à sa supériorité navale et s'assure par le commerce maritime le rang de première puissance économique mondiale.

Navires de ligne a 93 canons, si vis pacem para bellum

Le Personnage et ses Motivations 

La marine américaine fut créée en 1800 pour des motifs défensifs : défense côtière et pour arrêter les raids barbaresques en méditerranée sur la marine marchande américaine. Le bey d'Alger prenait des marins citoyens américains en esclaves. 

Après la prise de l’Espagne par Napoléon et les révolutions Bolivariennes de 1813 à 1830 en Amérique latine, le président Monroe en 1820 affirme la suprématie diplomatique et militaire des États-Unis sur tout le continent Américain.

Alfred est le fils d'un professeur de l’école militaire de Westpoint. Né en 1840, il a 21 ans au début de la guerre de sécession et servira comme lieutenant pendant la guerre jusqu’à 26 ans. Alfred n'aime pas aller en mer : les navires à vapeurs sont trop bruyant à son gout, les navires sous son commandement   sont impliqués dans des collisions avec d'autres navires et des objets immobiles. 

Après la guerre de sécession, il se passionne d'histoire navale et de stratégie. La marine américaine qui s'était modernisée en 1865 fait face à des coupes budgétaires après la guerre de sécession. Ce travail d'histoire et de stratège lui permet de donner un sens à son métier et de justifier qu'un budget et un statut conséquent soient attribués à la marine. 

S’il atteint le grade de capitaine au sommet de sa célébrité à 50 ans. La question du statut politique de la marine était controversée au congrès. Comme le disait un politicien américain de l’époque : Nommez-en un amiral et il voudra devenir duc. L'amiral 5 étoiles Dewey tentera de devenir président.

Théorie Mahaniene

L'intuition de Mahan est que la marine est la clef de la victoire. Il réalise qu’Hannibal a probablement perdu la guerre contre Rome, car il était incapable de communiquer ou de se faire ravitailler par Carthage en Italie. Il publie plusieurs ouvrages de stratégie :

• en 1890, "l'influence de la puissance maritime sur l'histoire : 1660-1783",
• en 1892, "l'influence de la puissance maritime sur la révolution française et l'empire : 1793-1812",
• en 1897, "L’intérêt de l’Amérique dans la puissance maritime : présent et futur" en 1897.

Il décrit dans ses livres l'histoire navale de l'Europe :

• Alors que l'agriculture ou les ressources naturelles permettent des revenus en nature, le commerce permet de monétiser la production d'un pays. 
• C'est la monnaie qui permet de financer la guerre. La France est un pays bien plus grand et plus peuplé que l’Angleterre, et pourtant, cette dernière avait un meilleur crédit et peut obtenir les fonds pour financer son armée.
• En infériorité navale, La France utilise des corsaires pour harceler la marine marchande anglaise. Ces derniers ne peuvent pas attaquer systématiquement à cause de la supériorité navale britannique et le commerce n'est réduit que de 10% à 20%. Le blocus est inefficace.
• Selon lui, les navires de lignes permettent d'établir une supériorité navale en cas de bataille navale décisive. Avoir des navires de ligne et des marins de métier compétents permet un blocus efficace qui asphyxie le financement de la guerre par l’ennemi.

Contexte Politique Américain

Aux USA, l'expansion territoriale vers l'ouest se termine en Californie 1848 et 1853, le dernier épisode des guerres indiennes a lieu à Wounded Knee en 1890. Se posent alors de nouvelles questions :

• Le canal de panama est un grand projet français de 1880, la doctrine Monroe a t-elle encore un sens si les marines Européennes dominent la marine des États-Unis?
• Le statut de colonie espagnole de Cuba parait fragile alors que l'Espagne est destabilisée par des anarchistes, n'y a t-il pas ici une conquete facile d'un grand territoire fertile?
• Faut-il déposer la reine de Hawaï, et y installer un gouvernement pour se garantir une base navale dans le pacifique, et y limiter l'immigration Japonaise
• Faut-il prendre contrôle des Philippines pour s'ouvrir une porte commerciale vers la Chine?

