2019-12-16

La Croissance de l'Etat selon Hans-Herman Hoppe et Thomas Piketty

Un consensus se dégage sur la fiscalité entre Hans-Herman Hoppe et Thomas Piketty bien qu'ils défendent des objectifs différents. Nous reverrons ici leurs deux ouvrages.

Hans-Herman Hoppe est un libertarien conservateur connu pour ses propositions de décentralisation maximale et de démantèlement de l'Etat. Dans son ouvrage Democracie: le Dieu qui a Échoué, il reprend l'évolution des dépenses des Etats et leurs conséquences et rêve d'un démantèlement de l'Etat providence puis de l'Etat régalien.

Thomas Piketty est un égalitariste connu en France et à l'Etranger pour ses propositions de coopération fiscale au niveau mondial afin d'augmenter la capacité confiscatoire des Etats et de permettre le nivellement des inégalités relatives au sein de chaque nation. Avec la parution de Capital et Idéologie, l'auteur s’intéresse à l'évolution historique de la fiscalité.

Nous avons revu dans un article précédent l’évolution de l'Etat providence depuis 1870, les moteurs de cette évolution selon la Théorie des choix publics, et la période qui a précédé l'Etat Providence, avant 1870.

Le Consensus de Hans-Herman Hoppe et Thomas Piketty 

L'Impuissance Fiscale des Monarchies


Piketty explique que les gouvernements avant le 15ème siècle ne parvenaient pas à faire travailler leurs sujets plus de dix à quinze jours par an ce qui correspond à 3%-4% du PIB). L'Empire Chinois et Ottoman, qui étaient d'une étendue plus considérable ne parvenaient qu'a prélever l’équivalent de deux journée de travail par an, soit un taux de prélèvement de moins de 1%.

Le gouvernement des Etats-Unis se contentait de 2% à 3% de PIB de 1792 à 1813. Le financement des armées coûtait 5% du PIB en Europe. A des niveaux de prélèvement de moins de 2%, il parait probable que l'Etat était incapable de fournir des services de police et de justice et se concentrait sur sa survie.

Selon Hoppe, au moyen-age, les Etats européens étant incapables de s'imposer à leurs sujets, ceux-ci devaient obtenir des services de police et de justice par leurs propres moyens. Cela créait une situation de concurrence entre différentes juridictions pour les service régaliens.

Quand l'Etat n'avait pas encore le monopole de la violence légitime, il était encore "si petit que n'importe qui pouvait le noyer dans une bassine".

La Guerre et ses Idiots Utiles


Piketty indique que l'Europe a connu une croissance rapide de sa capacité confiscatoire entre le 16ème au 18ème siècle en raison des nombreuses guerres. On arrive alors à un mois de travail ou 8% du PIB requis par l'État pendant ces siècles.

Hoppe explique que la tolérance aux impôts de ses sujets est d'autant limitée que l'usage qu'en fait un monarque est privé, et que les guerres de conquête visant à élargir la propriété du monarque n'ont aucune légitimité pour le peuple. Cela signifie que
  • le budget militaire est réduit à la richesse personnelle du monarque 
  • l'armée est composée de mercenaires, pas de conscrits
  • la guerre se doit de respecter certaines règles d'engagement, il n'est pas question d'affecter l’activité commerciale.
La campagne de Flandres avec l’armée révolutionnaire.


La dissension religieuse causée par la réforme a permis de légitimer des conflit comme la guerre de Trente ans et de passer de 4% à 8% d'impôts.

La différence entre les guerres napoléoniennes et la guerre de cent ans serait donc que le roi d'Angleterre n'avait pas la légitimité auprès de ses sujets pour lever une armée de conscrits, alors que l’armée républicaine était censée se battre pour le peuple et pour ses valeurs.

Ce n'est donc qu'avec la République Française que la Grande Armée avec un million de conscrits sera formée. Cette Armée permettra à Napoléon d'envahir l'Europe. Par la charge qu'elle occasionna aux populations locales, elle donnera naissance aux nationalismes.

La conscription sera ainsi légitimée pour éviter l'invasion et combattre pour le peuple. La France aurait donc inventé le Jingoisme, la guerre totale où l'effort de guerre requiert le contrôle l'ensemble de l’économie nationale.


