Rome ou Carthage: un choix moderne selon William Playfair

En parcourant des annonces immobilières à Tallahassee en Floride, je remarquais le nom d'une rue "Carthage Lane". Pour un Français le nom de Carthage s'associe à l'orientalisme de Flaubert dans Salambo. La capitale de Floride à un nom indien et le sud américain n'est pas orientaliste. Carthage fait référence pour eux à une vision différente de l'histoire classique.

la route des épices: commerce international et rente de sécurité

C'est en lisant "Enquête sur les Causes Permanentes de Déclin et de Chute des Nations Riches et Puissantes" de William Playfair que je découvre cette année des références plus occidentalisantes à Carthage dans la culture anglaise.

William Playfair est un économiste et historien qui poursuit la tradition des lumières de l'empirisme écossais à la fin du 18e et au début du 19e siècle. Il reprend des thèmes moralisateurs de Gibbons (1788 Décadence et Chute de l'Empire Romain), historicisant comme on les trouve chez Condorcet (Esquisse des Progrès de l'Entendement Humain), et nationalistes suivant les guerres Napoléoniennes comme chez Fichte. 

C'est un auteur à la fois plus concis et plus scientifique que ces prédécesseurs, et s’il est reconnu comme un fondateur de la statistique économique, il apporte des données qui permettent de mieux étayer son analyse. 

Histoire du Monde Classique

Selon l'auteur, la route des épices a été le moteur principal de l'histoire non seulement de l'Asie Centrale, mais aussi de l'Europe et de l'Afrique. Le contrôle de la route de la route des épices a fait la richesse des villes hanséatiques, de Venise, de l'Empire Byzantin, de l'Égypte Ptolémaïque et des Phéniciens.

À partir de 100 avant JC une route maritime directe partant du sud de l'Égypte est découverte. L’Égypte deviendra depuis l'enjeu pour la route des Indes qu'elle n'a plus jamais cesse d’être.

Le contrôle de la route des Indes continuera de faire la fortune de l'Angleterre Victorienne, et la route des Amériques qui devait devenir plus importante au cours du 19e siècle fut découverte en cherchant une route alternative.

Éléments d'Écologie Durable : Élevage et Agriculture


Playfair écrit en 1805 avant la révolution industrielle qui permettra à l’Angleterre d'accroître son PIB par habitant plus rapidement que l'Inde et la Chine et fera d'elle le pays le plus riche du monde en 1900.

La révolution agricole (engrais, mécanisation et optimisation des cultivars) n'a pas encore eu lieu. Il remarque que la livre de viande coûte 5 fois plus cher à produire que les céréales. Une population de végétariens peut être 5 fois plus importante. Si chaque famille mange de la viande deux fois par semaine au lieu d'une fois, la consommation primaire augmente de 33% et la population doit diminuer ou le pays perd son autonomie alimentaire. Par conséquent, une société qui devient riche tend à perdre son autonomie et sa position parmi les nations s'en trouve fragilisée.

Ces raisonnements physiocrates-malthusiens allaient être remis en question par l’évolution des technologies et les transitions démographiques qui auraient lieu en Europe au 19e et 20e siècle. L'analyse de Playfair est néanmoins bien informée et nous en dit beaucoup sur un mode de vie entièrement basé sur le "renouvelable".

Rome et Carthage : un choix de modèle politique

Playfair explique qu'une nation peut choisir de devenir riche par le commerce ou par les conquêtes. Si Carthage était une puissance maritime basée sur un comptoir commercial Phénicien, Rome était une puissance continentale militaire qui accédait à la puissance par la conquête militaire. 

Rome : puissance militaire hégémonique

Les Romains ne produisaient pas et vivaient des tributs qu'ils recevaient et du travail de leurs esclaves.  Alors que l'Angleterre était décrite par Napoléon comme "une nation d’épiciers", on voit la France suivre le modèle Romain avec des politiques militaires agressives et d’économie autarcique : mercantiliste sous Louis XIV, blocus continental sous Napoléon.

Carthage : puissance commerciale maritime

Depuis la fin de la guerre de 100 ans qui marque la fin de l'ambition de domination militaire de la France par les Anglais, l'Angleterre allait suivre le modèle Carthaginois et jouer la carte du développement commercial, car elle était trop petite pour supporter une large population et devenir une puissance continentale. 

Un dilemme pour les États-Unis

Tribut aux États barbaresques avant que Jefferson obtienne du congrès le financement d'une marine

L’évolution des États-Unis est différente de l'Angleterre, car ils sont passés de comptoir commercial en 1800 à superpuissance continentale en 1900. 
  • Ils jouaient la carte commerciale Carthaginoise tant que leur population était faible. Ils sont 5 millions quand Playfair écrit en 1800. 
  • À partir du 19e siècle, la guerre américano-britannique de 1804, et la doctrine Monroe de 1823 montre une tendance impérialiste. En 1900, les États-Unis comptent 76 millions d'habitants. L’impérialisme américain culminera et la prise des Philippines et l'organisation d'un coup d'État contre le président démocratiquement élu Francisco Madero au Mexique en 1913. 
  • Un retour au modèle "libéral" Carthaginois pour des raisons idéologiques viendra avec le président Wilson. Après la première guerre mondiale, les États-Unis imposent la création de la SDN et veulent un ordre mondial basé sur des États-Nations.
  • L’impérialisme reprendra en Amérique latine avec la guerre des bananes jusque dans les années 30. 
  • Après la deuxième guerre mondiale, les États-Unis imposeront la décolonisation à leurs alliés Européens.


Ces toponymes "Carthage Lane" en Floride ou "Carthage, Texas" traduiraient donc l'aspiration des américains à se cantonner à un rôle de puissance maritime commerciale, et à éviter le piège de responsabilités hégémoniques.






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