Pour certains à Washington, c'était la destinée manifeste de l'homme "de langue anglaise et de race germanique" de conquérir et de prendre le contrôle des ressources et d'administrer les indigènes. Il s'agirait de continuer l'expansion au-dela des frontières naturelles du pays.

L'opinion américaine était alors divisée sur ce sujet : 

• D'une part, dans un monde où les empires s'étendent et les petits Etats ne semblent plus viables, la population Américaine avait augmenté de 4 million at 65 millions entre 1800 et 1890, le pays était de taille à faire face à n'importe quel empire, et l'expansion paraissait dans l'intéret économique des américains. 
• D'autre part, beaucoup d'élites américaines pensaient que le rôle des Etats-Unis est de libérer les autres nations du joug colonial. Une politique imperialiste était contraire aux principes fondateurs des Etats-Unis.

Finalement, l'expansion du commerce international "big fruit" et la pression du trust de l'acier "big steel" nécessaire à la construction d'une flotte moderne favorisera l'impérialisme. L'Amérique prendra les Philippines, mais voudra libérer Cuba ayant trop longtemps aidé pour son indépendance, se contentant de Porto-Rico. 

Ces poussées et ces experiences impérialistes seront limitées par l'idéologie anti-coloniale fondatrice du pays, et l'insurection aux Philippines. La politique exterieure américaine de 1890 à 1930 est compliquée par cette contradiction entre intérets stratégiques et principes.

Influence Internationale

Sur le plan international en 1890, Mahan devient une célébrité:

• Lors de sa visite en Angleterre, la reine Victoria lui donne une réception d'Etat à Buckingham, les deux universités d'Oxford et Cambridge lui décernent un doctorat dans la même semaine.
• En Allemagne, le Kaiser Guillaume II est particulierement enthousiaste, et crée une marine moderne
• En France, la doctrine Mahanienne et domine jusqu'en 1914 et remplace la Jeune Ecole qui prescrivait de nombreux petits torpilleurs et évitait la course à l'armement, suite a l'évolution technologique, l'amiral Castex écrit ses Théories Stratégiques en 1935, mieux informées mais moins influentes.
• Au Japon, Marine Impériale Japonaise a déja un budget et un ministère séparé de statut égal à  l’Armée Impériale Japonaise depuis 1872, avant leur conquete de Taiwan, ils suivent aussi la stratégie de la Jeune Ecole avant d'adopter le Mahanisme.

Le Kaiser est un enthousiaste de Mahan

Conséquences: Impérialisme, Course a l'armement

Les frégates anglaises de 1870 ne font que répondre aux innovations de 1865 (propulsion à hélice, coque en metal) introduites par les américains lors de la guerre de sécession. 

HMS Raleigh 1874

En 1890, les ouvrages de Mahan relancent la course à l'armement, et dés 1893, les cuirassés Indiana, Massachusset et Oregon sont commandés et utilisés dans la guerre contre l'Espagne et la Chine.

USS Indiana, commandé en 1890

La surenchère de 1890 conduit à la création de la classe Dreadnought en 1906 par les anglais, propulsion par turbines a vapeur, autonomie intercontinentale, blindage amelioré, tubes lance torpilles, canons de 300mm:

USS Texas (1912), Inspiration des "Imperial star destroyers" de Star Wars?

Les bateaux construit depuis 1906 rendent l'ensemble des navires de guerre constuits depuis 1890 obsolètes. La conséquence du succès de la théorie Mahaniene est une course à l'armement. 

Le HMS Dreadnought de 1906 ne dure guère plus longtemps et est mis a la casse en 1923 alors que les porte-avions nucléaires de classe Nimitz en service depuis 1972 sont toujours en service.

