2022-12-01

Les origines de l'ordre politique selon Fukuyama

 Francis Fukuyama est un chercheur en sciences politiques qui publie en 2011 et 2014 deux tomes magistraux sur l'origine de l'ordre politique. Ces livres présentent une vision beaucoup plus approfondie de l'histoire politique mondiale que son ouvrage de 1992 pronostiquant "la fin de l'histoire". 

Le mérite principal du premier tome est de présenter l'équilibre fragile entre trois institutions nécessaires pour l'émergence d'une société avancée, et comment ces institutions se sont développées pour différentes civilisations.

Emergence de l'Etat administratif: Qin 210 Av JC. Credits: Wikicommons

L'ouvrage est plus restreint dans son champ historique que le Développement des Nations , mais plus théorique et dans ce sens, plus approfondi.

Trois Institutions Essentielles au Développement Civilisationnel

Les trois composantes essentielles des gouvernements avancés sont

  1. l'Etat, qui a le monopole de la violence, et développe une capacité administrative
  2. l'Etat de Droit qui définit un ensemble de limites au pouvoir du souverain,
  3. un mécanisme de rétroaction qui permet aux gouvernés d'agir sur leur gouvernement.
NDT: Le mot anglais "accountability" est parfois traduit par responsabilité en Francais. Or pour les anglais, il y a une distinction entre la responsabilité commune à tous les gouvernants, et le fait de devoir rendre des compte. Ce mécanisme de rétroaction, le fait de rendre des compte est present dans les gouvernements démocratiques, mais la consultation d'une aristocratie est déjà en fait le debut d'un gouvernement pluraliste. Fukuyama cite ses précurseurs du 19e siècle parmi lesquels Marx, Durkheim, Henry Maine, Tönnies, Max Weber

Il presente en premier la Chine, qui a développé sa capacité administrative trop vite entre 1000 av. JC et 200 ap. JC, empechant le developpement des points 2 et 3, en cela, la Chine diffère des Romains et des Grecs qui avaient un mécanisme de discussion publique 3 bien avant que la capacité administrative de l'Etat ne soit développée. 

Il cite aussi parmi les anciens Adam Smith, dont l'ouvrage Richesse des Nations est un ouvrage de sciences politiques plus que d'économie, et Tocqueville qui compare souvent les institutions de l'ancien régime francais à celles de la democratie en Amerique. Parmi les influences plus recentes, Mancur Olson sur l'action collective, Douglass North sur les institutions et Samuel Huntington sur la culture.

Une autre distinction de cet ouvrage est d'énoncer quatre tendances fondamentales des rapports sociaux.

Quatre Tendances Fondamentales des Rapports Sociaux

Les humains ont des tendances naturelles qui déterminent la formation de groupes sociaux, religieux et politiques:

  1. valeur selective inclusive: la tendance à sélectionner ses proches, et à l'altruisme reciproque guident la creation de groupes.
  2. abstraction: la prévalence du modèle mental de causalité conduit à supposer des causations basées sur des forces invisibles ou transcendantes.
  3. proclivité à suivre des normes pour des raisons émotionnelles plutôt que rationnelles
  4. désir de reconnaissance intersubjective de sa propre valeur, de ses dieux, lois et coutumes. Une fois obtenue, cette reconnaissance devient la base de la légitimité.
Ces tendances s'expriment dans toute société humaine. Si Franz Boas, le père fondateur du relativisme culturel s'opposait à la notion de "progrès civilisationnel" qui mènerait l'homme civilisé de la Grèce antique à la démocratie occidentale, Fukuyama acquiesce sur l'absence d'un tel déterminisme, et cependant veut décrire comment ces mêmes tendances peuvent donner lieu à des résultats très différent en Chine, en Inde, chez les Arabes, les Ottomans, en Europe et en Angleterre.

Développement Historique des Institutions

Chine: formation de l'Etat 
  • période des Printemps et Automne 771-251 av JC: l'individu est un point sur la droite du temps entre une infinité d'ancêtres et une infinité de descendants. Il y a plus 3000 tribus qui s'agrègent peu à peu. Les chefs deviennent de plus en plus puissant.
  • course à l'efficacité: chaque tribu devient un micro-état. La compétition remet en cause les traditions, remplacement du très aristocratique char à 4 chevaux par des troupes de lanciers et d'archers fantassins, promotion de commandeurs au mérite. 
  • L'attrition d'élites durant les siècles de conflit mine l'importance de grande famille
  • réforme agraire pour plus d'efficacité et pour augmenter le contrôle administratif des paysans
  • le féodalisme sera complètement aboli par l'empereur Qin en 210 av JC, ce qui sera suivi par un repatrimonialisation de la société.
  • selon l'historien japonais Naito Torijaro, la transition Tang-Song au 8e siecle ap JC correspond à la fin du féodalisme et au debut de l'ere moderne pour la Chine.
  • comme l'Etat de droit et la rétroaction ne sont pas mis en place suffisamment tôt, l'Etat utilise l'évolution technologique pour augmenter son contrôle de la population.
  • La question qu'étudie Victoria Tinbor Hui dans Guerres et formation des Etats, est pourquoi la Chine a une trajectoire historique entre 700 av JC et 200 av JC similaire à l'Europe entre l'an mil et 1500 mais aboutit à des résultats opposés en terme de lois et de contre-pouvoirs.
Inde: Brahmanes et système de caste
  • un système de caste est mis en place en 1500 Av JC, les Brahmanes sont supérieurs au guerriers, le système de caste est ascriptif et antiméritocratique. Il cause un renforcement des liens patrimoniaux et un affaiblissement du gouvernement.
  • Les empereurs qui unifient le pays paraissent être des accidents de l'histoire qui ne durent qu'une génération, alors que les periodes désunies sont les accidents pour la Chine.
  • Les anglais: personne ne peut gouverner les Indes, chaque village est organisé comme une petite république par de fortes institutions héritées de la tradition et de la religion.
  • Il y a donc un Etat de droit fort du à ces institutions, et un mécanisme de rétroaction: le pays est très démocratique parce que les chefs doivent rendre des comptes, en revanche, il est tres inégal.
Arabes: un État formé par la conquête
  • Selon Mancur Olson, au delà d'une certaine taille de groupe, l'action collective doit être dans l'intérêt personnel de tous les individus du groupe pour les garder motives. Il y a un problème d'action collective une fois la période de conquête passée du 7eme siècle passé. Il faut administrer un vaste territoire.
  • Le prophète avait unifié les tribus mais ne laisse pas un plan de succession clair: schisme des Chiites et Sunnites.
  • Le sultan recrute ses officiers parmi des esclaves issus de tribus turques. Un arabes de grande lignée devient trop fier et difficile à contrôler une fois qu'il est promu.
  • Un corps de soldat esclaves est créé: les Mamelouks, d'origine turque et caucasienne, ils sont plus endurant que les arabes. La milice de 4000 soldat augmente peu à peu jusqu'à 70,000 soldats.
  • Les arabes étant coupés en Egypte de leur source d'esclaves turques, les Mamelouks deviennent un rôle héréditaire, et ceux-ci organisent des organisations caritatives pour passer outre les restrictions de transmission patrimoniale.
  • Le régime résiste aux Mongols mais tombera face au turcs parce que les Mamluks, trop traditionalistes ne s'adapteront pas aux armes à feux que les Ottomans utiliseront.
  • Le gouvernement évite la patrimonialisation en ayant recours aux esclaves, et met en place un Etat fort, alors qu'un Etat de droit est assuré par la religion.
Ottomans: despotisme oriental?
  • Les troupes turques envahissent l'Anatolie et prennent Constantinople en 1453.
  • L'esclavage des musulmans étant interdit, des officiers vont dans tous les villages non-musulmans et demandent à voir les registres de naissance, et prennent les meilleurs enfants de 12 à 15 ans. Ces enfants deviennent esclaves, ce qui vaut aux Ottomans l'épithète de despotisme oriental, mais ces esclaves ont de meilleures opportunités que les musulmans, il deviendront généraux ou même haut-fonctionnaires, ministres. Leurs années d'éducation scellent leur esprit de corps.
  • Les janissaires et sipahis obtiendront peu à peu le droit de patrimonialiser leur charge, ce qui contribuera à la décadence des Ottomans.
L'Europe: aiguillages critiques
  • L'Europe est le meilleur exemple du non-déterminisme de l'histoire et des nombreux aiguillages critiques 
  • Ainsi, Karl Marx expliquait comment la révolution industrielle en Angleterre qui avait amené la société occidentale bourgeoise à l'individualisme et causé l'aliénation du prolétariat. 
  • Max Weber attribuait à la réforme de Luther le passage à l'individualisme.
  • Henri MaineFrederick Pollock et Paul Vinogradoff suggerent que la Réforme a pris en Angleterre à cause de l'Etat de droit fort qui s'est développé entre le 10e et le 12e siècle, et  qui culmine avec la Magna Carta. On note que le droit de propriété individuel est bien défini dans ce cadre légal et les dons notariés ont des clause en cas de dispute future entre le donateur et les ayants-droit, alors que la disposition est normalement sujette à l'approbation de la famille agnatique. 
  • En fait, suivant les observations de John Hajnal, et les arguments de Alan McFarlane, et Jack Goody l'individualisme, la méritocratie, la faiblesse du patriarcat en occident, et les droits de la femme dans le monde occidental sont des conséquence que l'on peut remonter à certaines décisions de l'Eglise catholique au 5eme siècle Ap JC. L'Eglise Catholique aurait interdit le mariage avec la femme du frère, l'adoption, et le mariage avec des cousins non pour des raisons idéologiques (l'eglise orthodoxe n'a jamais eu ces lois) mais pour se constituer un domaine. Cet aspect sera popularisé par le psychologue Joseph Heinrich dans son livre de 2020: "le peuple le plus étrange"
Variété de cas Européens:
  • absolutisme fort: États Russe et Prussien, ou les élites sont cooptées par le monarque pour exploiter les paysans. La république de Novgorod est vite mise sous contrôle. Fukuyama commente que les villes libres n'ont existé au moyen-âge que parce que le roi était faible et voulait un contre-pouvoir contre la haute aristocratie qui contrôlait les campagnes.
  • absolutisme faible: France et Espagne, ces pays sont incapable de lever assez d'impôts car ils ont exonéré la noblesse. Les fonctions de l'Etat sont vendus sous forme de charge héréditaire pour financer l'Etat. Le droit reste coutumier la ou les Anglais ont promu une "common law" qui remplace leur droit coutumier.
  • monarchie parlementaire: en Angleterre le roi concede aux nobles la Magna Carta, un équilibre du pouvoir conduit à des institutions inclusives.
  • monarchie faible: la Hongrie et la Pologne ont une noblesse encore plus puissante. Le souverain est sujet à élection. Les nobles refusant de payer pour la défense du royaume, la Pologne et la Hongrie perdront leur indépendance.
  • Charles Tilly présentait l'évolution européenne depuis 900 ap JC comme l'histoire des guerres et de leur financement par l'impôt.  La France de l'ancien régime ne peut taxer au maximum que 15% du PIB la ou le gouvernement anglais pouvait extraire 30% pour financer ses guerres. Si les Etats-Unis se révoltent sous le slogan "pas de taxation sans representation", il suggere que le slogan opposé soit la solution au problème de la corruption qui siphonne l'aide au développement soit pas de "représentation sans taxation".
  • Il note enfin que les démocraties européennes qui ont développé les 3 institutions semblent néanmoins incapables de réformer leur système de sécurité sociale pour l'adapter à leur évolution démographiques.

