Conséquences de la Réglementation du Travail selon Djankov et Schleifer
En 2004, Botero, Djankov, La Porta, Lopez de Silanes, et Schleifer publient sous l'égide du FMI La Réglementation du Travail. Ils étudient les disparités de réglementation du travail à partir de la comparaison de 85 pays et proposent 3 explications possibles de la réglementation du travail:
- Efficience: hypothèse la plus simple, la régulation serait bénéfique pour la société et pour la condition ouvrière. Elle permettrait de remédier à des défaillances du marché du travail due à son asymétrie en empêchant les employeurs d'extraire une rente de situation aux dépens des travailleurs.
- Politique: conformément à la théorie des choix publics, elle serait l'expression du pouvoir de la gauche et des syndicats, ces derniers visent obtenir des privilèges et autres rentes pour leurs membres aux dépens du public et des travailleurs précaires.
- Légale: dans un cadre historique, elle serait le produit d'institutions qui ont été mises en place pour résoudre les disputes de la société civile dans un cadre général, et dont l'implémentation (code Napoléon, common law Anglais) est inégalement performante pour arbitrer les conflits sociaux.
Djankov et Schleifer, économistes du développement de la faculté d'Harvard. |
Conséquences de la Régulation
- une économie non-officielle plus importante
- plus d'emploi dissimulé
- moins de participation au travail chez les hommes
- plus de participation au travail chez les femmes pour le droit du travail, moins pour les relations collectives
- plus de chômage
- plus de chômage des jeunes hommes
- plus de chômage des jeunes femmes
- plus de disparité de salaire entre ouvrier de l'industrie et débutant du secteur tertiaire
Efficience
- le chômage officiel, sous-emploi, et la prévalence du travail dissimulé.
- le pouvoir politique de la gauche, qui serait corrélé à la régulation si elle est due à une idéologie partisane et ne devrait pas être corrélée si celle-ci est basée uniquement sur une préoccupation d'efficience
Politique
Deux sources de pouvoir politique sont évoquées:
- le gouvernement qui décide de loi bénéfique à ceux qu'il représente. Typiquement, un gouvernement de gauche irait peser sur la balance en faveur des travailleurs.
- les groupes de pressions tels que les syndicats, qui n'ont pas le pouvoir, mais qui exercent une pression pour extraire une rente sur le public pour leurs membres.
Pour mesurer l'influence politique de la gauche, les auteurs mesurent le nombre d’années qu'un gouvernement de gauche ou du centre a eu le pouvoir entre 1928 et 1997, et entre 1975 et 1997.
La gauche est corrélée à la réglementation du travail et cela incitait certains proposer la politique comme seule raison explicative. Comment la distinguer de l’hypothèse légale alors que les pays anglo-saxons sont marqués à droite ?
Légale
Les auteurs soulignent ici une distinction entre deux traditions légales occidentales:
- le common law anglais et américain, dans lequel la jurisprudence donne une telle latitude dans l’interprétation des lois que les jurés et aux juges ont une importance décisive.
- le droit positif français et allemand, dans lequel le législateur prend les décisions et le judiciaire a moins de pouvoir.
Discussion des Trois Causes
L’hypothèse de l'efficience n'est pas supportée par les données statistiques.
Certains chercheurs ont suggéré que les pays anglo-saxons ont moins de régulation parce que la gauche y exerce moins de pouvoir, et que la structure du vote dépend de facteur sociaux plus que de l'historique du cadre légal. La réglementation du travail serait donc plus un marqueur social de l’attrait de la social-démocratie pour la population Française ou Allemande, plus que pour les Anglais qu'une conséquence du système légal.
Les auteurs rappellent que cette évolution a eu lieu au début du 19e siècle en Europe, et que les institutions et les structures de résolution ainsi mises en place déterminent la situation dans la plupart des pays d'Afrique, d’Amérique du Sud et d'Asie. L’étude du niveau de réglementation dans anciennes colonies qui ont des structures sociales très différentes de leur ancienne métropole permet donc de trancher en faveur de l’hypothèse légale, suivie par l’hypothèse politique.
