La guerre commerciale est une lutte des classes selon Michael Pettis

 Michael Pettis est un spécialiste des marchés émergents qui enseigne l'économie à Pékin. Son livre "La guerre commerciale est une lutte des classes" (en Anglais ici) reprend l'histoire du commerce international depuis 1800, et la question de la persistance des déficits commerciaux.

La Banque d'Angleterre: une institution conçue pour les privilégiés?

Avant de se pencher sur la politique commerciale des grands acteurs mondiaux, Pettis revoit le developpement commercial depuis 1800. On voit des constantes, telles que l'impact des taux directeurs de la banque d'Angleterre en standard Or est similaire a l'impact des taux de la FED quand le Dollar est le standard et des nouveautés comme les accords de Bretton-Woods.

Histoire du Commerce depuis 1800 

McGregor, Cacique du Poyais

  • Washington voulait développer la production manufacturière pour assurer l'indépendance militaire des USA
  • Après les guerres napoléoniennes de 1815, les Anglais prêtent a l'amérique latine dans l'espoir de voir un développement équivalent a celui des USA. En 1823, le Poyais, pays fictifs parvient à lever des capitaux en Europe.
  • La banque d'Angleterre ne possède que 5% de réserves or physique, quand ses réserves diminuent, elle peut les rétablir en augmentant les taux de 3% à 5%. Cela cause la panique de 1825 sur les investissements plus risqués. 
  • Le libre-échange de Riccardo ne fait pas l'unanimité. Suivant l'exemple des USA, Friedrich List milite pour le Zollverein allemand en 1833. Le Japon et l'Allemagne suivront cet exemple, imposant des tarifs pour inciter le développement d'une industrie nationale.
  • La mondialisation et le libéralisme s'étendent jusqu'en 1873. Avant 1870, Napoléon III qui se pensait stratège a des vues sur le Luxembourg et la Belgique. Il négocie secrètement d'échanger différentes parties de l'Allemagne a ses voisins outre-rhin alors que ceux-ci font un accord secret d'alliance. Lorsqu'il déclare la guerre dans le cadre de la succession d'espagne, il la perd, ce qui permet l'unification Allemande. L'argent facile des réparations de la guerre de 70 (20% du PIB français) causent une bulle financier en Allemagne.
  • Apres 1873, la possibilité de tarifs entraîne une ruée coloniale vers l'afrique, et vers l'Asie pour s'assurer un accès aux ressources et aux débouchés commerciaux. En 1902, John A Hobson publie son livre Impérialisme dans lequel il explique que la logique impérialiste est la recherche de débouchés en présence de sous-consommation. Cette idée sera cooptée par Lénine en 1916.
  • Comme le note William Playfair en 1805, les Hollandais financent le Royaume-Uni au 17e siècle. Après cela, les Anglais financent les USA au 19e. Les USA seront capable de financer l'étranger a partir de 1900 (canal de Panama terminé en 1914)
  • Lors de la deuxième moitié du 20e siècle, la Pax Americana, la containerisation a permis d'étendre les échanges commerciaux bien au delà de ce que Smith et Riccardo discutaient. L'offshoring de la  production s'est développé alors que le développement d'internet permet une communication rapide avec les usines.

Taxes et Comptes Nationaux

  • Les imports et exports sont comptabilisés à leur valeur totale, et non en valeur ajoutée, comme les autres termes du PIB
  • la détermination de la valeur ajoutée a des conséquences fiscales importantes. Pour cette raison, les affaires des multinationales sont arrangées de sorte que la propriété intellectuelle est détenue dans des juridictions propices.
  • la legislation fiscale des USA est determinante, notamment la section 952 F, qui régit l'imposition d'entreprises étrangères contrôlées a plus de 50% par une personne américaine introduite dans les années 50 pour faire face a première vague d'internationalisation. Une modification du code en 1996 a permis aux GAFA d'exporter leur bénéfices en Irlande, puis via la Hollande. Le TCJA de 2017 devrait limiter ces effets.
  • A cause de la comptabilisation des imports et exports, le PIB de l'Irlande, Singapour, et des îles Cayman n'est pas comparable aux économies axées sur une demande et une offre intérieure de biens et services.

