Evolution de l’Etat Providence en France

En dépit d’un niveau de capital social inférieur, le poids des prélèvements obligatoires en France est supérieur à celui des pays scandinaves. Par quelle trajectoire somme nous arrivés à cette position ?

Différents travaux de l'Insee permettent d'observer l’évolution des dépenses publiques depuis 1871. L’apparition en France de l'État providence remonte à l’établissement l’éducation nationale gratuite et obligatoire par les lois Jules Ferry en 1881.
Jules Ferry
Jules Ferry promoteur de la laïcité et de l'expansion coloniale

Nous pouvons donc observer un historique complet et identifier quand l'augmentation a eu lieu. Nous verrons cependant que les chiffres annoncés par l'Insee ou l'OCDE pour la même année varient considérablement selon l'article de l'Insee, ce qui indique des différences de méthodologie qui ne sont pas expliquées dans ces articles.

Évolution de l'État Providence

Nous bénéficions de données assemblées pour un siècle par l'Insee  en 1968 et d’autres études retraçant l’évolution de 1959 à 2006, enfin nous disposons de données de l’OCDE de 1995 à 2016.

  • 1871-1879: Thiers et Mac Mahon (versaillais royalistes répresseurs de la commune de Paris). L'État strictement régalien coute 11.6% du PIB.
  • 1879-1887: Jules Grévy (gouvernement de gauche) création des écoles normales pour former les professeurs avec des valeurs “républicaines” et laïques. Puis loi Jules Ferry pour l’éducation gratuite laïque et obligatoire. Hausse de 4% de dépenses.
  • 1887-1913: S Carnot, J Casimir-Perier, F Faure, E Loubet, A Fallières, hausse de 50% du revenu national et de 20% des dépenses publiques qui redescendent à  11% du PIB
  • 1913-1920: R Poincaré: doublement des dépenses militaires et des dépenses civiles alors que le PIB baisse de 18% suite aux dégâts de la grande guerre. Les dépenses publiques passent à  26% du PIB
  • 1920-1931: A Millerand, G Doumergue suite à la stabilisation Poincaré (austerité pour revenir au standard or), les dépenses de l'état baissent en terme réel de 16% alors que le PIB augmente de 21%. Le poids de l'état 8 ans après la Grande Guerre est de 15% en 1926 et reste à ce niveau jusque 1929.
  • 1931-1940: P Doumer, A Lebrun. Alors que le Front Populaire arrive au pouvoir en 1936. Le PIB a baissé de 18% alors que la dépense publique avait augmenté de 87%. La perte de confiance dans le système capitaliste dans les années 30 a causé une forte augmentation du poids de l'État. le poids de l'état a déjà augmente de 20% pour atteindre 36% suite à la grande dépression. Le front populaire vote la semaine à l'anglaise (ou semaine des deux dimanches) avec 40 heures de travail hebdomadaire et les congés payés.
  • 1940-1947: P Pétain, gouvernement satellite de l'Allemagne qui voit une baisse du PIB de 11%. Discours anti-individualiste et corporatiste avec la Charte du travail (1941), comités sociaux professionnels. Il declare avec la création d'une retraite par répartition le 15 Mars 1941 « Je tiens les promesses, même celles des autres lorsque ces promesses sont fondées sur la justice » sous l'egide d'un ministre du travail de la CGT R Belin, et de P Laroque et A Parodi.
  • 1947-1954: V Auriol. Augmentation du budget de sécurité sociale à 10% du PIB suivant le manifeste du Conseil National de la Résistance. Les dépenses atteignent 45% du PIB en 1947. Création de la TVA en 1954 par M Lauré sous le gouvernement P Mendes-France.
  • 1954-1968: R Coty, C de Gaulle, le poids des départements et communes passe de 5% à 10%, le poids de la sécurité sociale passe de 10% à 20% du PIB. Les dépenses publiques représentent 27% du PIB en 1960 et 35% en 1968. Jacques Chirac ministres des finances accorde une augmentation du Smic de 30%. 
  • 1970-1981: G PompidouV Giscard d'Estaing, entre 70 et 74, Jacques Chirac premier ministre tente la relance et indexe les salaires à  l'inflation. En 1974, Giscard dit solennellement : Le gouvernement fera le nécessaire à temps pour vous protéger du chômage. Il en a la volonté et il en a les moyens. Le poids des dépenses augmente de 6% entre 1974 et 1980 en dépit de la politique d'austérité affirmée par son premier ministre et ministre des finances R Barre.
  • 1981-1995: F Mitterrand, hausse de 4% des prélèvements de 1980 à  1995. E Balladur parle d'austérité mais augmente les prélèvements. En 1982: 39 heures de travail hebdomadaire.
  • 1995-2007: J Chirac, hausse de 1.5% des prélèvements. Pacte de Stabilité et de Croissance signe en 1998. 2002: 35 heures de travail hebdomadaire sous le gouvernement Jospin.
  • 2007-2012: N Sarkozy, crise financière, hausse de 3% des prélèvements
  • 2012-2017: F Hollande, hausse de 1.5% des prélèvements

Dates clef de l'évolution du poids de l'État

On remarque donc des dépenses publiques limitées en dessous de 15% avec l'éducation nationale obligatoire quand bien même la part de l'État dans le PIB avait double lors de la première guerre mondiale, cette proportion est redescendue à ce niveau en 1926.