Conclusion

Fukuyama, tout comme Acemoglu et Robinson ou Piketty s'entendent pour dire que l'histoire est parsemée d'aiguillages critiques. L'historien peut toujours revenir en arrière, pour présenter un aiguillage antérieur comme la cause première d'événement. 

Si Fukuyama proclamait la fin de l'histoire en 1992 parce que la démocratie avait selon lui gagné la guerre idéologique, il note en 2011 que ce commentaire provocateur avait déjà été dépassé au 20e siècle par le philosophe politique français Alexandre Kojève. Celui-ci proposait que la fin de l'histoire avait eu lieu à l'issue de la bataille d'Iéna en 1806: La victoire de Napoléon force la Prusse à devenir un Etat moderne, et le reste de l'histoire n'est que du remplissage. 

Le mérite de cet ouvrage moins complet mais plus approfondi que celui de Daron Acemoglu est de théoriser le besoin d'un État administratif suffisamment fort pour assurer la défense, la police et la justice, d'un Etat de droit pour limiter le pouvoir de l'Etat, et d'un mécanisme de rétroaction assurant des institutions inclusives. 

Les quatre tendances humaines fondamentales rappellent les travaux de Stephen Boyden sur la biohistoire, et la psychologie evolutioniste.


2022-10-22

Souveraineté, Technocratie et Dictature selon Carl Schmitt

Carl Schmitt est un juriste et philosophe politique de l'entre-deux guerre. Il publie à partir de 1922 des ouvrages politiques décrivant les causes fondamentales de l'impasse politique de la république de Weimar. 

Il rejoint le parti Nazi dans les années 30 et sera mis à l'écart en 1945 lors de la dénazification. Il est néanmoins un penseur influent en sciences politiques du 20e siècle, pour la clarté de sa critique de l'État technocratique. 

Il fait ainsi contrepoids à Walter Lippmann. Cet article reprend des points de "La critique du libéralisme de Carl Schmitt" par John P McCormick, 1999. 

Carl Schmitt.
Credit: Paul Noack wikicommons

Je m'intéresse ici à deux aspects de la pensée de Schmitt: le problème de l'évolution du parlementarisme vers un positivisme légal et le risque de détournement dictatorial dans une démocratie. 

D'autres aspects de la pensée de Schmitt sont le rôle essentiel de la violence en politique, et la distinction ami/ennemi qui est à la source des coalitions. Ces aspects étaient manifestes dans les années 20 en Allemagne, comme en France lors de la crise du 6 Fevrier 34 qui conduit au Front Populaire, et le sont encore en Mai 1968, ou dans la société actuelle avec le mouvement BLM aux USA, et les Black Bloc en France. 

Tradition Philosophique Allemande et Max Weber

Max Weber est un fondateur de la sociologie et des sciences politiques. En 1919, dans "Politique comme vocation" il définit l'État comme l'entité qui a le monopole de l'usage légitime de la force physique. 

Politiquement orienté pour une fusion du libéralisme et du socialisme, il voit la bureaucratisation et le positivisme légal comme des progrès de la société vers plus de rationalité et d'efficacité.

Il distingue trois formes idéales de domination, d'autorité, et de légitimation :

  1. autorité charismatique (familiale ou religieuse)
  2. autorité traditionnelle (patriarchie, féodalisme)
  3. autorité légale (droit moderne, État et bureaucratie)

De plus, Weber présente l'émergence de bureaucraties au 19e comme un progrès qui permet une fonction régulière des tâches que l'État entreprend grâce à 

  • une division du travail précise
  • des règlements qui stipulent précisément la chaîne de commande et les devoirs à accomplir
  • l'embauche de personnel adapté qui garantit l'exécution de ces tâches et la continuité du service
En 1920 Carl Schmitt répond à Max Weber, qui a l'autorité intellectuelle de l'époque, sa critique s'articule autour des considérations suivantes :
  • Existentialisme de Nietzsche et Heidegger
  • Révolte Hégélienne contre la technologie considérée comme "Kantienne"
  • Aspiration à la transcendance et à des valeurs spirituelles face à une technicité accrue
Certaines de ses distinctions sont particulièrement éclairantes, notamment sa critique de la dérive technocratique et de l'importance primordiale des règles concernant la gestion des crises et de l'état d'urgence

Fiction du Parlementarisme des Lumières et du Positivisme Légal

Selon Schmitt, le parlementarisme des philosophes des lumières est légitimé par une fiction : le débat public conduirait à ce que la vérité et les meilleures idées prévalent. Avoir de nombreux représentants permettrait donc de s'assurer une multitude d'idées et de compétences, et un débat de meilleure qualité. Il n'y a pas de débat pour discuter du bien-fondé des lois proposées : des discours sont préparés avant la mise en œuvre de négociations basées sur un décompte possible du scrutin au vu des lignes partisanes.

Quand la moitié de l'assemblée est constituée de Nazi et de Communistes, on n'espère pas un débat en toute bonne foi. 

L'ordre libéral n'est pas basé sur une représentation, mais sur un décompte des votes. Schmitt s'insurge contre une vision technique qui vide la politique de son sens. 

Ainsi, il prend le contre-pied de Kelsen qui cherche à axiomatiser la justice par un positivisme légal, pour lequel le droit n'est ni juste ni injuste, mais simplement l'ensemble des textes légaux validés par le législateur. Si Kelsen considère que les juges appliquent les lois, pour Schmitt, les juges adressent l'écart entre la loi et le cas particulier. Par cela, il se rapproche du droit anglais.

Schmitt pense que le féodalisme ou la décentralisation sont impossibles pour l'Allemagne parce que la nation fait face à des États-Nations puissants et unifiés. Il faut un État centralisé puissant pour défendre les intérêts Allemands.

Habermas et Schmitt considèrent que les médias de masse, et l'État providence détruisent l'État de droit bourgeois. Si Schmitt désire un mode plus traditionnel de légitimation. Il pensait en 1922 que la religion catholique pouvait fournir un symbole plus puissant qu'une technocratie libérale. En 1930, il se déclare en faveur d'un leadership "charismatique" accepté par plébiscite.

Il faut noter un glissement du sens du mot "charismatique" : pour Weber, le charisme signifie un don de Dieu, et l'autorité charismatique correspond à la monarchie de droit divin, le mot charismatique vient à signifier "sanctionné par un culte de la personnalité".

Gestion des Crises et Dictature

Lors de la renaissance, Machiavel écrit deux ouvrages, les Discorsi à l'usage des républiques (cite État de Milan) et le Prince à l'usage des monarchies.

Dans les discorsi, Machiavel rappelle que le sénat avait le pouvoir de nommer des dictateurs pour faire face à un état d'urgence. Ainsi, Cincinnatus, un citoyen Romain qui labourait son champ 500 ans avant JC fut nommé dictateur (au-dessus des lois, y compris pouvoir de vie et de mort sur tous) par le Sénat pour organiser la guerre contre les aequi, après une victoire éclair, deux semaines plus tard, il abandonne son rôle de dictateur pour labourer son champ. 

Schmitt appelle ce type de dictature "commissariale", les décisions et les lois sont prises de manière collégiale et l'état d'urgence est décidé par le souverain.