• Mahan contribue au développement du complexe militaro-industriel, qui est porté par l'intéret industriel du pays: trust de l'Acier, intérets commerciaux: United Fruit Company
• Il cause la présence Américaine à Hawaï, Porto-Rico, Cuba, Philippines, Panama
• Il lance les Français, Allemand, Japonais et Anglais au 20e siècle dans une course à l'armement. Alors que la théorie précédente était pour le harcelement des navires de ligne enemis par des vaisseaux plus légers.
• L'Etat se voit comme un stratège dés la fin de l'ère féodale, mais les investissement nécessaires de 1890 à 1910 vont augmenter ses besoins de planification.

D'un point de vue environemental, il y a une différence de taille entre Mahan et William Playfair. Si ce dernier reconnaissait l'importance stratégique du commerce maritime, il ne faisait que recommander d'inciter la population à un menu plus végétarien pour limiter la dépendence alimentaire du pays.

La Pyramide ou le Navet: la deuxième forme de la Stratification Sociale selon O Ammon

 Nous revoyons ici deux modèles de la structure sociale: la pyramide Marxiste de 1850 et le navet d'Ammon de 1900. Si le premier correspond bien à la structure hiérarchique du contrôle social, le second correspond à une description statistique de la stratification de la population depuis le 19e siècle.

La pyramide est un symbole puissant mais que décrit-il?

La Pyramide Sociale Marxiste : Conscience de Classe

L'image de la pyramide correspond bien a la structure hiérarchisée des sociétés humaines. Les populistes modernes opposent les 1% avec la base de la pyramide, les 99%. Cette visualisation est ancienne et aide l'adoption d'une "conscience de classe" et de "condition ouvrière" tout au long du 19e et du 20e siècle :

Pyramide du 19e siècle

Elle promeut l'image popularisée par l’extrême gauche, puis par l’extrême droite selon laquelle la violence légitime sert l’intérêt d'une élite au pouvoir alors que la masse est exploitée. 

Pierre Bourdieu reprend ce thème. 

Le Navet Social d'Ammon

Otto Ammon publie en 1900 une visualisation alternative de la structure sociale dans "certaines applications de la doctrine des probabilités" dans son "Ordre social et ses applications naturelles". Après quelques discussions de la loi binomiale et de la réversion à la moyenne de Galton, il obtient que la distribution des qualités dans une population suit une loi normale :

Il calibre ses résultats à des études de distributions de revenus en Allemagne en Basse-Saxe et à Londres :

Celles-ci montrent que 52% de la population vit confortablement, 22% est pauvre, et enfin 2% de la population est incapable de gagner sa vie honnêtement et en est réduite à une existence vagabonde ou semi-criminelle. Il reste 25% de riches. Les populations sont comparables dans différents pays européens. Il compare les interprétations de ces distributions sociales : 

Finalement, il observe une queue de distribution plus grosse pour les hauts revenus, une tige du navet (une loi de Pareto permet de modéliser les hauts revenus mieux que la loi normale):

Comme toujours en sciences sociales, ordonner des individus suivant un axe est une opération arbitraire. On assigne ici aux individus une valeur dépendant uniquement d'une mesure financière. Plutôt que de discuter les limites d'une mesure qui ignore l’utilité sociale des aspects culturels, sociaux, scientifiques. Nous rappellerons qu'il n'est donné à personne de mesurer la totalité de la valeur d'une vie humaine. Une telle projection est néanmoins utile à l'analyse économique parce qu'elle est réductrice.

Ces chiffres indiquent qu'en 1900, le "Lumpenproletariat" de Marx est toujours marginal et distinct de la classe moyenne, ce qui invalide la prophétie Marxiste de 1850 de la paupérisation de la majorité. Si des marxistes aujourd'hui disent que la classe moyenne est un mythe introduit par les socio-démocrates pour empêcher la révolution prolétaire, il semble que ce débat naît en 1899 avec les thèses révisionnistes d'Eduard Bernstein (un compagnon de Marx et Hegel, et socialiste allemand), et que cette classe moyenne existait en 1900, avant l’avènement de la production de masse et du consumérisme. 