L'augmentation du poids de l'Etat par les Réformes Progressistes 


Le progressisme revendique la réforme du capitalisme libéral par l'institution d'un Etat Providence. L’ère progressiste commence en 1870 pour des raisons politiques diverses dans différents pays (question irlandaise en Angleterre, commune de Paris, le parti démocrate américain qui est anti-fédéral se met à défendre les pauvres au lieu de défendre les propriétaires du Sud après la défaite de la guerre de sécession).

Elle se met en place après une maturation des revendication dont il convient de retracer l’évolution dans le contexte démographique de 1800 à 1870:

Stratégies Patrimoniales et Déclin Démographique des Élites

Sous l'ancien régime, la population de la noblesse et du clergé français ont cessé de croître dés le 16eme siècle, ce qui correspondrait à une stratégie de concentration patrimoniale et d’évitement de la surproduction d’élite [cf Peter Turchyn].

La population française quant à elle, continuait de se reproduire au seuil malthusien des ressources qui l'exposait à la pauvreté absolue et aux disettes jusqu’à la révolution industrielle.


Explosion Démographique de la Populace par la hausse du seuil Malthusien


La Pax Britannica et la révolution industrielle causent la croissance économique. Le PIB par habitant en Europe de l'Ouest augmente alors deux fois plus vite qu'en Afrique et en Asie [cette étude de l'OCDE montre les données disponibles dans différents pays]. Les travailleurs pauvres se concentrent dans les usines pour obtenir la sécurité du salaire. Ils choisissent l'exode rural plutôt que d'endurer les aléas de condition agricole et la disette.

Les conditions démographiques sont telles qu'en 1850, le marché rémunère le travail ouvrier au seuil de malthusien de survie alors que des excédents important peuvent être dégagés par les capitalistes grâce à l'augmentation de la productivité.

Pour l'Europe de l’époque, la dernière famine en Irlande en 1847 est une exception choquante car elle semble arriver 70 ans après que les progrès économique aient donné les moyen à l'Angleterre d’éviter une telle catastrophe humanitaire .


Un Siècle de Questionnement Social

La révolution française est loin d'avoir vu la fin du questionnement social, en France, diverses communautés comme les saint-simoniens visaient à démilitariser l'Europe et renverser l'ordre bourgeois. L'industriel Owen rencontre trois présidents des Etats-Unis et fonde l’expérience communautariste de New Harmony (les communautaristes se distinguent du communisme et du socialisme car ces derniers mobilisent et développent la force coercitive de l'Etat quand l’expérience volontaire du communautarisme échoue). Napoléon III avait écrit en 1844 L'extinction du paupérisme où il préparait une image publique socialiste qui lui permettrait d'obtenir le pouvoir. En 1848, Karl Marx écrit son manifeste du parti communiste alors qu'une vague de revendications ouvrière dépose la monarchie française et instaure le suffrage universel.

Les années 1870 voient le célèbre journaliste Henry George lancer l’ère progressiste aux USA, et des mouvements de réformes visant la monarchie constitutionnelle en Russie en Turquie posent la question de la représentation dans ces pays.

Entre 1880 et 1914, entre les communistes, les socialistes, les syndicats, et les anarchistes qui ne reconnaissent plus la légitimité des gouvernement de droit divin, la pression progressiste a augmenté. Les libéraux, souvent opposés aux conservateurs glissent du laisser-faire au progressisme. En Angleterre, le jeune libéral Churchill avec David Lloyd George proposent le People's Budget en 1909, qui était pour reprendre leurs mots: "un budget de guerre, de guerre contre la pauvreté" qui comptait redistribuer au peuple la fortune des lords conservateurs. Il n’élimina certes pas la pauvreté, mais très habilement, il évinca du pouvoir la chambre des lords en 1911. Avec le suffrage universel, le parti libéral fut évincé par les travaillistes et disparut en 1924. Churchill passa de libéral à conservateur et poursuivit sa carrière. L’impôt redistributif est mis en place aux Etats-Unis par le démocrate Woodrow Wilson. Le sens du mot libéral ne s'en est jamais remis dans les pays anglo-saxons, où ce mot signifie social-démocrate.

C'est en 1914-18 que le monde occidental a basculé alors que l'Empire Prussien, l'Empire Austro-Hongrois, l'Empire Russe, l'Empire Ottoman sont démantelés pour être remplacés par des régimes démocratiques imposées par les Américains, les Français et les Anglais.