Un dictateur qui s'éternise dans son rôle, et peut décider de le proroger, est un "dictateur souverain", ce que Machiavel appellerait un Prince ou un tyran. C'est en utilisant le rôle de dictateur dans un rôle souverain pour promouvoir des lois que la République romaine a évolué vers l'empire, le Césarisme

La dictature fait face à la crise pour les penseurs de la révolution jacobine Mably et Sieyes, comme pour les bolchéviques. Si ces dictatures jacobine et bolchevique se disent temporaires comme les classiques, le statu quo ante n'est plus souhaitable. L'objectif est une fin de l'histoire eschatologique et le souverain est un "peuple opprimé" inaccessible. Par ce mécanisme, la souveraineté reste dans les mains du "dictateur" qui décide. 

Selon Schmitt, la philosophie politique depuis les lumières a oublié cette distinction faite par Machiavel. Les provisions concernant l'état d'urgence doivent être bien décrites dans la constitution, car celui qui décide de l'État d'urgence est effectivement souverain. Pour que le dictateur ne soit pas souverain, il faut un mode d'autorisation et de sélection externe.

La séparation des pouvoirs est une autre institution qui est un facteur d'instabilité, et les règles définissant l'usage d'exceptions doivent être pensées à l'avance. 

Le parti Nazi prendra le pouvoir dans le cadre de ces procédures d'exception mal conçues.

Regrets de Schmitt en 1943 ?

Schmitt continuera à théoriser sur l'opposition fondamentale de la politique entre ami et ennemi. Si en 1930, Schmitt propose une alliance du mythe et de la technologie pour faire face à la "passivité" du romantisme et du positivisme, il semble exprimer des regrets en 1943 dans un article sur les principes que les institutions doivent conserver pour garantir la dignité humaine :
  • reconnaissance de l'individu basée sur le respect mutuel même dans les situations de conflit
  • un sens de la logique et de la cohérence des concepts et des institutions
  • une réciprocité, et un minimum de respect des règles et procédures 
Si Schmitt a pris un tournant politique totalitariste dans les années 20, sa critique du droit et des institutions républicaines à l'ère de la bureaucratisation et de la production de masse a été remarquée et reste pertinente.

La lecture de John McCormick m'apprend qu'il est plus intéressant d'analyser la pensée de quiconque, ses distinctions, les évolutions telles que lui-même les auraient décrites et les contradictions inhérentes à cette pensée plutôt que de se lancer dans des imprécations vitupératrices qui montrent qu'on est plus soucieux de signaler sa distance d'un adversaire politique que de comprendre sa vision du monde.



2022-10-01

Comment le monde est devenu moderne selon Stephen Greenblatt

 Stephen Greenblatt est un professeur de lettres classiques et d'Anglais à Harvard, spécialiste de Shakespeare. Selon lui, la redécouverte de Lucrèce aurait mené à une révolution intellectuelle en ouvrant la voie à la rationalité, la démarche scientifique et la pensée moderne, la ou l'Église et l'argument d'autorité avaient paralysé la pensée occidentale. 

Durant l'hiver 1417, un humaniste à l'esprit vif et passionné de lettres latines, Poggio Bracciolini, utilise son statut d'ancien premier secrétaire du Pape pour faire la tournée des monastères Allemand. Il découvre une copie du poète Lucrèce :  De Rerum Natura.
Poggis Fiorientini credit: wikicommons

Selon Stephen Greenblatt, c'est la qualité de la grammaire et de la versification qui attire d'abord l'humaniste, mais lorsque le manuscrit est copié maintes fois puis imprimé, le sens du poème s'impose à l'élite intellectuelle. 

Quelques éléments de la pensée de Lucrèce :

  • l'absence d'intervention divine dans le monde
  • la mortalité des hommes
  • une physique matérialiste atomiste ou les événements sont le fruit du hasard et non de colères et de volonté divines 

Selon l'auteur, l'avènement de la rationalité et l'âge scientifique sont liés à la discussion de l'athéisme du poète qui choque les intellectuels chrétiens et les force à sortir des ornières d'un millénaire d'obscurantisme.

Si l'auteur présente l'athéisme et le matérialiste comme l'ultime forme de progrès intellectuel dans cet ouvrage, sa thèse principale intéressera tous sauf les plus fondamentalistes : l'homme du 18ème siècle pense bien différemment de celui du 15ème.

Quelques enseignements tirés de l'ouvrage de Greenblatt:

  • avant l'Empire, les Romains voient les lettres comme une activité peu martiale et efféminée
  • les romains écrivaient sur papyrus avec une encre assez fragile, la copie était un travail d'esclave, les papyrus se conservent 3 ou 4 siècles environ
  • les romains lisaient à voix haute dans une bibliothèque privée décorées de statues de penseurs
  • à partir du 3ème siècle de notre ère, il y a moins de scribes et moins de copies. Les livres se perdent.
  • les règles monastiques demandent la lecture des textes sacrés, ce qui implique la copie et l'existence de scriptoriums. Cette lecture doit être répétitive, non-critique.
  • le texte de Lucrèce a été copié au 9ème siècle, cela implique soit une copie au hasard, soit des humanistes avant l'heure : le monde n'était pas prêt pour Lucrèce au 9ème siècle.
  • l'Église du 14ème et 15ème siècle était très intolérante, l'inquisition brûlait les hérétiques, et un humaniste retournant en Italie d'Angleterre a été dénoncé par ses ennemis et brûlé pour atomisme (théorie incompatible avec la transsubstantiation selon l'inquisiteur).
  • même si Poggio décide jamais de devenir religieux alors qu'il est secrétaire du pape, il était profondément croyant. Il appréciait Lucrèce surtout pour la qualité de son latin.
  • La représentation de l'univers avant la renaissance est très différente : il s'agit d'un monde où l'homme a une place centrale, ou le ciel tourne autour de la terre et Dieu se préoccupe de l'homme qui est distinct des autres animaux.
  • L'argument pour ajuster cette représentation est l'argument d'autorité, alors qu'il devient plus scientifique après la renaissance.
  • Si l'inquisition s'oppose à tout écrit moderne reprenant la vision du monde athée de Lucrèce, l'ouvrage est copié puis imprimé, la vision du monde sous-jacente est discutée dans les cercles latinistes, y compris dans l'Église. Les papes ont bien vite leur copie du poème de Lucrèce.
  • La traduction de Lucrèce en langues vulgaires arrivera après deux cents ans. La première traduction en Anglais est faite par une femme très pieuse qui voulait mieux comprendre l'argumentation de l'auteur. Là encore, dissémination n'implique pas prosélytisme.
  • Jefferson avait de nombreuses versions de Rerum Natura, et la recherche du bonheur inscrite dans le préambule de la constitution américaine est une marque de son épicurisme.

Cet ouvrage incite à plus rechercher le passage de l'âge féodal (Guy Bois) et le contexte de la réforme (Euan Cameron).

2022-07-31

Crash: une décade de crises financieres selon Adam Tooze

 Adam Tooze, un spécialiste de l'histoire économique du 20ᵉ siècle qui a enseigné à Cambridge et Yale, publie en 2018 une rétrospective détaillée de la grande crise financière de la dernière décade.

Émeutes en Grèce

C'est un sujet qui a déjà été couvert par d'illustres auteurs (on pense à Paulson, Bernanke, Geithner). L'auteur intègre tous ces témoignages tout en détaillant les effets de la crise de l'Europe de l'Ouest à la Corée, en passant par les pays de l'Est, la Russie et la Chine.

Le livre suit un plan chronologique détaillé, qui reprend chaque étape de la crise, telle qu'elle a pu être relayée par d'autres très bonnes sources, je reprends ici certaines observations particulièrement pertinentes de l'auteur.

Hégémonie confirmée du Dollar

Adam Tooze rappelle que les flux financiers entre l'Europe et les USA représentent des montants plus important que les importations d'Asie.

Les flux financiers en 2007 avant la crise étaient les suivants :

  • US-Eur: $1,6t, Eur-US: 2,6t
  • US-APAC: $0,2t, APAC-US $0,9t 

Comme indiqué depuis Triffin, le déficit commercial américain conduit à des flux d'investissement du reste du monde. L'investissement de la Chine en bons du trésor américain est très visible dans les médias. On voit ici que l'Asie (incluant aussi le Japon) ne correspond quand 0,7t alors que l'Europe est plus intégrée à la finance américaine, et finance 2,6t d'actifs américains, représentant 1t de prêts nets.

Les banques européennes empruntent des dollar sur le marché à court terme pour investir dans des actifs en dollar à long terme. Ce mécanisme de prise de risque avait été décrit par le PDG de Citigroup comme une partie de "chaise musicale" à laquelle les banques jouent pour tenir leur rang face à la compétition.

L'auteur explique la dépendance de la finance Européenne au dollar, avec des besoins de "swap lines" entre banques centrales pour des montant de 100 à 1000 milliards.

Là où le FMI opère habituellement des sauvetages pour des montants de 10 à 30 milliards. Ces lignes de swaps ne sont pas trop dans les médias, et Sarkozy de dire que la crise de 2008 montre la fin de l'hégémonie du dollar et la débâcle du capitalisme anglo-saxon. 

La Chine poussera pour remplacer le dollar par des SDR qui ne seraient pas contrôlés et gérés dans l'intérêt des américains.