Variabilité technologique de la limite d’utilité économique

Les chiffres de 1900 montrent donc une classe de 2% de mendiants et de semi-criminels, 22% de pauvres, et 53% de personnes vivant confortablement, et 30% de riches. Il s'agit de proportions dans une société industrielle ou il n'y a pas encore de moteur à essence, d’électricité ou de téléphone, les progrès technologiques du 20e siècle augmenteront la taille de la classe moyenne. L'importance économique de la classe moyenne au 20ᵉ siècle confirme la pertinence du modèle d'Ammon par rapport au modèle de pyramide.

A priori, le seuil de productivité et d’utilité sociale d'Ammon selon William Rees-Mogg, éditeur du Times et lord libéral, dépend du niveau technologique :

• dans une société préindustrielle, il est difficile d'arriver à l'autosuffisance. La pauvreté absolue (le risque de ne pas pouvoir se nourrir ou se chauffer) est élevée. La société féodale avait une structure plus pyramidale que la société de 1900 ou de l'an 2000. 
• dans une société industrielle. Le niveau de connaissance requis pour un ouvrier est bas. La production industrielle permet de donner une utilité économique à des personnes moins productives. Les syndicats négocient de bonnes conditions pour leur membre. La proportion de pauvres diminue naturellement.
• dans une société postindustrielle ou il y a plus de robots et moins d'ouvriers. Le seuil d’utilité économique remonte.

Il est difficile de confirmer ces théories en pratique. Le développement de la société industrielle s'est accompagné d'un développement cognitif sans précédent. Le taux d’alphabétisation passe de 40% à 90% entre 1800 et 1880. 

L’utilité économique n'est pas une fin en soi. L'organisation industrielle de la production est un grand égalisateur : elle a étendu le salariat aux enfants de 5 ans dans les usines textiles avant la loi de 1841. Cette égalisation a apporté plus d’uniformité à la population, ce qui a permis le développement du socialisme sur une base démocratique.

Le concept de "Sécurité Sociale", d'État Providence et d’Administration Centrale

L’idée initiale de la Sécurité Sociale est de protéger des "accidents de la vie". Dans la société de 1900, 2% de la population ont besoin d'une prise en charge par l'assistance publique, alors que 22% ont besoins d'un complément de revenus pour éviter durablement la misère. Il est probable que les statistiques aient été similaires avant que ces mesures ne soient disponibles. C'est dans cet esprit que les lois sur l'assurance maladie en 1883, l'assurance des accidents du travail en 1884 et l'assurance vieillesse en 1889 (au delà de 1889) sont votées en Allemagne sous l'influence de Bismark.

Les rapports Beveridge (1942-1944) proposent une sécurité sociale pour vaincre les 5 géants : la misère, la maladie, l'ignorance, l’insalubrité et l’apathie. Les dispositifs sociaux ne sont pas conditionnés aux ressources afin de ne pas créer des pièges à pauvreté et de préserver l'incitation au travail.

Lorsque l’espérance de vie était de 60 ans, une pension après 65 ans était une "assurance vieillesse" qui prenait en charge la population la plus vulnérable, la vieillesse était un "accident de la vie", et le coût de prise en charge de la partie basse du navet était limité à quelques pourcents du PIB.

Le modèle de pyramide ou de navet utilisé à des répercussions sur les dépenses systémiques les plus importantes des États. La vision pyramidale envisage tous les travailleurs dans la même classe : les 99%. Cela légitime le déplafonnement des cotisations et une prise en charge universelle : retraite par répartition pour les ministres, les députés et les sénateurs.

La vie au-delà de 62 ans pour une population dont l’espérance de vie est de 76 ans n'est plus un accident, la retraite devient un "droit" revendiqué d'autant plus jalousement que les cotisations déplafonnées sont devenues exorbitantes quand la politique ne s'adapte pas à la démographie. 