Après cette période, Hoppe et Piketty remarquent à l'unisson que les démocraties on pu augmenter le poids de l'Etat à l'occasion de guerres mondiales. Selon eux, on est ainsi passe de 10% à 35%-55% du PIB.

Comme le remarque Piketty, un phénomène intéressant est que toutes les grandes économies ont introduites ces réformes en même temps (a 5 ans près). Bien que les crises qui les ont menés à ces réformes ont pu être soudaines, les trajectoires des différents pays (a part le bloc communiste qui s'est détaché pendant 70 ans) sont restées très similaire.

Les Différences entre Hans-Herman Hoppe et Thomas Piketty 


Les deux auteurs, bien que tous deux hors du consensus, ont leurs divergences. Comme le remarque Hoppe, alors que les faits sont indiscutables, leurs causes et leur interprétation peut toujours être disputée. Ainsi, la croissance de l’économie Américaine entre 1820 et 1970 est due selon certains à l’efficacité du capitalisme, pour d'autres au meilleur contrôle de l’économie par l'Etat qui doit répondre de sa bonne gestion aux suffrages de l'homme de la rue, alors que la part due au progrès technologique est certainement prépondérante.

Le consensus de Washington

Avant de présenter les idées de ces deux auteurs, il convient de rappeler le consensus économique en matière de développement et de lutte contre la pauvreté. L’économiste John Williamson propose les solutions suivantes pour des problèmes d'endettement des Etats en voie de développement:
  1. discipline fiscale
  2. orientation des priorités de dépense publique d’utilité maximale: vers les soins de sante primaire, l'enseignement primaire, et le développement d'infrastructure
  3. abaisser les taux marginaux et élargir l'assiette fiscale
  4. taux d’intérêts libres
  5. taux de changes compétitif pour favoriser l'exportation
  6. libéralisation du commerce extérieur
  7. pas de barrières aux investissements direct étrangers
  8. privatisation
  9. déréglementation
  10. protection de la propriété intellectuelle
On lit donc en filigrane dans ce consensus, une critique des gouvernement qui tendent à trop dépenser (1), à favoriser des intérêts particulier (6), (7), (9), tout en construisant des fiefs bureaucratiques  (4), (5), (8). On voit cependant qu'un rôle actif de l'Etat est attendu pour (2) et (10).

Un gouvernement qui fournirait ces services pèserait environ 10% du PIB. La différence avec un État social-démocrate vient la provision de retraites et de soins médicaux avancés qui ne sont pas nécessairement financés par des prélèvement obligatoires et mais coûtent toujours entre 10% et 30% du PIB.

Le Problème de la  Démocratie selon Hoppe


Hoppe est un libertarien. Si la monarchie a selon lui de nombreux inconvénients, la démocratie est vouée à un pire destin de par sa conception:
  • Un monarque dirige le pays pour le long terme puisque son fils va hériter du trône. Un président ne dispose du pouvoir que pour 4 ou 5 ans et se préoccupera uniquement de ses échéances électorales immédiates sans quoi il ne sera pas élu. Il y a donc une myopie structurelle de ce gouvernement.
  • Si le suffrage était étendu aux enfants de plus 7 ans, il se trouverait des politiciens pour revendiquer un accès solidaire et gratuit à des biens publics tels que les frites et les crèmes glacées. Si la légitimité du pouvoir du peuple est un symbole fort, c'est une notion creuse en pratique. L'homme de la rue n'a pas le temps pour cela, et n'est ni un légiste, ni un administrateur ou un économiste compétent. 
  • Il faut 51% des voix pour se faire élire, outre qu'il faille convaincre une partie de la population qui ne s'intéresse pas aux sciences politiques. L'utilisation de phrases ambiguës qui peuvent être interprétés favorablement par un maximum d'électeurs est un art que les politiciens maîtrisent. Les hommes sans convictions ont un avantage comparatif.
  • Un gouvernement habile et passant pour légitime inventera toujours de nouveaux impôts et de nouveaux règlements afin d'asseoir son pouvoir sur le société. Ainsi, les impôts requis par un conflit majeur ne sont pas diminués à la fin des conflits.
  • Les gouvernement pour le peuple se disent tous pacifistes. Pourtant, les monarchies n'ont jamais pu développer de complexe militaro-industriel. Les guerres totales impliquaient des armées démocratiques, soviétiques, etc.
  • En l'absence de guerre, un politicien habile trouvera toujours des moyen d'augmenter le poids de l'Etat sur la société, et les problèmes économiques que cela causerait seront la justification pour plus d'interventions et un poids toujours plus lourd. Ainsi, en 1964, Lyndon Johnson lance une guerre contre la pauvreté qui crée un besoin permanent de programmes sociaux. Le People's Budget de Churchill 1909 était censé éradiquer la pauvreté. Ainsi, les politiciens européens proposent programme de transition écologique solidaire qui devrait coûter aussi cher que l'Etat providence et qui selon Hoppe, participe de la même logique.
  • Sur le long terme, la confiscation des choses désirables en vue de leur redistribution font que moins de choses désirables sont produites. Plus d'assurance sociale est requise. La discussion sur le revenu universel apparaît donc naturelle après que 60 ans de politique de lutte contre la pauvreté (Great Society de Lyndon Johnson) a débouché sur un chômage structurel de masse qui garanti une clientèle aux politiciens socio-démocrates.