Le rêve anglais d'un G2

Alors que Gordon Brown reve de pousser plus avant la collaboration US-UK avant le G20, Obama se permet de commenter: ce serait plus simple si Roosevelt et Churchill pouvaient s'entendre sur la manière de diriger le monde autour d'un verre de cognac, mais ce n'est plus le cas, et c'est probablement mieux ainsi.

Poussée Régulatrice des Français et Allemands

Sarkozy est appuyé par Merkel sur les paradis fiscaux lors du G20 en Angleterre : il déclare "une page a été tournée" sur "l'histoire du capitalisme Anglo-Saxon", et "la fin de l'ère de la dérégulation"

Relance aux US, Austérité en Europe

L'équipe de conseillers économique d'Obama avec Larry Summers et notamment Christina Romer demande une relance bien au dela des 800md prévus, Larry Summers n'ose pas demander plus alors que le congrès républicain et toute sorte de populistes "tea party" lutte contre le poids de l'État. 

Hartz IV (réforme du chômage) et Schuldenbrehmse (limite à l'endettement inscrite dans la constitution) sont des réformes structurelles faites en Allemagne en 2004. En parallèle, il n'y aura pas de telles mesures en France ou en Italie.

Trichet et Dragi sont des haut-fonctionnaires technocrates qui désirent des réformes structurelles dans leur pays respectifs. Ce sera l'implémentation du Vincolo Esterno tant annonce avant Maastricht.

Il est hors de question pour la BCE en 2010 d'acheter directement des obligations souveraines en difficulté. Les technocrates de la BCE ont toujours expliqué que des réformes structurelles étaient nécessaires à l'union. La réaction des marches concernant la Grèce les confirment dans leurs discours habituels. 

Ce n'est que lorsque le marché panique que la Troïka (BCE, FMI, Conseil de l'Europe) décide mais un peu tard, d'agir. Cela coute bien plus cher, et la décision de ne pas faire faire défaut à la Grèce n'est probablement pas dans son intérêt. Il s'agit d'un bail-out des banques Françaises et Allemande. Une dette privée sur laquelle un pays peut faire défaut est remplacée par une dette envers des acteurs comme le FMI, qui ont des moyens de pression bien plus forts que des créditeurs privés.

En fin de compte, la Grèce ne bénéficiera d'une réduction de dette qu'en 2012 : alors qu'en 2009, son PIB était de 240 Md et sa dette de 299 Md, en 2012, sont PIB est descendu à 191 Md et la dette qui avait augmenté de 350 Md n'est réduite qu'à 285 Md, un niveau proche de son niveau en début de crise. Adam Tooze note trois points: 

  • le bail-out initial n'a eu lieu en grande partie pour sauver les banques Françaises et Allemandes, 
  • l'austérité mise en place a détruit la légitimité du pouvoir en place, et déstabilisé le pays politiquement.
  • le PIB a diminué, ce qui semble indiquer un multiplicateur Keynésien supérieur à 1, ce qui rend les réformes structurelles particulièrement douloureuses.
2011 est aussi l'année où Berlusconi et Strauss-Kahn (du FMI) sont impliqués dans des scandales liés à leur sexualité. Sarkozy et Merkel négocieront des accords de soutien financier conditionné à ce que les autres pays Européens appliquent des règles similaires à celles de Hartz IV. Draghi et Trichet pousseront Berlusconi vers la sortie.

L'austérité amène un technocrate, Monti au pouvoir en Italie, alors que des gouvernements socialistes arrivent en France (avec Hollande) et en Espagne (Podemos).

Pays Émergents, Russie et Ukraine

En Ukraine, Tymochenko du parti de la révolution Orange perd son élection contre le pro-russe Yanukovych qui promet plus d'ouverture vers l'Europe. L'Europe et la Russie proposent des accords commerciaux incompatibles (espace commercial commun et de tarifs vers l'extérieur). Un effort aurait pu être fait pour les rendre compatibles, mais il n'y avait aucune volonté politique dans cette direction.

Alors que l'Ukraine s'attend à une aide de 15 à 50 Md, l'offre de UE de moins d'un Md apparaît inacceptable en comparaison à ce qui a été offert à la Pologne, en plus que le FMI demande à ce que la depense en gaz augmente de 50%. 

La Russie offre ensuite une subvention sur le gaz et d'autres aides pour 15 Md, et Yanukovych choisi l'espace commercial Russe. Une révolte assez limitée commence qui, mal gérée par le président, prend de l'ampleur alors que les États-Unis agitent pour un changement de régime (conversation "F** the EU" entre Victoria Nuland, sous-ministre des affaires étrangères américain et l'ambassadeur US en Ukraine Pyatt).

Vu l'interférence américaine, la Russie décide de l'annexion de la Crimée. Des sanctions sont mises en place par les États-Unis, qui ont été reprises par l'Europe quand une milice pro-russe au Donbass détruit par erreur un avion de ligne de Malaysian Airline et ses 290 passagers.

Note : ces commentaires d'Adam Tooze sont publiés en 2018. En 2014, Frank Sakwa, historien anglais spécialiste de la Russie, publie "Ligne de Front Ukrainien: Crise dans les pays frontiere" une vision plus critique de la politique de l'Otan, dont l'expansion est justifiee par le risque militaire créé par son expansion. 

2015-2016 : Populisme et l'interdépendance avec la Chine

Une crise qui avait maintes fois été annoncée en Chine par ses détracteurs a lieu en 2015 alors que le parti avait encouragé les ménages à investir en bourse. La Fed n'ose pas remonter les taux à cause de la situation en Chine, démontrant la dépendance de la Fed aux marches internationaux.

Adam Tooze, en citant Abba Lerner (un économiste que l'on surnomme le Milton Friedman de gauche), rappelle que l'économie est un champ d'investigation qui s'épanouit sous l'hypothèse d'un régime politique stable. La politique est si importante en Chine que les considérations économiques sont hors-champ.

L'élection de Trump et le Brexit surprennent les médias conventionnels et conduisent à une déstabilisation de l'ordre mondial. Pour Adam Tooze, le 21ᵉ siècle entame une poussée nationaliste et protectionniste qui défie à nouveau les démocraties. Le marché tout comme le politique sont enclins à la myopie et l'irrationalité alors qu'Adam Tooze aimerait voir le politique donner une orientation durable aux sociétés démocratiques.


2022-05-01

La guerre commerciale est une lutte des classes selon Michael Pettis

 Michael Pettis est un spécialiste des marchés émergents qui enseigne l'économie à Pékin. Son livre "La guerre commerciale est une lutte des classes" (en Anglais ici) reprend l'histoire du commerce international depuis 1800, et la question de la persistance des déficits commerciaux.

La Banque d'Angleterre: une institution conçue pour les privilégiés?

Avant de se pencher sur la politique commerciale des grands acteurs mondiaux, Pettis revoit le developpement commercial depuis 1800. On voit des constantes, telles que l'impact des taux directeurs de la banque d'Angleterre en standard Or est similaire a l'impact des taux de la FED quand le Dollar est le standard et des nouveautés comme les accords de Bretton-Woods.

Histoire du Commerce depuis 1800 

McGregor, Cacique du Poyais

  • Washington voulait développer la production manufacturière pour assurer l'indépendance militaire des USA
  • Après les guerres napoléoniennes de 1815, les Anglais prêtent a l'amérique latine dans l'espoir de voir un développement équivalent a celui des USA. En 1823, le Poyais, pays fictifs parvient à lever des capitaux en Europe.
  • La banque d'Angleterre ne possède que 5% de réserves or physique, quand ses réserves diminuent, elle peut les rétablir en augmentant les taux de 3% à 5%. Cela cause la panique de 1825 sur les investissements plus risqués. 
  • Le libre-échange de Riccardo ne fait pas l'unanimité. Suivant l'exemple des USA, Friedrich List milite pour le Zollverein allemand en 1833. Le Japon et l'Allemagne suivront cet exemple, imposant des tarifs pour inciter le développement d'une industrie nationale.
  • La mondialisation et le libéralisme s'étendent jusqu'en 1873. Avant 1870, Napoléon III qui se pensait stratège a des vues sur le Luxembourg et la Belgique. Il négocie secrètement d'échanger différentes parties de l'Allemagne a ses voisins outre-rhin alors que ceux-ci font un accord secret d'alliance. Lorsqu'il déclare la guerre dans le cadre de la succession d'espagne, il la perd, ce qui permet l'unification Allemande. L'argent facile des réparations de la guerre de 70 (20% du PIB français) causent une bulle financier en Allemagne.
  • Apres 1873, la possibilité de tarifs entraîne une ruée coloniale vers l'afrique, et vers l'Asie pour s'assurer un accès aux ressources et aux débouchés commerciaux. En 1902, John A Hobson publie son livre Impérialisme dans lequel il explique que la logique impérialiste est la recherche de débouchés en présence de sous-consommation. Cette idée sera cooptée par Lénine en 1916.
  • Comme le note William Playfair en 1805, les Hollandais financent le Royaume-Uni au 17e siècle. Après cela, les Anglais financent les USA au 19e. Les USA seront capable de financer l'étranger a partir de 1900 (canal de Panama terminé en 1914)
  • Lors de la deuxième moitié du 20e siècle, la Pax Americana, la containerisation a permis d'étendre les échanges commerciaux bien au delà de ce que Smith et Riccardo discutaient. L'offshoring de la  production s'est développé alors que le développement d'internet permet une communication rapide avec les usines.