Entre 1880 et 1914, les gouvernements ont pris la responsabilité de s'occuper des 2% de la population les plus nécessiteux. Pour cela, ils se sont arrogé 2% supplémentaires de PIB par de nouveaux impôts (Wilson aux États-Unis en 1913, Lloyd George et Churchill en Angleterre en 1911). 

Dans le cadre de la vision pyramidale, l'assurance chômage prend un rôle systémique d'amortisseur social pour les 99% qui permet la relance par la consommation. Ces mécanismes expliqués par Mr Keynes légitiment un poids accru de l'État qui va au-delà de ce rôle de sécurité sociale pour la population la plus précaire. 

Cela donne aux gouvernements la possibilité d'administrer et de planifier l’économie et de corriger des défaillances de marchés. Les Keynésiens apprécient ces théories parce qu'elles leur semblent valides et aussi parce qu'elles leur donnent plus d'importance. 

Une vision pyramidale de la structure économique de la société permet de légitimer une structure décisionnelle centralisée de l’économie. L'action économique de l'État introduit des risques systémiques dus à la centralisation des décisions et incite la population à la recherche de rente.

Conséquences de la Réglementation du Travail selon Djankov et Schleifer

 En 2004, Botero, Djankov, La Porta, Lopez de Silanes, et Schleifer publient sous l'égide du FMI La Réglementation du Travail. Ils étudient les disparités de réglementation du travail à partir de la comparaison de 85 pays et proposent 3 explications possibles de la réglementation du travail:

1. Efficience: hypothèse la plus simple, la régulation serait bénéfique pour la société et pour la condition ouvrière. Elle permettrait de remédier à des défaillances du marché du travail due à son asymétrie en empêchant les employeurs d'extraire une rente de situation aux dépens des travailleurs.
2. Politique: conformément à la théorie des choix publics, elle serait l'expression du pouvoir de la gauche et des syndicats, ces derniers visent obtenir des privilèges et autres rentes pour leurs membres aux dépens du public et des travailleurs précaires.
3. Légale: dans un cadre historique, elle serait le produit d'institutions qui ont été mises en place pour résoudre les disputes de la société civile dans un cadre général, et dont l'implémentation (code Napoléon, common law Anglais) est inégalement performante pour arbitrer les conflits sociaux.

Alors que le débat politique se polarise sur les deux premières explications, la surprise ici est que la troisième hypothèse est la mieux supportée par les données rapportées par cet article. 

Djankov et Schleifer, économistes du développement de la faculté d'Harvard.

Nous revoyons les résultats qui ont inspiré des réformes de 2005 à 2011, et la polémique lancée par des articles sponsorisés par l'OIT (Organisation Internationale du Travail) genevoise contre les thèses du FMI (Fond Monétaire International) de Washington. Les chercheurs du FMI défendent leur point de vue jusqu’à la nomination de Christine Lagarde à la direction du FMI. La régulation du travail est alors retirée de tous les tableaux de mesures de réformes structurelles sans donner de raison.

Conséquences de la Régulation

Les auteurs montrent qu'un système de sécurité sociale développé est corrélé positivement au rang du PIB par habitant. En revanche, que le niveau de régulation par le droit du travail et les relations collectives sont toutes corrélées à des résultats sociaux et économiques négatifs sauf pour la participation au travail chez les femmes. Ces corrélations tendent a:

• une économie non-officielle plus importante
• plus d'emploi dissimulé
• moins de participation au travail chez les hommes 
• plus de participation au travail chez les femmes pour le droit du travail, moins pour les relations collectives
• plus de chômage
• plus de chômage des jeunes hommes
• plus de chômage des jeunes femmes
• plus de disparité de salaire entre ouvrier de l'industrie et débutant du secteur tertiaire

Corrélation n'implique pas causalité, mais les faits sont accablants et penchent plutôt en défaveur de la régulation.