La critique de la démocratie n'est pas chose facile tant les politiciens de tous bords et les manuels d'histoire se sont efforcés de faire passer ce terme dans la sphère du consensus.

Winston Churchill est connu pour avoir dit que la démocratie est le pire des régimes excepté tous les autres. Il s'est bien gardé d'expliciter ce bon mot. En bon politicien, il laisse à chacun de projeter ses propres raisons.

Hoppe décrit les mécanismes qui déterminent l'augmentation du poids de l'Etat puis constate les fait. Il suggère son démantèlement et la décentralisation. Son argument est que la démocratie n'est qu'en apparence un progrès et qu'elle porte le germe de la décadence.


Le Problème de l’inégalité selon Piketty


Alors que Hoppe présente dans l'histoire du 19eme et du 20eme siècle un déterminisme qui pousse la démocratie à l'obésité administrative et détruit la société en substituant au tissu social traditionnel une relation de codépendance à l'Etat, le combat de Piketty est pour un Etat dont les moyens sont amplifiés.

Piketty considère que l'histoire du 19eme et du 20eme siècle est l'histoire de la montée des inégalités quand la croissance de l'économie libérale n'est pas arrêtée par une guerre mondiale qui nivelle tout par la dévastation. Piketty voit donc une tendance naturelle à l'accumulation capitaliste, et l'histoire d'un combat par les Etats contre l'inégalité.

Il indique qu'il ne s'agit pas de déterminisme historique, et que les trajectoires des différent pays montrent des embranchements où des choix fondateurs ont du être fait dans le feu de l'action.

L’échec de l’expérience communiste tient selon lui au fait qu'ils ont nationalisé les petites entreprises. Une expropriation plus graduelle des moyen de production permettrait selon lui une expérience socialiste viable.

L’inégalité Relative avant la Réduction de la Pauvreté

L'inégalité est pour lui une source de fascination, et il a consacré plus de 20 ans de travaux à son étude. Il a contribué à une base de donnée en ligne des inégalités qui est organisée de telle façon qu'on ne peut la consulter que pour évaluer l'évolution des inégalités relatives. L'information nécessaire à cette base, qui permettrait de réévaluer les inégalités si on change de frontière (groupe de pays, monde), d'évaluer l’évolution de la pauvreté ou de la richesse absolue (revenus au dessous ou au dessus d'un certain seuil) n'est en revanche pas disponible.

La SFIO (Section Française de l'Internationale Ouvrière), a changé de nom pour devenir le PS (Parti Socialiste) en 1969 quand il est devenu évident que la réduction des inégalités locales serait un thème bien plus mobilisateur pour l’électorat populaire qui commençait à ressentir la concurrence internationale.

Piketty s'inscrit dans cette ligne idéologique car il ne s’intéresse pas au seuil de pauvreté absolu. Ces données économiques cruciales sont passées sous silence par son choix éditorial. Il est également l'auteur d'articles assez pousses sur la segmentation et le marketing électoral.

Vers un Contrôle Mondial des Propriétés par les Politicien

Il propose une coordination mondiale sur le plan fiscal qui permettrait aux Etats de passer au niveau ultime en terme de pouvoirs confiscatoires. Piketty est en général réservé dans ses jugement. Il y a cependant un personnage du XXème siècle qu'il critique. Ce n'est pas Hitler ou Staline, c'est F Hayek, l’économiste autrichien qui abandonna dans les années 30 la polémique contre l’interventionnisme Keynésien pour se consacrer à la lutte contre le totalitarisme et écrivit la route de la servitude. Son livre eut un très fort retentissement et a soutenu la résurgence du libéralisme américain après la guerre. Piketty note ad hominem, que ce dernier est allé donner des conseils de gestion libérale au Chili sous le dictateur Pinochet.