Taxes et Comptes Nationaux

  • Les imports et exports sont comptabilisés à leur valeur totale, et non en valeur ajoutée, comme les autres termes du PIB
  • la détermination de la valeur ajoutée a des conséquences fiscales importantes. Pour cette raison, les affaires des multinationales sont arrangées de sorte que la propriété intellectuelle est détenue dans des juridictions propices.
  • la legislation fiscale des USA est determinante, notamment la section 952 F, qui régit l'imposition d'entreprises étrangères contrôlées a plus de 50% par une personne américaine introduite dans les années 50 pour faire face a première vague d'internationalisation. Une modification du code en 1996 a permis aux GAFA d'exporter leur bénéfices en Irlande, puis via la Hollande. Le TCJA de 2017 devrait limiter ces effets.
  • A cause de la comptabilisation des imports et exports, le PIB de l'Irlande, Singapour, et des îles Cayman n'est pas comparable aux économies axées sur une demande et une offre intérieure de biens et services.

Inégalités et Épargne



  • La propension marginale à consommer n'est pas une caractéristique nationale, elle est directement liée au niveau de revenus et par cela, a la portion du PIB qui revient aux travailleurs. La PMC est  notamment deux fois supérieure pour le quintile inférieur.
  • Les riches investissent, les pauvres s'endettent pour consommer.
  • Les identités ci-dessous permettent d'appréhender la balance commerciale et la balance courante
    • Demande Mondiale = Production Mondiale 
    • Demande = Consommation + Investissement
    • Production = Consommation + Épargne
    • Demande domestique = PIB + Imports - Exports
    • Export - Import = Épargne domestique - Investissement domestic
  • Quand un pays devient Picsouville et la consommation est remplacée par l'épargne, l'investissement productif devient du malinvestissement, et les prix des actifs montent.
  • Selon l'IMF, on observe un taux d'épargne  constant au niveau mondial depuis 1980, mais des disparites locales:
  • Chine: épargne élevée, Export et Imports élevés
  • Allemagne: épargne élevée, peu d'importation
  • US: épargne faible, forte consommation

Histoire Schématique de l'Ordre Économique Mondial

Hotel Washington a Bretton-Woods

  • Flux Speculatifs: Les flux de capitaux ne sont pas dus a une croissance supérieure du PIB ou des opportunités d'investissement meilleures, le même schéma de bulles d'investissement et de paniques se reproduit régulièrement:
  • trop de capitaux disponibles (fin des guerres napoléoniennes) font que l'argent va chercher des investissements plus risqués, a l'étranger, "risk-on" 
  • un événement catalyse une consolidation des marchés "risk-off". Les investisseurs se retirent pour acheter du cash ou des obligations du pays qui détient le privilège exorbitant d'être la devise de réserves. Ainsi, bien que la Livre Sterling était au standard Or. L'angleterre ne détient que 5% de ses billet en reserves d'or, et la livre ne se fera jamais attaquer la où les obligations colombiennes ou argentines seront dévaluées.
  • l'auteur cite Gershenkron et son étude de l'industrialisation en 1962: Retard Économique dans une Perspective Historique comme une source de qualité sur le développement au 19e siècle.
  • pour revenir au 20e siècle, la Turquie connaît une forte croissance de 2004 a 2018, où les entreprises peuvent emprunter a 4%-6% en USD et 9%-28% en TRL. Cela incite les entreprise a emprunter en USD et cause une forte dévaluation de la Lire Turque a chaque crise. La dévaluation est plus forte que l'inflation et cause une perte de pouvoir d'achat des turcs
  • la crise asiatique de 1998 était un exemple de flux spéculatifs qui s'assèchent soudainement, les conditions imposées par le FMI pour l'Indonésie vont bien au delà des causes de la crise, et attaque directement les soutiens économique du régime du président Suharto en place depuis 30 ans. La perte de souveraineté est totale et tous les pays d'Asie, notamment la Chine feront en sorte d'accumuler un coussin de réserve de sorte à n'avoir jamais à faire à une discontinuité politique imposée par le FMI.
  • Chine: L'économie chinoise s'ouvre a partir des années 80. Les accords du GATT en 95 approfondissent la transformation. La croissance est contrôlée par le gouvernement qui décide combien sera investi/prêté par les banques. Ce qui a changé depuis la période communiste est l'accès au crédit à des sociétés privées. Selon Pettis, le sous-développement était tel que tout investissement est garanti d'être rentable.
  • Cependant, la population n'est pas bien payée. Par exemple, le système des Hukou prive les travailleurs migrants intérieurs de droits du travail et d'accès aux service sociaux
  • Depuis 2010, les investissement augmentent mais la consommation n'a toujours pas pris le relai.
  • Europe: En Europe, de 90 a 00 l'Allemagne organise des réformes structurelles d'austérité pour financer le coût de la réunification.  
  • L'ouverture de l'Europe de l'Est permet le nearshoring vers des employés payés 5 fois moins. Les syndicats allemands sacrifient les salaires au profit de l'emploi à temps partiel.
  • Le Schuldenbremse (règle d'or budgétaire) et le plan Hartz 4 continue de diminuer la capacité à consommer des ménages les plus pauvres en démantelant les allocations chômage long terme.
  • Avec des impôts et des salaires qui baissent, la productivité allemande remonte et le pays exporte en Europe et aux Etats-Unis.
  • Etats-Unis: JM Keynes représentait le Royaume-Uni lors des negotiations de Bretton-Woods et suggerait un Bancor ou SDR qui soit indexé sur le PIB respectif des différents pays. Un mécanisme d'ajustement aux déséquilibres commerciaux par la dévaluation et des mécanisme de cap qui empêche les pays exportateurs d'accumuler des réserves de change outre-mesure. Les Etats-Unis ont décidé en faveur d'un système fixe basé sur le dollar.
  • le déficit commercial existe depuis 1950 et atteint des proportions légendaires. A partir des années 50, Triffin, un économiste belge naturalisé aux Etats-Unis, suggère que le privilège exorbitant conféré à la monnaie de réserve est en fait une charge exorbitante d'être en déficit financier permanent, donc d'importer plus de bien et de service ou de vendres ses actifs.
  • Dans les annees 1960, les Européens peuvent convertir leur dollar en or, ce qu'ils font de plus en plus. Lorsque l'Allemagne s'y met, les US suspendent la convertibilite en or, et les monnaies deviennent flottantes, ce qui revient à un système de monnaies fiat flottant qui n'a jamais existé auparavant. Le dollar est notre devise mais votre problème dira Connally, ministre des finances de Nixon au G10 .
  • La désindustrialisation américaine est particulièrement forte depuis les accords du GATT de 1995. Les classes moyennes s'endettent pour consommer
  • Les prix des actifs augmentent ce qui bénéficie a une élite restreinte.

Conclusions

Les solutions proposées par l'auteur sont en général de centraliser et planifier l'économie:
  • Allemagne/Chine: plus d'impôts et de redistribution, moins de productivité et plus de consommation en Allemagne en augmentant salaires et aides sociale, idem en Chine, plus d'accès aux service sociaux en abolissant les restrictions du Hukou
  • US: plus d'impôts et de redistribution, plus de dette au niveau fédéral pour résorber l'endettement des ménages. Ramener l'emploi aux Etats-Unis. 
  • Accords internationaux pour gérer la transition par des accords win-win comme en 46 plutôt qu'une guerre commerciale avec des tarifs douaniers comme dans les années 30.
L'auteur relate des faits éclairants:
  • L'historique du commerce et de l'investissement mondial au 19e siècle est éclairant. 
  • Meme sous un standard or, la banque d'Angleterre ne détenait que 5% de sa masse monétaire en réserve d'or. Elle utilisait les taux pour maîtriser les flux d'or tout comme la FED contrôle les taux pour maîtriser l'inflation.
  • Cce système de réserve monétaire cause des bulles dans les pays qui empruntent en USD et qui deviennent incapables de rembourser au pire moment. Le système actuel fragilise les pays en développement.
  • Les flux d'investissement vers les pays en développement sont liés à la politique de la banque qui émet la devise de réserve.
  • Le libre-échange est un obstacle a l'industrialisation selon Friedrich List, cela semble confirmé pour les USA, l'Allemagne, le Japon, la Russie.
  • 1873 correspond a un pic du commerce international inégalé jusqu'à la fin du 20e siècle. Les tarifs et politiques de jeu a somme nulle des années 30 ne seront abolies que grace a la legitimite internationale de JM Keynes.
  • Les accords de Bretton-Woods sont en 46 le premier effort d'obtenir un ordre mondial qui permet le développement. La création de Bancor dans ce système a été préempté par les Etats-Unis qui souhaitaient plus de contrôle politique. 
  • Ce système était intenable comme le note Triffin (et injuste comme le notait Rueff), il s'écroule en 1971. Le monde a besoin de nouveaux accords.
  • Le FMI a été instrumentalisé par les USA pour organiser des coups d'Etats économiques contre des regimes installés 30 ans plus tot par les Etats-Unis. Cela explique que de nombreux pays en Asie font attention a ne pas en dépendre.
  • Les points forts de cet ouvrage sont la comprehension des flux internationaux, de l'histoire des pays émergents et de la politique Chinoise, Allemande et Américaine.  
  • Les points faibles sont l'histoire économique du Japon qui est a peine couverte et la question démographique de l'évolution du taux de dépendance. 
  • Le libre-échange est présenté comme favorisant les inégalités. Neanmoins, ce sont des inégalités relatives dues a des divergences de taux de croissance, pas d'un phénomène de paupérisation absolue. En theorie, la situation des plus pauvres est tout de même a priori améliorée par la croissance. 
  • Il faut un nouvel accord international pour remplacer Bretton-Woods, mais les Etats-Unis ne semble pas prêt, étant donné leur insistence à utiliser le dollar pour des sanctions depuis 2010.
  • L'auteur appelle a une diminution des déséquilibres commerciaux entre les USA et les pays a surplus. Il privilégie aussi un retour a plus de Keynésianisme et de centralisation des décisions économiques.