Inégalités et Épargne



  • La propension marginale à consommer n'est pas une caractéristique nationale, elle est directement liée au niveau de revenus et par cela, a la portion du PIB qui revient aux travailleurs. La PMC est  notamment deux fois supérieure pour le quintile inférieur.
  • Les riches investissent, les pauvres s'endettent pour consommer.
  • Les identités ci-dessous permettent d'appréhender la balance commerciale et la balance courante
    • Demande Mondiale = Production Mondiale 
    • Demande = Consommation + Investissement
    • Production = Consommation + Épargne
    • Demande domestique = PIB + Imports - Exports
    • Export - Import = Épargne domestique - Investissement domestic
  • Quand un pays devient Picsouville et la consommation est remplacée par l'épargne, l'investissement productif devient du malinvestissement, et les prix des actifs montent.
  • Selon l'IMF, on observe un taux d'épargne  constant au niveau mondial depuis 1980, mais des disparites locales:
  • Chine: épargne élevée, Export et Imports élevés
  • Allemagne: épargne élevée, peu d'importation
  • US: épargne faible, forte consommation

Histoire Schématique de l'Ordre Économique Mondial

Hotel Washington a Bretton-Woods

  • Flux Speculatifs: Les flux de capitaux ne sont pas dus a une croissance supérieure du PIB ou des opportunités d'investissement meilleures, le même schéma de bulles d'investissement et de paniques se reproduit régulièrement:
  • trop de capitaux disponibles (fin des guerres napoléoniennes) font que l'argent va chercher des investissements plus risqués, a l'étranger, "risk-on" 
  • un événement catalyse une consolidation des marchés "risk-off". Les investisseurs se retirent pour acheter du cash ou des obligations du pays qui détient le privilège exorbitant d'être la devise de réserves. Ainsi, bien que la Livre Sterling était au standard Or. L'angleterre ne détient que 5% de ses billet en reserves d'or, et la livre ne se fera jamais attaquer la où les obligations colombiennes ou argentines seront dévaluées.
  • l'auteur cite Gershenkron et son étude de l'industrialisation en 1962: Retard Économique dans une Perspective Historique comme une source de qualité sur le développement au 19e siècle.
  • pour revenir au 20e siècle, la Turquie connaît une forte croissance de 2004 a 2018, où les entreprises peuvent emprunter a 4%-6% en USD et 9%-28% en TRL. Cela incite les entreprise a emprunter en USD et cause une forte dévaluation de la Lire Turque a chaque crise. La dévaluation est plus forte que l'inflation et cause une perte de pouvoir d'achat des turcs
  • la crise asiatique de 1998 était un exemple de flux spéculatifs qui s'assèchent soudainement, les conditions imposées par le FMI pour l'Indonésie vont bien au delà des causes de la crise, et attaque directement les soutiens économique du régime du président Suharto en place depuis 30 ans. La perte de souveraineté est totale et tous les pays d'Asie, notamment la Chine feront en sorte d'accumuler un coussin de réserve de sorte à n'avoir jamais à faire à une discontinuité politique imposée par le FMI.
  • Chine: L'économie chinoise s'ouvre a partir des années 80. Les accords du GATT en 95 approfondissent la transformation. La croissance est contrôlée par le gouvernement qui décide combien sera investi/prêté par les banques. Ce qui a changé depuis la période communiste est l'accès au crédit à des sociétés privées. Selon Pettis, le sous-développement était tel que tout investissement est garanti d'être rentable.
  • Cependant, la population n'est pas bien payée. Par exemple, le système des Hukou prive les travailleurs migrants intérieurs de droits du travail et d'accès aux service sociaux
  • Depuis 2010, les investissement augmentent mais la consommation n'a toujours pas pris le relai.
  • Europe: En Europe, de 90 a 00 l'Allemagne organise des réformes structurelles d'austérité pour financer le coût de la réunification.  
  • L'ouverture de l'Europe de l'Est permet le nearshoring vers des employés payés 5 fois moins. Les syndicats allemands sacrifient les salaires au profit de l'emploi à temps partiel.
  • Le Schuldenbremse (règle d'or budgétaire) et le plan Hartz 4 continue de diminuer la capacité à consommer des ménages les plus pauvres en démantelant les allocations chômage long terme.
  • Avec des impôts et des salaires qui baissent, la productivité allemande remonte et le pays exporte en Europe et aux Etats-Unis.
  • Etats-Unis: JM Keynes représentait le Royaume-Uni lors des negotiations de Bretton-Woods et suggerait un Bancor ou SDR qui soit indexé sur le PIB respectif des différents pays. Un mécanisme d'ajustement aux déséquilibres commerciaux par la dévaluation et des mécanisme de cap qui empêche les pays exportateurs d'accumuler des réserves de change outre-mesure. Les Etats-Unis ont décidé en faveur d'un système fixe basé sur le dollar.
  • le déficit commercial existe depuis 1950 et atteint des proportions légendaires. A partir des années 50, Triffin, un économiste belge naturalisé aux Etats-Unis, suggère que le privilège exorbitant conféré à la monnaie de réserve est en fait une charge exorbitante d'être en déficit financier permanent, donc d'importer plus de bien et de service ou de vendres ses actifs.
  • Dans les annees 1960, les Européens peuvent convertir leur dollar en or, ce qu'ils font de plus en plus. Lorsque l'Allemagne s'y met, les US suspendent la convertibilite en or, et les monnaies deviennent flottantes, ce qui revient à un système de monnaies fiat flottant qui n'a jamais existé auparavant. Le dollar est notre devise mais votre problème dira Connally, ministre des finances de Nixon au G10 .
  • La désindustrialisation américaine est particulièrement forte depuis les accords du GATT de 1995. Les classes moyennes s'endettent pour consommer
  • Les prix des actifs augmentent ce qui bénéficie a une élite restreinte.