Conclusion


Mr Hoppe et Piketty sont deux auteurs d'une érudition exceptionnelle. Ces deux auteurs ont de nombreuses convergences. 

On notera la critique par Hoppe l'analyse des motivation humaines qui explique les problèmes de la démocratie, une vision originale de l’émergence de complexes militaro-industriels dans les sociétés à gouvernement à légitimation populaire (démocraties, communisme, national-socialisme), argument qui est repris par Noam Chomsky, et peut être aussi par le président Eisenhower [video].

Hoppe est un anarchiste plutôt qu'un minarchiste (il préfère aucun Etat plutôt qu'un Etat minimal): au lieu de préconiser un retour à un Etat avec un budget de 10% du PIB (ce qui lui permettrait de s'occuper de l’éducation primaire, la santé publique) comme le ferait un Etat libéral au sens du consensus, ou de 5% du PIB, ce qui lui laisserait uniquement le contrôle de la police et la justice, il suggère de finir le travail de démantèlement et que ces fonctions soient également concurrentielles. En cela, il va bien plus loin que ses modèles du Liechtenstein et de Singapour.

L'analyse de Piketty de la différence entre le capitalisme participatif qui a fonctionné dans les grandes entreprises en Allemagne et en Suède, alors que l'expropriation s'est soldée par un échec en URSS soulève un point intéressant. Sa description des trajectoires parallèles des différents pays et des embranchements critique où un choix dut être fait par des hommes d'actions est très éclairante. Enfin l'expression "Gauche Brahmane et Droite Marchande" est marquante.

Avec une obsession pour les inégalités relatives, sa justification des pleins de pouvoirs de l'Etat tous azimuts pour assurer la justice sociale, la justice environnementale, la justice identitaire, l’éducation universitaire pour tous, Piketty reprend tous les thèmes connus qui permettraient de justifier un État plus gros sans jamais s’intéresser à des sujets moins porteurs tels que l'éradication de la pauvreté absolue. Piketty est un expert du positionnement électoral de la gauche, et son ouvrage cible les différents segment électoraux qu'il entend influencer. 






2019-10-13

Politique d'Accession à la Propriété et Inégalité selon JR Collins



Comment des personnes qui gagnaient peu dans les années 80 sont devenus propriétaires rentiers a Londres, San Francisco, Hong Kong ? Par un concours de circonstances générationnel qui ne se reproduit que si certaines conditions sont remplies.

Dans son livre de 2017, Josh Ryan Collins nous invite à repenser l'économie de la propriété immobilière et du logement. Si le sujet a pu paraître ambitieux à son auteur, il se concentre principalement sur l'évolution de la propriété immobilière au Royaume-Uni. Une évolution similaire a en effet eu lieu dans beaucoup de pays suite à la baisse des taux et aux incitations fiscales faisant de l'immobilier une niche d'investissement particulièrement attrayante.

Il ne s'agit pas d'un phénomène structurel d'accumulation capitaliste des profits par l'exploitation des travailleurs, mais de paris risqués dans les années 1985-2005 qui réussirent là ou les circonstances économiques et fiscales étaient les plus propices. Ces preneurs de risques ont bénéficié de ce développement urbain tandis que les locataires aisés qui s'installent dans ces villes doivent consacrer une part importante de leur revenus aux loyers.



Histoire de la Propriété Immobilière


Collins commence par une analyse de l'historique de la propriété en Angleterre : le mouvement des enclosures au 16e siècle transforme des champs communs en propriété privée. A l'époque des économistes classiques, la valeur immobilière procède de la fertilité et du rendement agraire des sols. Ce droit de propriété est important pour le développement comme l'explique De Soto car il permet aux exploitants d'emprunter pour développer leur activité.

Selon Collins, le droit de propriété libère en tant qu'il permet le développement. Puis, reprenant en cela l'argument des communistes les plus durs, l'auteur dit que ce droit constitue un vol dans la mesure ou il dépouille les autres du droit à une parcelle de terrain qui ne peut pas être recréé par l'industrie et dont il a l'usage exclusif. Il s'agit d'une redéfinition : le vol correspond à un transfert de propriété ou on dépouille l'autre sans son accord. Un transfert de propriété qui se fait dans le cadre d'un accord des deux parties est plus légitime.