2022-04-11

Le Développement des Nations selon Acemoglu et Robinson

Daron Acemoglu est un économiste du MIT et James A Robinson à l'université de Chicago. Ils publient en 2012 "Raison des défaillances des nations". C'est l'occasion d'expliquer pourquoi certains pays restent sous développés alors que d'autres se sont développé. 

Ils revoient l'évolution historique des institutions et le développement dans le cadre de l'histoire économique mondiale. Les institutions sont selon eux la principale source de différence entre les nations: le Congo est plus riche en ressource naturelles que la Suisse. Une ville frontière entre deux pays comme Nogales à des niveaux de salaires moyens et de crime très différents de part et d'autre d'un mur frontière qui sépare les parties Mexicaine et Américaine de la ville. 

Dans leur étude du développement économique et politique, ils distinguent deux types d'institutions:

  • extractives: privilèges, absolutisme, servage, esclavage
  • inclusives: état de droit, parlementarisme, démocratie, droit de propriété
L'éducation et le progrès technologique sont souvent interdits par les systèmes extractifs. Ils bloquent les changement de l'ordre établi pour éviter toute remise en question ou poussée revendicative.

Les Aztecs: plus extractifs que les Espagnols?



Eléments d'histoire

  • Venise: entre le 10e et le 13e siècle, la république de Venise est inclusive, de jeunes armateurs prennent des risquent et partagent les bénéfices du commerce avec leurs contributeurs financiers. L'élection du Doge et le conseil sont accessibles aux nouveaux riches, le grand conseil devient héréditaire en 1297 et Venise se transforme en musée dans les deux siècles qui suivent.
  • Rome: la république est égalitaire en 500 av JC. Elle entre en crise alors que la classe patricienne se détache de la plèbe, avec des tribuns populistes en 150 av JC, l'agitation continue et est résolue 100 ans plus tard avec la période impériale commençant avec César et Auguste.
  • Divergence de Servage en Europe de l'Ouest et de L'Est: l'époque féodale introduit le servage dans toute l'Europe. Au 14e siècle, la peste bubonique tue plus de la moitié de la population, ce qui change les rapports de forces. Les serfs en Angleterre et en Europe de l'Ouest verront leur liberté augmenter. On observe la meme chose, puis un mouvement inverse en Europe de l'Est, où les corvées et restrictions des serfs augmentent tout du long du 15e et 16e siècle. Si il y a des chocs historiques comme la peste communs, il n'y a pas de déterminisme historique, des aiguillage critiques qui guident l'évolution constatée a posteriori.
  • La civilisation Maya qui nous laisse des pyramides précolombienne est caractérisée par des institutions extractives, des guerres entre ville pour obtenir des esclaves et faire des sacrifices humains. 
  • L'amérique Latine est marquée par une exploitation meurtrière par les espagnols des populations indiennes puis d'esclaves importés d'Afrique. L'économie est captive de monopoles et privilèges dispensés par le roi d'Espagne, puis une junte maintient son emprise politique et économique.
  • L'Angleterre avait régime monarchique faible face aux Lords et à un parlement qui obtient un pouvoir croissant de la magna carta (1215) à la Glorieuse Revolution (1688). La noblesse défend l'état de droit parce qu'elle leur permet de faire face au pouvoir royal. L'enrichissement de la classe capitaliste, et le passage d'un suffrage censitaire à universel reflète des mouvement sociaux qui s'amplifient après que la recherche de profit industriels concentrent la population dans les villes.
  • En France, le roi achète par exonération d'impôts la noblesse et le clergé. Ce qui lui permet de maintenir l'absolutisme. Cela mène à la révolution et l'abolition des privilèges. Une coalition de l'étranger tente d'éteindre le feu revendicatif mais la conscription produit une armée d'une taille jamais vue. Napoléon conquiert et réforme. Il met en place un code civil moderne qui se maintiendra sur le continent. La situation politique française ne se stabilise qu'en 1871 avec la 3e république. 
  • Australie, USA: Il s'agit de colonies où l'Angleterre tente d'abord d'organiser l'exploitation de ses colons. La population est si peu nombreuse face à des ressources naturelles importante qu'une libéralisation permettent un développement plus rapide, qui est dans l'intérêt à court terme des élites locales même si la couronne tente d'empêcher de tels développements: interdiction du droit de propriété des criminels envoyés en Australie, tentative de servage dans la première colonie de Jamestown. Ces colonies de peuplement Anglaises partent d'institution inclusives et évoluent encore plus rapidement dans ce sens que la métropole.
  • Ethiopie: il s'agit d'une monarchie absolue chrétienne avec des traditions millénaires dont les institutions extractives ont empêché le développement jusqu'au 20e siècle.
  • Congo, Nigeria: ce sont des pays artificiels qui existent après la colonisation. Dans certaines juridictions, le roi ou le chef de clan possède toute propriété et la redistribue à chaque décès, ce qui réduit les incitations au travail. Aussi, des guerres tribales incessante font que les hommes de moins de 35 ans se concentrent sur l'art de la guerre. Le commerce des esclaves avec les arabes et les européens va corrompre encore plus les institutions: peu à peu, les tribunaux traditionnels donnent toujours, quel que soit le crime ou l'évidence de culpabilité de l'accusé, la lucrative condamnation à la vente comme esclave.
  • Botswana: c'est un pays d'Afrique noir qui n'a pas subi d'administration coloniale car il ne servait pas d'intérêt stratégique, et ses chefs tribaux ont su négocier avec l'Angleterre au moment opportun. La performance de ce pays est bien meilleure que le Nigeria ou le Congo.
  • Inde: l'auteur explique que l'Angleterre croit de 2% par an plus rapidement lors de sa révolution industrielle. La mécanisation de la production textile a déplacé la production artisanale indienne, alors que des monopoles à l'import/export étaient mis en place. 
  • Ottoman: alors que l'imprimerie s'étend en Europe aux 15e siècle. et conduit à la réforme et aux guerres de religion. Le caliphe l'interdit. Elle n'est autorisée que qu'à partir de 1720, un seul imprimeur obtiendra une license, il sera soumis à la censure de nombreux "experts religieux" et ne publiera que 17 livres en 40 ans, apres quoi, il fermera boutique.
  • Japon, Chine: le Japon avait une organisation féodale avec un Shogun dont le pouvoir était limité. La crise de l'arrivée des canonnières du Commodore Perry pousse la noblesse japonaise à moderniser le pays sur un modèle impérialiste. Le japon développe son industrie d'armement. La Chine imperiale est beaucoup plus centralisee, cela empêche l'adaptation par la discontinuité sociale. Les Qing achètent leur armement au lieu de le produire, et seront éventuellement remplacés par des Maoïstes en 1949, qui selon l'auteur, s'avèrent encore plus extractifs jusqu'à l'arrivée de Deng Xiaoping.

Stabilité Sociale: deux equilibres possibles


Selon les auteurs, des institutions inclusive induisent un progres economique, un cycle vertueux, alors que des institutions extractives bloquent le développement et enferment la société dans un cercle vicieux.

Cycles Vertueux: Myopie Institutionnelle 

Pour illustrer les caractéristiques des cycles vertueux, Acemoglu présente différents aiguillage critiques  des trajectoires historiques dans le renforcement ou l'affaiblissement de l'état de droit.

  • En Angleterre, des propriétaires qui avaient effectivement expropriés les communes voient leur dépendances se faire vandaliser et leur gibier massacre par des mécontent qui se noircissent la face au charbon avant de sévir la nuit. Le Black Act interdit de telle pratique et puni par la pendaison toute personne qui se noircissait la face. Finalement, un procès avec jury n'applique pas ces peines considérée trop lourdes car cela aurait instrumentalisé la justice au service du pouvoir. L'état de droit prend une existence autonome en Angleterre. Renforcer ces institutions inclusives était toujours dans l'intérêt des factions dominantes, mais cet interet change peu à peu alors que le suffrage est élargi. 
  • Aux Etats-Unis, l'auteur décrit le progrès constant du gouvernement entre 1880 et 1910 pour limiter le pouvoir des trusts. En 1937, alors qu'il est réélu et a le pouvoir législatif, Roosevelt tente d'imposer la retraite à la cour suprême qu'il juge trop conservatrice, et qui selon lui empiète avec le législatif par son usage partisan de vétos constitutionnels. La aussi, la majorité s'oppose à sa proposition, aurait affaibli le pouvoir judiciaire.
  • Enfin, en Argentine, Perron un militaire qui avait pris le pouvoir lors d'un putsch en 43, et qui était élu en 1946 grâce à son alliance avec les syndicats décide de se débarrasser de la cour suprême et d'en nommer une nouvelle. Cela affaiblit fortement l'état de droit en Argentine, qui sera mis a mal par les putsch suivant et les lors des transitions démocratiques comme sous Carlos Menem.
Les décisions prises à ces points critiques de l'histoire le sont dans un contexte limité, leurs conséquences a long-terme sont très différentes de l'intention des protagonistes. 