Une augmentation du poids de l'État à 35% pendant la grande dépression et la seconde guerre mondiale. Suivie d'une augmentation de 20% à la fin de la seconde guerre mondiale avec l'établissement de l'assurance maladie et de caisses de retraite par répartition.

Le poids des communes et régions est passé de 1% à 10% suite à diverses mesures de décentralisations qui n'ont apparemment pas été suivies de baisse du budget central.

À partir des années 70, l'État a dû indemniser des chômeurs alors que le taux de chômage est lentement passe du 3% avant 1971 à plus de 10% en 1991. Les dépenses de l'État sont supérieures à ses recettes depuis 1974.

Cause de l'augmentation du poids de l'État

Plusieurs causes expliquent l'augmentation du poids de l'État.

L'économiste Allemand Wagner au 19ème siècle, proposait que les États les plus avancés ont le poids le plus important dans leur économie. Jusque dans les années 70, on voit que plus d'État était corrélé à plus de croissance. Après cette date cependant, l'augmentation du budget de l'État n'est plus accompagnée de croissance du PNB.

Certains services de l'État (éducation, santé, culture) ont vu moins de gains de productivité que l'industrie et prennent donc une part croissante dans l'économie nationale.

Un effet de cliquet fait qu'il est plus facile de mettre en place de nouvelles dépenses publiques que de les réduire. Alors qu'une entreprise privée dont les dépenses ne sont pas maîtrisées disparaîtra, l'État a en général la possibilité de taxer plus.

Historiquement, il apparaît que l'évolution a eu lieu en majeure partie suite aux guerres et aux crises. Politiquement, bien que la gauche n'ait obtenu le pouvoir que rarement, la droite n'a eu de cesse d'augmenter le poids de l'État en France, sauf avant les années 30.

Depuis 1945, la majeure partie de l'augmentation est due à la mise en place de caisses de retraites abondées par l'État et d'assurance maladie dont les besoins en financement causent une augmentation naturelle des taux de prélèvements.

Des chiffres sujets à des changements de méthodologies opportuns.

Enfin, les chiffres publiés dans le passé sont constamment revus et modifiés par l'Insee. Les bureaucrates appellent cela la rétropolation.

La définition de l'Insee paraissait pourtant claire dès 1968: un monopole d'État tel que l'EDF ou un péage qui serait surfacturé à ses usagers pour rapporter un profit à l'État n'est pas un prélèvement obligatoire si les usagers ont le droit de ne pas utiliser le service. Les cotisations d'assurance maladie et retraite en revanche sont des prélèvements obligatoires.

La note de l'Insee de 1968 présente 35% de budget de l'État, 10% du budget de communes et régions et 20% de sécurité sociale pour un total de 63% du PIB de l'époque en page 8, tableau 2. La note de l'Insee de 2007 présente un poids de l'État en 1968 de 22% et des charges sociales totales de 13% soit 35%. Ce chiffre de 35% est repris dans l'étude vie publique de 2013.

Il semblerait donc qu'il y a une inconsistance de 28% du PIB entre les chiffres publies en 1968 et ceux publies en 2007 pour la même année 1968.

La note 2007 de l'Insee présente un poids de l'État de 42% en 1995 alors que les chiffres de l'OCDE présentent un poids de la dépense publique de 54% du PIB en 1995.

Il y a donc une inconsistance de 12% de points de PIB entre les chiffres annonces par l'Insee et ceux de l'OCDE pour la même année 1995.

Le chiffre de 63% n'était peut-être pas si choquant en 1968 dans un rapport qui annonçait le triomphe de la loi de Wagner et une croissance du PIB supérieure à celle des États-Unis. L'air du temps a bien changé, et le poids des dépenses publiques de l'époque a été revu a 35%.

Mise à Jour Septembre 2020:

J'ai découvert après avoir écrit cet article que Mr F Facchini a publié What Are the Determinants of Public Spending? An Overview of the Literature en 2019. Il y reprend les données de l'INSEE en les vérifiant. Il a également fait une série vidéo sur le sujet que dont nous parlons ici.

Sources:



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