Avec la révolution industrielle, la richesse se concentre dans l'industrie et le terrain se trouve relégué au second plan derrière l'investissement en bâtiment d'usines et en machinerie. Il n'est plus différencié des autres formes de capital tangible par les économistes néo-classique et se retrouve dans l'agrégat PP&E (property, plant & equipment).

En 1879, Henry George publie Progrès et Pauvreté, un livre qui propose de taxer la propriété de terrain et de ressources naturelles afin d'éviter l'extraction de rente. Ce livre participera au début de l'ère progressiste, mais ce n'est pas finalement sa proposition qui sera retenue et un impôt sur le revenu beaucoup plus complexe que l’impôt sur la propriété sera mis en place. Selon Collins, la proposition de Henry George était préférable.

La social-démocratie et la reconstruction après la seconde guerre mondiale conduiront à une augmentation significative de la part du logement social public jusque dans les années 70. Ce système de logement social devait correspondre à une subvention collective des moins fortunes. En pratique, certains de ces locataires font partie du décile P90, des plus hauts revenus. On évite de faire partir les riches car la mixité sociale et la présence de familles en ascension sociale est très importante pour donner l'exemple.

Cependant, dans les années 60 et 70, différents avantages fiscaux sont créés en faveur des propriétaires de résidence principale. Il s'agit de l'exemption de plus-values, de l'exemption des intérêts d'emprunt, et la part des propriétaires occupants augmente dans la population.

À Part Peut-être Madame Thatcher...


À partir des années 80, le gouvernement Thatcher offre aux locataires sociaux la possibilité d'acheter leur appartement. Les plus riches locataires sociaux en profitent tout de suite.

Les prêts immobiliers que seules les "building societies" (sociétés mutualistes de financement immobilier) pouvaient accorder sur des critères conservateurs ont été dérégulés. Ils subissent la concurrence des banques qui causent la diminution de l'apport initial. Enfin, la baisse des taux, phénomène mondial, va accélérer le mouvement d'accession à la propriété.

La conséquence de cette politique est que l'électeur médian en Angleterre n'est plus un locataire mais un propriétaire, et cela change tout quant à l'agenda fiscal poussé par les politiciens.

Financiarisation et les Années 90


Après la crise de 1992, qui avait culminé avec des taux à 15 % dans un pays ou les taux des prêts sont flottant, les taux n'ont fait que baisser. Cela a nourri une hausse constante des prix immobiliers de 1992 à nos jours.

En 1997, la relocalisation dans la City de nombreux professionnels des marches financier de la zone Euro a contribué à améliorer nettement la solvabilité de la demande locative à Londres.

Cela s'est traduit par ce que l'ancien gouverneur de la banque d'Angleterre Mervyn King appelait la décade "NICE" (No Inflation, Continuous Expansion). L'auteur explique comment chaque nouvelle vente de la même maison à un prix plus élevé se traduit par un crédit et donc une création monétaire qui est réinjectée dans l'économie et nourri la croissance au profit des propriétaires.

Dès la fin des années 90, La financiarisation poussée du crédit immobilier par la titrisation pousse les créances hors bilan et permet aux banques d'émettre encore plus de prêts.

Extraction de Rente : Un Phénomène Limité ?


Les économistes classiques distinguaient comme revenus le salaire, les profit et la rente comme revenus du travail, du commerce et de l'industrie, et de la propriété. Contrairement aux deux autres, la rente a mauvaise presse en général car elle ne correspond pas à une activité. Elle est nécessaire cependant pour fournir un revenu aux inactifs. Par exemple, les retraités français sont des rentiers qui extraient leur rentes des cotisations payées par les actifs.

En 1996, la ville de Londres me semblait bien pauvre, les toilettes de mon hôtel 4 étoiles n'avaient pas été rafraîchis depuis 50 ans. Je m'y suis installé en 97. Je pensais qu'il était trop risqué d'acheter avec un taux flottant dans une devise qui n'avait pas la stabilité de l'Euro. En 1999, un propriétaire me faisant visiter un appartement dans un quartier "en développement" m'expliquait dans un anglais approximatif que c'était la quatrième propriété qu'il venait d'acheter, et que la gentrification était telle qu'il n'aurait plus jamais besoin de travailler. En 2001, c'est un voiturier qui me tient le même discours et qui lui possède 3 maisons. En 2005, c'est un parent d'élève qui me dit qu'il a arrêté de travailler depuis qu'il s'est rendu compte qu'il gagnait plus d'argent grâce à la hausse de l'immobilier Londonien qu'en travaillant pour un salaire.