Cercles Vicieux: l'histoire se répète

  • Au Guatemala, un système le système de travail forcé d'encomienda est mis en place au 16e siècle par les espagnols. Les terrains montagneux n'ont pas de valeur et sont laissés en indivision pour les indiens ou appartiennent au gouvernement, alors que l'élite se charge de l'exploitation de la main-d'oeuvre. En 1871, une grande réforme est poussée par la faction libérale de l'élite, pour mettre en valeur le terrain propice à la culture de café. Les indiens sont expropriés. A présent, le président, le ministre du développement sont tous des descendants de conquistador. La dominance politique nourrit la dominance économique depuis 4 siècles.
  • Dans le Sud des Etats-Unis, les familles de planteurs épargnent la guerre car une personne dispensée de conscription pour chaque 20 esclaves que la famille possède. Apres la guerre de secession, nombre de lois sont votées pour desaffranchir les noirs et s'assurer que les plantation continuent de fonctionner, limiter l'accès au vote et à l'éducation. Ce mouvement sera remis en cause après la participation des noirs aux guerres mondiales, avec les mouvement civique en 61-64. Le changement politique ne s'opère pas après 1860 parce que les planteurs ont réussi à convertir leur avantage économique en avantage politique pendant la reconstruction.
  • En Sierra Leone, les colonisateurs anglais renforcent l'autorité de chefs de village en rendant leur charge héréditaire, apres cela, ils créent une centrale d'achat du café censé protéger les agriculteurs des fluctuation des cours, la centrale deviendra peu à peu extractive. Lorsque des diamants alluviaux sont découvert, dont la prospection ne requiert qu'un tamis et non une immobilisation capitaliste comme les mines, ils vendent la concession à De Beers qui doit créer la force paramilitaire la plus importante du pays la où l'Australie ou la Californie vendaient des droits d'orpailleur lors de leur ruée vers l'or. Le gouvernement postcolonial de Siaka Stevens sera encore plus extractif. La centrale d'achat, et les contrats de diamants sont utilisés pour plus d'extraction. Elu sur un mandat d'alternance, il démantèle la voie-ferrée construite par les Anglais  et revend les rails pour nuire durablement à l'ethnie qui produisait la majorité des produits économiques du pays et éviter une alternance. Un choc politique comme la décolonisation peut conduire à des institutions encore plus extractives.
  • En Ethiopie en 1973, l'empereur Haile Selassie de la dynastie Salomonide millénaire est impopulaire: il laisse une famine sévir sur la population. Les Derg, un mouvement communiste de l'armée éthiopienne, aide des révoltes qui  attaquent les notables, quand ils ont pris suffisamment de pouvoir, ils arrêtent l'empereur. Le nouveau chef d'etat, Mengistu, s'installe dans la salle du trône, les uniformes de sous-officiers sont remplacés par des costumes élégants, les camarades de combat qui lui parlaient les mains dans les poches doivent s'adresser avec une déférence protocolaire. L'extraction continue, mais les famines qui arrivaient par incurie surviennent désormais à des fins politiques. Un choc politique comme la disparition d'une dynastie impériale de 7 siècles et son remplacement par des "hommes du peuple" avec une idéologie de partage peut conduire à plus d'extraction.
L'histoire esclavagiste, coloniale et raciste du 19e siècle est l'occasion pour certains Européens de battre leur coulpe, d'autres insistent sur la barbarie des cultures pré-coloniales. On voit que le problème n'est pas spécifiquement Européen. Les circonstances changent et les exploiteurs restent les memes au Guatemala et aux Mississippi, en Sierra Leone et en Ethiopie, de nouveaux acteur entrent et la farce continue. 

Perspectives: Développement, Extraction Imperialiste, Démocratie

L'ouvrage permet de mieux appréhender la question du développement, de l'apparition d'institutions inclusives, et de comprendre la nature et l'impact de l'extraction impérialiste. Cet ouvrage présente les droits de propriété comme fondamentaux pour la mise en valeur des ressources d'un pays. Politiquement, la droite donne depuis les lumières une origine méritocratique à la propriété la où la gauche condamne depuis 1830 une exploitation par une élite. 

Pour les pays émergent, la solution semble être de suivre la voie des pays qui ont réussi, c'est à dire avec des droits de propriété forts et bien distribués dans la population. Le Botswana qui est présenté dans ce travail comme un modèle de gouvernance est cependant en retard: la mortalité en dessous de 5 ans y est similaire au Venezuela et a l'Inde dont les habitants sont 3 fois plus pauvres, et 3 fois plus de mortalité qu'au Mexique et a la Chine qui ont un PIB/hab similaire et ont fait de bien meilleurs progrès en santé publique.

Pour les pays développés, Acemoglu semble penser que le cadre social démocrate libéral keynésien mis en place depuis l'après-guerre est optimal, mais la situation peut elle être améliorée? 

Au delà des mots vagues mais empreints de symboles comme la démocratie, l'état de droit, et la justice, et dont la perception change avec la société, l'auteur nous engage à peser si les institutions du pays sont inclusives ou extractives, c'est à dire favorables au développement. 

Deux factions ont des visions opposées: les socialistes jugent que des forces réactionnaires favorable au status quo ante font toujours obstruction, et qu'il faut redistribuer plus pour augmenter le développement. Les libéraux considèrent que les mesures sociales sont déjà si fortes qu'elles favorisent l'extraction par la rente d'Etat aux dépens de la création de richesse privée.

2022-03-13

La Biohistoire de Stephen Boyden

L'écologiste Stephen Boyden est l'un des fondateur de la "biohistoire". Il s'agit d'une étude simultanée du développement civilisationnel et de l'écosystème. Il écrit un ouvrage sur ce sujet en 1987.


Les chasseurs-cueilleurs

Empreinte réduite vu le nombre d'habitants. Néanmoins, tous les grand mammifères (Ours des Cavernes, tigres a dents de sabre, Mammouth) disparaissent alors que la population humaine s'étend.

Les humains démontrent leur tendance à la coopération et à l'entraide au sein de leur groupe, qui est typiquement un groupe de taille réduite.

Les groupes de chasseurs-cueilleurs ont souvent plus de temps loisirs (passé a préparer des bijoux et maquillages) que les agriculteurs qui apparaissent par la suite.

L'agriculture

Les sumériens: l'incident de Lagash en 2800BC est le premier exemple montrant que la solidarité s'entend surtout envers son groupe social. La catastrophe écologique sumérienne: salinisation du sol remarquée par le changement de culture du blé à l'orge entre 3000BC et 1000BC. 

Ziggourat d'Uruk, Mésopotamie

Culture en espalier en Grece, les espaliers sont détruit par l'érosion quand la population est prise en esclavage dans des raids.

La phase Urbaine

Problèmes d'environnement à Londres (tel que les fumées et pestilence) font l'objet de plaintes au 17e siècle, mais ce n'est qu'à l'époque Victorienne que l'Etat moderne, alors que la fonction publique est en train d'apparaître, se mêle de résoudre un problème d'égouts.

Selon Boyden, l'Etat moderne prendre pour la première fois le rôle de parer à une externalité négative que le marché ne peut pas traiter.

La Phase a Haute Énergie

Addiction Énergétique

Les physiocrates vivaient dans un monde où l'énergie était produite par le soleil, et 4/5 de l'énergie produite par les cultures étaient employés a nourrir les paysans et leur animaux de trait. Il fallait que 80% de la population travaille la terre.

Locomobile

La mécanisation permet à une seule personne de produire suffisamment de calories pour 300 personnes pour les cultures les plus productrices.

  • moins de 3% de la population est nécessaire pour produire les calories
  • le bilan énergétique est devenu négatif si l'on tient compte de la consommation de carburant
  • la terre doit être fertilisée pour tenir un tel rendement
  • la productivité est plus grande en monoculture, mais l'écosystème et le rend plus fragile.

Il s'agit donc bien d'une techno-addiction de la société.

Aliénation et Anomie

Boyden a travaillé à la réhabilitation de drogués à l'héroïne. Il propose 2 définitions de maux sociaux caractéristiques de la société moderne:

  • alienation: état de perte de lien social. Par exemple, les marxistes parlent d'aliénation pour ces travailleurs industriels en 1840, usés et abrutis par des tâches inhumaines, déracinés de leur campagne et du rythme des saisons, de leur village qu'ils ont quité pour une cité ouvrière insalubre et surpeuplée, qui sont considérés comme un facteur de production par la société bourgeoise qui contrôle l'eglise et la troupe qu'elle envoie pour sabrer et fusiller les grévistes.
  • anomie: il s'agit d'un mal social identifie plus tardivement ver la fin du 19e. Un état ou les règles sociales semblent toutes disparaître. Alors que le prolétaire se sent exclus par l'aliénation, le bourgeois voit ses valeurs disparaître du tissu social. Il se réfugie dans les paradis artificiels et l'art décadent.

Conclusion

Bien qu'il écrit dans les années 80 avant que le risque de guerre nucléaire et le problème des pluies acides ne s'éloigne, Stephen Boyden voit les problèmes d'épuisement des sols et des hydrocarbures.