Efficience

Les auteurs expliquent que l'efficience des régulations est un sujet très large et donc difficile à rejeter. Ils examinent néanmoins deux voies possibles pour confirmer ou rejeter cette hypothèse, en observant le lien entre régulation et

1. le chômage officiel, sous-emploi, et la prévalence du travail dissimulé.
2. le pouvoir politique de la gauche, qui serait corrélé à la régulation si elle est due à une idéologie partisane et ne devrait pas être corrélée si celle-ci est basée uniquement sur une préoccupation d'efficience

Les résultats obtenus par l’étude des statistiques par pays montrent que la corrélation entre régulation du travail et chômage, sous-emploi, travail dissimulé et la gauche est positive.

Politique

Deux sources de pouvoir politique sont évoquées: 

1. le gouvernement qui décide de loi bénéfique à ceux qu'il représente. Typiquement, un gouvernement de gauche irait peser sur la balance en faveur des travailleurs. 
2. les groupes de pressions tels que les syndicats, qui n'ont pas le pouvoir, mais qui exercent une pression pour extraire une rente sur le public pour leurs membres.

Pour mesurer l'influence politique de la gauche, les auteurs mesurent le nombre d’années qu'un gouvernement de gauche ou du centre a eu le pouvoir entre 1928 et 1997, et entre 1975 et 1997.

La gauche est corrélée à la réglementation du travail et cela incitait certains proposer la politique comme seule raison explicative. Comment la distinguer de l’hypothèse légale alors que les pays anglo-saxons sont marqués à droite ?

Légale

Les auteurs soulignent ici une distinction entre deux traditions légales occidentales: 

1. le common law anglais et américain, dans lequel la jurisprudence donne une telle latitude dans l’interprétation des lois que les jurés et aux juges ont une importance décisive.
2. le droit positif français et allemand, dans lequel le législateur prend les décisions et le judiciaire a moins de pouvoir.

Selon la théorie légale, le contrôle social fait appel aux mécanismes de marché et aux contrats les pays de common law alors que la régulation est le moyen préféré dans les pays de droit positif. On observe typiquement que les pays de common law ont moins de régulation.

Discussion des Trois Causes

L’hypothèse de l'efficience n'est pas supportée par les données statistiques.

Certains chercheurs ont suggéré que les pays anglo-saxons ont moins de régulation parce que la gauche y exerce moins de pouvoir, et que la structure du vote dépend de facteur sociaux plus que de l'historique du cadre légal. La réglementation du travail serait donc plus un marqueur social de l’attrait de la social-démocratie pour la population Française ou Allemande, plus que pour les Anglais qu'une conséquence du système légal.

Les auteurs rappellent que cette évolution a eu lieu au début du 19e siècle en Europe, et que les institutions et les structures de résolution ainsi mises en place déterminent la situation dans la plupart des pays d'Afrique, d’Amérique du Sud et d'Asie. L’étude du niveau de réglementation dans anciennes colonies qui ont des structures sociales très différentes de leur ancienne métropole permet donc de trancher en faveur de l’hypothèse légale, suivie par l’hypothèse politique.

Les deux facteurs jouent, mais il apparaît que la manière de prendre les décisions importe plus que qui prend les décisions.

Influences : Réformes des Pays en Développement

Les auteurs ont des postes à Harvard, Yale et au FMI et sont très influents. Cet article a été à l'origine du "Employing Worker Index", celui-ci était une des composantes du "Doing Business Index" qui a été introduit en 2004. 

Révolution des Roses en Georgie (2003)

Le FMI entendait suivre le consensus de Washington. Las de distribuer de l'aide à des pays et de les encastrer dans une situation de dépendance,  il s'agissait de demander aux pays récipients de se réformer et donc de définir la direction des réformes.

La première étude réalisée sur des données de 1997 montre que la France et l'Allemagne ont un EWI qui les situent entre l'Argentine et le Venezuela. Le FMI pousse les pays en développement à se réformer, et la Géorgie, le Monténégro choisissent une dérégulation forte. 

Battle Royale du FMI contre l'OIT

Le Fonds Monétaire International de Washington piétine les plate-bandes de l'Organisation Internationale du Travail de Genève. Cet article a froissé des susceptibilités, et de nombreux articles par des chercheurs affilies à l'OIT paraissent.