Lorsque l'on analyse les inégalités dans ce pays on distingue donc les propriétaires qui ont pris des risques dans les années 80-90, investissant à taux flottant avec un levier de 20 ou 30, et d'autre part des locataires qui se sont contentés de leur salaire et qui sont en fin de compte bien plus pauvres, et qui étaient amplement taxes sur les revenus de leurs économies.

Alors qu'un travailleur de la City était aisé à Londres entre 1997 et 2006, ceux qui y travaillent à présent ont du mal à faire face aux dépenses avec leur salaire. La fiscalité de l'immobilier a permis aux preneurs de risques de se constituer une rente aux dépens de la fine fleur diplômée des meilleures universités du continent qui vient travailler dans cette ville.

L'ouvrage de Mr Collins a vocation universelle, mais son analyse est spécifique aux villes qui attirent des professionnels à hauts revenus. On pense aussi à San Francisco, ou Hong Kong. Un des mérites de cette analyse est de montrer que le phénomène immobilier Londonien que l'on pourrait croire aussi ancien que la ville s'est en fait déployé sur une période plutôt courte depuis la fin des années 80.

À Londres comme à Hong Kong ou San Francisco le cadre fiscal et réglementaire incitatif ont permis aux preneurs de risques de faire fortune alors que les taux baissaient et que cette ville attirait de plus en plus de professionnels à hauts salaires. La majorité de résidents habitant a tendance à voter pour moins de développement et pour limiter les nouvelles constructions.

Ce modèle va être plus difficile à reproduire ailleurs car les taux ne vont plus baisser de 10 % mais il convient de surveiller l'évolution de la fiscalité et la croissance démographique de long terme des villes où l'on pense investir.



2019-10-01

L'Histoire des Régimes de Propriété en France selon T Piketty

Consensus sur l'inégalité et Controverse sur la redistribution


Nous avons déjà eu l'occasion de décrire l'évolution de l'État-Providence dans un billet précédent, et de mieux comprendre ses prédécesseurs traditionaliste puis libéraux. La parution du livre Capital et Idéologie de Thomas Piketty nous donne l'occasion de revoir les fondements sociaux et idéologiques des régimes antérieurs à l'État-Providence en France.

Il y a déjà consensus sur l'inégalité. Son livre précédent, Capital au XXIe siècle, illustre la disparition et la réapparition des inégalités dans les pays développés au cours du XXe siècle, même si certaines statistiques font l'objet de discussion.

Il y a encore controverse sur la redistribution suivant la critique libérale :
  • les alternatives socialistes se soldent par l'extinction des libertés et l'inefficacité économique.
  • le libéralisme entend inciter la production de richesse en limitant la redistribution.
L'ouvrage entreprend d'élargir le champ d'investigation tous azimuts pour mieux jauger les trajectoires et les conséquences historiques de différents régimes de propriété sur la société.

Nous nous contenterons dans ce billet d'examiner les chapitres sur l'ancien régime et la société libérale du XIXe siècle qui a évolué vers la social-démocratie entre 1871 et 1918.

L'Ancien Régime


La société française de l'ancien régime était divisée en trois ordres :
  1. le clergé - gardiens des valeurs et de la cohésion sociale, 
  2. la noblesse - ordre guerrier protecteur du pays, 
  3. le tiers-état - les travailleurs. 

Il suffit de se promener dans Paris du Palais Royal au Louvre pour constater que l'élite française a su extraire du peuple de quoi financer ses grands projets.

Cette division existait partout en Europe et n'est pas unique à l'occident puisque l'Inde et le Japon connaissaient une division similaire ou les ordres religieux et guerrier étaient privilégiées.

Alors que la révolution institue l'égalité devant la loi, la monarchie était constituée d'une mosaïque de statuts coutumiers différents. Ces droits de propriété étaient assortis de souveraineté : droit de lever certains impôts et de rendre justice. La monarchie absolue tant critiquée par Montesquieu ne donnait pas en fait assez de pouvoir au roi en 1789 pour lever l'impôt. L'absolutisme relève donc plus du mythe créé par les républicains lorsqu'ils ont réécrit l'histoire de France pour justifier leur avènement aux élèves d'école primaire.