Le problème du réchauffement climatique est mentionné même si il devient plus evident suite aux echantillon du glacier Vostok a la fin des années 90. L'histoire génétique de l'humanité aussi n'était pas connue jusqu'à ces dix dernières années mais les découvertes dans ce domaine ne font que confirmer une histoire composée de guerres et d'invasions précédant la période historique.

Quand bien même l'auteur laisse transparaître un parti-pris étatiste quand il s'agit de l'évolution de Angleterre victorienne qui ne s'applique pas aux autres périodes, il me semble que la plupart de ses positions sont appuyée par les faits et dans cette mesure, cet ouvrage est plus scientifique que les plus récents et néanmoins excellents Guerre et Paix et Guerre de Turchyn ou Prospérité puissance et pauvreté de Acemoglu et Robinson.

2022-01-09

Une Commission Parlementaire pour l'Impôt Universel en France

En 2019, une commission parlementaire produit un rapport d'information concernant l'imposition sur leurs revenus globaux des non-résidents. Ce rapport se trouve ici.

Vente d'une Serve, jusque 1860, la Russie disposait de serf d'Etat qui inspirent peut-être la proposition 5


Expatriation: un phénomène marginal et des motivations diverses

Selon ce rapport, la plupart des français qui s'expatrient le font pour des raisons autres que fiscales. Les montants à recouvrer sont limités alors que plus de 99.8% des redevables de l'IFI restent en France et les moyens de contrôler cette population sont très coûteux.


Curieuses justifications des parlementaires: Le fait d'imposer des obligations déclaratives onéreuse à une population qui n'a pas pour sa plupart l'intention d'éviter l'impôt mais seulement de vivre ailleurs est vu comme un élément positif dans ce rapport, de par son rôle dissuasif. Le besoin de négociations internationales pour l'administration est vu comme un point négatif. 

La commission explique cependant que l'objectif essentiel de ces mesures est l'opinion publique résidente en France. Selon elle, ceux soumis à un impôt fort risquent de remettre en cause l'impôt s'il leur paraît moins inéluctable.

La commission considère que la coercion et les obligations déclaratives onéreuses sont un plus sûr moyen que le civisme et la bonne gestion d'obtenir un consentement à l'impôt de la nation. Il y a là peut être une prévarication, du moins un égoïsme raisonné à penser l’augmentation du poids de l’Etat au delà du capital social

Dans cette vision, les expatriés sont une infime minorité que l'on sacrifierait pour faire taire la grogne qui monte alors que la mauvaise gestion pays fait resserrer le garrot fiscal du troupeau. On utiliserait donc un symbole, le bouc-émissaire pour obtenir du troupeau un "consentement à l'impôt" légitimé par l'envie. 

Mis à part cet effort avoué d'asservissement de la population de son propre pays, la commission fait un bon travail de découverte des questions fiscales. Il semblerait qu'ils ont consulté avec quelqu'un de compétent sur les aspect techniques. 

La Contrainte Internationale

Le rapport explique cependant que des principes européens de liberté de circulation limitent cette possibilité, car la jurisprudence de la Cours de Justice de l'Union Européenne jette un doute sur la faisabilité d'un impôt sur la nationalité "à l'américaine". 

Le Salut par le libéralisme de Delors

Paradoxalement, les socialistes français ont signé des traités qui protègent les français de l'inquisition de fiscale, alors que la droite a fait l’inverse. Les français doivent leur salut aux principes libéraux inscrits dans les traités de l'UE par le socialiste Jacques Delors à votre gauche, tandis qu'à votre droite, le président Sarkozy a obtenu d'Obama et Merkel en 2010 d'étendre la fiscalité répressive à l'international. La politique de "la gauche" de 1990 est à la droite de celle de "la droite" en 2010. 

La note propose alors des alternatives qui sont évaluées en fonction de leur efficacité à court terme, pas pour leurs conséquences sur le capital social, ou sur la motivation des français à réussir économiquement s'ils s'y soumettent.   

Cette prose rappelle un peu le commentaire de Lord Rees-Mogg sur l'église catholique à l'aube de la réforme. Ayant promulgué pendant quatre cents ans de nouvelles contraintes tous les 20 ans et demandant toujours plus de contributions financières. ces parlementaires seraient alors comme ces anciens prélats, à la fois moralisateurs et avides, et chaque génération plus convaincue de la légitimité de ses privilèges.

Conclusion

Selon la commission, ce ne sont pas des considérations morales concernant la liberté de ses citoyens qui entravent la mise en place de l'impôt universel, mais les accords que la France a pris auprès des autres États. Ces traités internationaux étant ratifiés ont un statut supérieur aux lois selon l'article 55 de la constitution. Ce n'est pas la difficulté pour les contribuables qui est un obstacle, ils citent celles pour la législature et pour l'administration. 

Buchanan et sa théorie des choix publics verrait-elle donc plus juste que tous les progressistes qui promettaient le bonheur par la technocratie. Pourquoi y-avait t-il plus de débat sur le rôle juste de l'impôt quand le poids de l'Etat est de 10% que quand il représente 58% ? Que sont les français pour ces élites de la dernière heure sinon des vaches à traire pour financer un système insatiable pour qu'il tienne un ou deux mandats de plus. 

Enfin, le peu de revenus que l'on peut tirer de telles mesures causera encore quelques délais à ces décisions. 

Epilogue: Oct 2024 PLF2025

L'amendement de Mr Coquerel a été adopté, cela correspondait à la proposition n3, de renégocier tous les traités. Mais l'ensemble du volet recette a été annulé. On note donc l'effort du groupe LFI dans ce sens. 

3° Sous réserve des conventions fiscales signées par la France, les personnes de nationalité française ayant résidé au moins trois ans en France sur les dix années ayant précédé leur changement de résidence fiscale vers un État pratiquant une fiscalité inférieure de plus de 50 % à celle de la France en matière d’imposition sur les revenus du travail, du capital ou du patrimoine. Les personnes soumises aux obligations du présent alinéa bénéficient d’un crédit d’impôt égal à l’impôt sur ces mêmes revenus qu’elles ont déjà acquitté dans leur pays de résidence. 

Le présent amendement du groupe LFI-NFP a pour objectif de développer en France un principe d' « impôt universel ciblé », notamment sur les paradis fiscaux, via un mécanisme de fiscalité limitée étendue, tel qu'il existe d'ores et déjà dans plusieurs pays européens et aux Etats-Unis.

La mondialisation néo-libérale, caractérisée par la libre circulation des capitaux, aboutit à la destruction des Etats providences par la capacité des contribuables les plus fortunés et des multinationales à contourner l'impôt. Par un jeu de concurrence malsaine, les gouvernements libéraux se sont lancés dans une course au moins disant fiscal. En conséquence, l'assiette fiscale se resserre sur les classes populaires et moyennes qui doivent compenser l’avarice des ultra-riches. Nous sommes dans la situation décrite par Tocqueville au sujet de l’Ancien Régime où « L’impôt a pour objet non d’atteindre les plus capables de le payer, mais les plus incapables de s’en défendre ».

Contrairement à certains de nos voisins européens comme la Suède, la Finlande ou l’Allemagne, la France ne dispose toujours pas à ce jour de mécanisme spécifique d'imposition limitée étendue. Le nivellement par le bas des barèmes d’imposition est un obstacle majeur à l’harmonisation fiscale entre les Etats. Le présent amendement permet de décourager l’exil fiscal, tout en limitant les facteurs incitatifs au dumping fiscal. Il permet donc de renforcer la voix de la France dans les tractations pour une harmonisation fiscale par le haut.

Il s’agit donc ici d'ajouter un principe général d'imposition en fonction de la nationalité, ou d'une durée de résidence en France significative, qui pourra s'appliquer à chaque impôt portant sur le revenu des personnes (que ce soit l'impôt sur le revenu, l'impôt sur les successions ou l'impôt sur les plus-values ou les dividendes), y compris lorsqu'ils sont perçus dans un autre pays que la France, ce qui en ferait un impôt universel.

Poursuivant un objectif de lutte contre l'exil fiscal, ce dispositif cible les pays dont les taux d'imposition sont au moins 50 % inférieurs à celui de la France, que ce soit en matière d'impôt sur les revenus du travail, du capital ou du patrimoine. Compatible avec le droit européen, cette disposition respecte l'ensemble des centaines de conventions fiscales déjà signées par la France avec d'autres pays.

Cet amendement ne fait que reprendre la proposition 3 du rapport de la mission d'information sur l'impôt universel rapportée par Messieurs Coquerel et Mattei en 2019. Une telle disposition permettra de lutter efficacement contre l'exil fiscal, comme prétend vouloir le faire le gouvernement. Plus largement, il s’agit d’une question de justice sociale et de souveraineté : l'équité face à l'impôt et la capacité de la France à lever l’impôt ne peuvent ni ne doivent s’éteindre par le simple moyen d'un changement de résidence fiscale.

En assurant une meilleure équité fiscale, cet amendement participera à résoudre le « problème de moindre recettes » constaté par le gouvernement lui-même, et améliorera le consentement à l’impôt de nos concitoyens.

Une brève histoire des tarifs douaniers

  Les tarifs douaniers — taxes sur les importations — ont façonné les économies et les empires pendant des siècles, reflétant l’évolution de...