Lee, McCann et Torm suggèrent une approche plus "nuancée". Alors que l'article du FMI comparait la Nouvelle-Zélande et le Portugal, l'OIT réfute en poussant à l'absurde les comparaisons: rang de la Finlande vs Afghanistan (comme si le PIB n'était pas une variable confondante). 

La critique principale est que l'article du FMI est purement pro-business et ne tient pas compte d’externalités telles que le bien-être et l'harmonie. L'article cite des études selon lesquelles une régulation musclée oblige les entreprises à augmenter la productivité de ses employés.

Si de nombreux articles ont été écrits par l'OIT sur cet indice, en fin de compte, personne à l'OIT n'a eu la capacité ou la volonté d'aligner des comparaisons internationales pour créer un indice de la régulation du travail et de mettre en place des indicateurs alternatifs basés sur des données factuelles pour évaluer moins subjectivement ces externalités.

Conclusion

La France apparaissait au rang 44 dans le DBI "Doing Business Index" en 2006. Elle était en 130eme position pour la régulation du travail. Sa position s'est brusquement améliorée de 31 à 26 lorsque la régulation du travail a été silencieusement retirée du DBI en 2011. 

Curieusement, alors que la brochure du DBI 2010 loue les réformes effectuées dans ce domaine par la Géorgie, le Monténégro, etc, ce chapitre disparaît en 2011. Aucune mention ou discussion n'est faite des causes de ce retrait. 

Selon la "Heritage Foundation" (un think-tank libéral) tous les indices de cette catégorie cessent d’être publiés en 2011. Cette fondation décide de continuer les statistiques de manière non-officielle, mais la page officielle du FMI sur la méthodologie citée dans cet article a disparu. 

Il n'y a aucune source sur internet qui explique les raisons de ce retrait. Christine Lagarde, spécialiste du droit du travail et ministre des Finances de Sarkozy a remplacé Dominique Strauss-Kahn comme directrice l'été 2011 l'année où ce retrait a eu lieu.

Cet article dépasse la vulgarité du débat ad-personam des théories du complot néo-marxistes ou randiennes. Comme le dit Jacques Delors, et le pensent probablement Thomas Piketty et Ayn Rand, la manière dont les décisions sont prises est plus importante que la personne qui prend les décisions. 

Si les libéraux français évoquent avec nostalgie La Loi de Frédérique Bastiat, une inférence de l'article de Djankov et Schleifer est que la position de Bastiat était destinée à être battue en brèche par le progressisme vu la dynamique décisionnelle mise en place par le code Napoléon. 

Les pays à droit positif sont-ils désavantagés et voués à une relative pauvreté. Ainsi, le colonisateur Anglais aurait mis en place un système qui fonctionne à Hong Kong et Singapour alors que le colonisateur Portugais ou Français aurait mis en place un système où les décisions sont trop centralisées a Macao et en Indochine. 

Dans quelle mesure le capital social d'une société moderne procède t-il de ses institutions?

Habermas: la transformation de la sphère publique

Dans un commentaire d'une vidéo de Yuval Harari, un Allemand m'exhorte de lire l’école de Francfort pour sortir de la chambre d’écho ultralibérale qui sévit en Europe depuis 1970. Je ne connaissais l'école de Francfort que par les détracteurs conservateurs de la "Théorie Critique".

L'Ecole de Francfort

Je me procurai un extrait de la "Dialectique de la Raison" un texte fondateur de Horkheimer et Adorno écrit en 1944 aux USA. Cet ouvrage dénigre la pensée occidentale moderne comme le produit d'une "structure de dominance hiérarchique bourgeoise". C'est une condamnation de l'usage de la raison et de la méthode scientifique pour des raisons politiques et sociales. Les auteurs expliquent que le positivisme et le concept de vérité scientifique sont des catégories bourgeoises qui mènent au Nazisme. Cet ouvrage strident aboli la pensée rationnelle pour lui préférer un obscurantisme dialectique hérité du romantisme allemand. Je n'ai rien a en tirer.