Les deux facteurs jouent, mais il apparaît que la manière de prendre les décisions importe plus que qui prend les décisions.
Influences : Réformes des Pays en Développement
Les auteurs ont des postes à Harvard, Yale et au FMI et sont très influents. Cet article a été à l'origine du "Employing Worker Index", celui-ci était une des composantes du "Doing Business Index" qui a été introduit en 2004.
Révolution des Roses en Georgie (2003) |
Le FMI entendait suivre le consensus de Washington. Las de distribuer de l'aide à des pays et de les encastrer dans une situation de dépendance, il s'agissait de demander aux pays récipients de se réformer et donc de définir la direction des réformes.
La première étude réalisée sur des données de 1997 montre que la France et l'Allemagne ont un EWI qui les situent entre l'Argentine et le Venezuela. Le FMI pousse les pays en développement à se réformer, et la Géorgie, le Monténégro choisissent une dérégulation forte.
Battle Royale du FMI contre l'OIT
Le Fonds Monétaire International de Washington piétine les plate-bandes de l'Organisation Internationale du Travail de Genève. Cet article a froissé des susceptibilités, et de nombreux articles par des chercheurs affilies à l'OIT paraissent.
Lee, McCann et Torm suggèrent une approche plus "nuancée". Alors que l'article du FMI comparait la Nouvelle-Zélande et le Portugal, l'OIT réfute en poussant à l'absurde les comparaisons: rang de la Finlande vs Afghanistan (comme si le PIB n'était pas une variable confondante).
La critique principale est que l'article du FMI est purement pro-business et ne tient pas compte d’externalités telles que le bien-être et l'harmonie. L'article cite des études selon lesquelles une régulation musclée oblige les entreprises à augmenter la productivité de ses employés.
Si de nombreux articles ont été écrits par l'OIT sur cet indice, en fin de compte, personne à l'OIT n'a eu la capacité ou la volonté d'aligner des comparaisons internationales pour créer un indice de la régulation du travail et de mettre en place des indicateurs alternatifs basés sur des données factuelles pour évaluer moins subjectivement ces externalités.
Conclusion
La France apparaissait au rang 44 dans le DBI "Doing Business Index" en 2006. Elle était en 130eme position pour la régulation du travail. Sa position s'est brusquement améliorée de 31 à 26 lorsque la régulation du travail a été silencieusement retirée du DBI en 2011.
Curieusement, alors que la brochure du DBI 2010 loue les réformes effectuées dans ce domaine par la Géorgie, le Monténégro, etc, ce chapitre disparaît en 2011. Aucune mention ou discussion n'est faite des causes de ce retrait.
Selon la "Heritage Foundation" (un think-tank libéral) tous les indices de cette catégorie cessent d’être publiés en 2011. Cette fondation décide de continuer les statistiques de manière non-officielle, mais la page officielle du FMI sur la méthodologie citée dans cet article a disparu.
Il n'y a aucune source sur internet qui explique les raisons de ce retrait. Christine Lagarde, spécialiste du droit du travail et ministre des Finances de Sarkozy a remplacé Dominique Strauss-Kahn comme directrice l'été 2011 l'année où ce retrait a eu lieu.
Cet article dépasse la vulgarité du débat ad-personam des théories du complot néo-marxistes ou randiennes. Comme le dit Jacques Delors, et le pensent probablement Thomas Picketty et Ayn Rand, la manière dont les décisions sont prises est plus importante que la personne qui prend les décisions.
Si les libéraux français évoquent avec nostalgie La Loi de Frédérique Bastiat, une inférence de l'article de Djankov et Schleifer est que la position de Bastiat était destinée à être battue en brèche par le progressisme vu la dynamique décisionnelle mise en place par le code Napoléon.
Les pays à droit positif sont-ils désavantagés et voués à une relative pauvreté. Ainsi, le colonisateur Anglais aurait mis en place un système qui fonctionne à Hong Kong et Singapour alors que le colonisateur Portugais ou Français aurait mis en place un système où les décisions sont trop centralisées a Macao et en Indochine.
Dans quelle mesure le capital social d'une société moderne procède t-il de ses institutions?
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