Conclusions

Les solutions proposées par l'auteur sont en général de centraliser et planifier l'économie:
  • Allemagne/Chine: plus d'impôts et de redistribution, moins de productivité et plus de consommation en Allemagne en augmentant salaires et aides sociale, idem en Chine, plus d'accès aux service sociaux en abolissant les restrictions du Hukou
  • US: plus d'impôts et de redistribution, plus de dette au niveau fédéral pour résorber l'endettement des ménages. Ramener l'emploi aux Etats-Unis. 
  • Accords internationaux pour gérer la transition par des accords win-win comme en 46 plutôt qu'une guerre commerciale avec des tarifs douaniers comme dans les années 30.
L'auteur relate des faits éclairants:
  • L'historique du commerce et de l'investissement mondial au 19e siècle est éclairant. 
  • Meme sous un standard or, la banque d'Angleterre ne détenait que 5% de sa masse monétaire en réserve d'or. Elle utilisait les taux pour maîtriser les flux d'or tout comme la FED contrôle les taux pour maîtriser l'inflation.
  • Cce système de réserve monétaire cause des bulles dans les pays qui empruntent en USD et qui deviennent incapables de rembourser au pire moment. Le système actuel fragilise les pays en développement.
  • Les flux d'investissement vers les pays en développement sont liés à la politique de la banque qui émet la devise de réserve.
  • Le libre-échange est un obstacle a l'industrialisation selon Friedrich List, cela semble confirmé pour les USA, l'Allemagne, le Japon, la Russie.
  • 1873 correspond a un pic du commerce international inégalé jusqu'à la fin du 20e siècle. Les tarifs et politiques de jeu a somme nulle des années 30 ne seront abolies que grace a la legitimite internationale de JM Keynes.
  • Les accords de Bretton-Woods sont en 46 le premier effort d'obtenir un ordre mondial qui permet le développement. La création de Bancor dans ce système a été préempté par les Etats-Unis qui souhaitaient plus de contrôle politique. 
  • Ce système était intenable comme le note Triffin (et injuste comme le notait Rueff), il s'écroule en 1971. Le monde a besoin de nouveaux accords.
  • Le FMI a été instrumentalisé par les USA pour organiser des coups d'Etats économiques contre des regimes installés 30 ans plus tot par les Etats-Unis. Cela explique que de nombreux pays en Asie font attention a ne pas en dépendre.
  • Les points forts de cet ouvrage sont la comprehension des flux internationaux, de l'histoire des pays émergents et de la politique Chinoise, Allemande et Américaine.  
  • Les points faibles sont l'histoire économique du Japon qui est a peine couverte et la question démographique de l'évolution du taux de dépendance. 
  • Le libre-échange est présenté comme favorisant les inégalités. Neanmoins, ce sont des inégalités relatives dues a des divergences de taux de croissance, pas d'un phénomène de paupérisation absolue. En theorie, la situation des plus pauvres est tout de même a priori améliorée par la croissance. 
  • Il faut un nouvel accord international pour remplacer Bretton-Woods, mais les Etats-Unis ne semble pas prêt, étant donné leur insistence à utiliser le dollar pour des sanctions depuis 2010.
  • L'auteur appelle a une diminution des déséquilibres commerciaux entre les USA et les pays a surplus. Il privilégie aussi un retour a plus de Keynésianisme et de centralisation des décisions économiques.

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