Le sociologue et philosophe J Habermas a eu une relation orageuse avec l’école de Francfort.  Horkheimer aurait demandé a Adorno d'"excommunier" Habermas suite à des différents. Il publie la Transformation de la Sphère Publique en 1962 après cette excommunication.  Cet ouvrage décrit l'apparition et la décadence de la "sphère publique" en occident. Habermas devint le "chef" de l'École de Francfort après leur mort, quand bien même certains considèrent que l’école s’éteint avec Horkheimer, Adorno et Marcuse. 

Bien que je ne partage pas les opinions de son auteur, je trouve ce livre intéressant, car il éclaire l’émergence sociale et l’évolution de la sphère "publique". 

La sphère publique par excellence se manifeste dans les débats entre fédéralistes et anti-fédéraliste aux États-Unis. C'est un débat de qualité ou les participants se contentent des pseudonymes de Publius et Cato.

La Sphère Publique Aristocratique

Avant 1700 la sphère publique se manifeste par l'exclusion : si une foule se doit d’être présente a ces représentations, c’est pour mieux qu'elle en soit exclue : adoubement, couronnement, lits de justice. 

Départ du lit de Justice de Louis XV

La liturgie religieuse en latin persistera bien après la révolution.

Avènement de la Sphère Publique Bourgeoise

La sphère publique bourgeoise présente 3 caractéristiques :

• égalitaire: l'argument est reçu en fonction de ses mérites et non du statut de la personne. 
• commun: le débat porte une décision qui doit être prise en commun
• inclusive: on s'autorise toujours à inclure plus de personnes dans la délibération

Elle apparaît au 18ᵉ siècle et se développe au 19ᵉ siècle

• développement des lettres de nouvelles pour les marchands pendant la renaissance
• cafés où se traitent les affaires (Amsterdam)
• la monarchie de droit divin disparaît avec Guillaume d'Orange et les jacobites en Angleterre, ce qui donne au parlement un "droit" de reconnaître le roi
• salons parisiens, débats de l'Entresol (affaires d'Etat discutées en public)
• loges maçonniques 
• Pamela (1740) premiers livre a grand succès
• Lettres bourgeoises et apparition de la fiction (Héloïse de Rousseau, Werther de Goethe)
• Critique littéraire amène a la critique politique
• Économistes classiques (laissez-faire) puis libéraux et socialistes.
• L'opposition entre conservateurs et libéraux élargit le cercle du débat et car chaque parti fait appel a une base d'opinion publique plus large afin d’établir sa légitimité de sa position. 

Changement des Rapports de Production et Désintégration

• industrialisation, polarisation, apparition de la lutte de classes avec le chartisme au Royaume-Uni dans les années 1830 et la revolution de Fevrier 1848 en France 
• production de masse, abrutissement, consumérisme
• médias de masse, fabrication du consentement

Selon Habermas, la polarisation populaire marque la perte d'innocence du débat public, entérinée par la professionnalisation du journalisme puis le raffinement des techniques de propagande et de manipulation.

Conclusion

Les communistes sont en général portés par une vision messianique qui pousserait l'histoire vers la perfection des institutions par une lutte contradictoire qu'ils appellent la dialectique. Qu'ils s'agisse de A Gramsci, G Lukacs ou J Habermas, ils brillent par leur sens littéraire, et leur compréhension des questions de propagande.

Il faut dire que les communistes Allemands ont un handicap sémantique a surmonter: la polysémie de l'adjectif "bürgerlich" (bourgeois) qui réfère à la classe marchande mais aussi au civisme. Habermas distingue et informe le débat sans trop le déformer.

Cet ouvrage apporte une vision unique sur l’avènement de la sphère publique civique bourgeoise, ces deux points étant sans distinction en Allemand, et ce qui l'a précédé. Il s'agit d'un point de vue complémentaire a celui de W Lippman pour l’ère des médias de masse.