Le clergé et de la noblesse représentent entre 4% et 2% de la population. Cette élite possédait environ 50% de la richesse patrimoniale :
  • Le clergé possédait environ 25% du patrimoine national. Une partie de cet argent était utilisé pour l'aide aux indigents, l'éducation et la cohésion sociale. 
  • La noblesse possédait l'autre quart du patrimoine national. Le pouvoir des guerriers semblait légitime quand le territoire avait besoin d'être défendu contre les invasions, mais l'extraction de rente devint patente quand les châteaux-forts furent remplacés par des palais.
La population des deux ordres supérieurs se stabilise au 17e siècle sous l'effet d'une transition démographique par souci de concentration patrimoniale. La population du tiers-état double durant le 18e siècle. Ce facteur influence l'age et l'ambition des jeunes avocats roturiers en surnombre qui viendront participer à la convention, et la tendance à l'immobilisme du clergé et de la noblesse en 1789.

L'abolition des privilèges conduit au transfert au bénéfice de l'État du cens qui devient taxe foncière et des lods qui deviennent les droits de mutation à titre onéreux.

Condorcet pensait que la fin de ce régime permettrait à "la tendance naturelle de la société humaine à l'égalité" de réapparaître dès que ces inégalités en droit seraient abolies. On voit que les théories sociales gagnent à être revues avec l'expérience.

Il n'y a pas de tradition propriétaire unifiée dans l'ancien régime, mais un morcellement coutumier de la propriété mélangée avec de la souveraineté, de valeurs traditionnelles imposées par un ordre totalitaire et justifiées d'un vernis religieux.

La Société Libérale du XIXe


L'apparition soudaine du droit de propriété semble un peu déracinée dans la présentation de Piketty, qui rebaptise le libéralisme en "propriétarisme" pour mieux isoler la composante qu'il souhaite réformer.

Le libéralisme défend d'abord la liberté en réaction à la répression de la rationalité par la pensée traditionnelle et à l'extraction de rente par les élites de l'ancien régime. L'égalité devant la loi vient du droit romain. La révolution restaure un principe fondamental, celui d'une justice impartiale, et "aveugle" quant aux circonstances particulières. La société libérale a un fondement légal avant d'être économique, c'est cette égalité devant la loi et le droit de propriété qui sont les fondations de la liberté.

De fait, l'État définit des structures qui encouragent l'accumulation de patrimoine. Les droits de successions furent établis à un taux unique de 1%. Et leur but était l'enregistrement des propriétaires pour mieux les défendre. Ainsi, La création d'un timide barème progressif de droit de succession allant de 1% à 1,5% fut rejetée par principe.

Le clergé, qui disposait dans l'ancien régime de 25% des ressources pour assurer la cohésion sociale et a été dépossédé. La richesse dont disposent les organisations caritatives ne dépasse plus 6% dans aucune société moderne. Le régime libéral s'accompagne d'une augmentation des inégalités à un niveau supérieur encore à celle de l'ancien régime puisque le centile le plus riche parvient à accumuler 70% du patrimoine total en 1914 alors que les 70% les plus démunis meurent sans aucun bien.

Les déclarations successorales montrent aussi la remarquable diversification qui s'opère dans les patrimoines parisiens durant la Belle Époque entre 1880 et 1914. Il s'agit de la première mondialisation capitaliste. Le capitalisme est une conséquence du développement industriel, du libre échange et de la financiarisation de la société libérale.

Le capitalisme est enfin le germe de conflits sociaux : dans la littérature du 19e, le patrimoine est perçu avant 1820 chez Balzac et Austen comme garantissant au retraité bourgeois un revenu stable à 5% sans inflation et sans conflit avec les travailleurs, tandis que la question sociale se développe chez Victor Hugo et Charles Dickens en 1850, pour atteindre son apogée en 1885 avec Émile Zola.

Cette période s'achève à la veille de la Grande Guerre avec l'introduction d'impôt sur le revenu progressif qui culmine à un taux de 2% seulement pour les mieux nantis, mais les guerres et les besoins du gouvernement ne tarderont pas de le faire grossir.

Social-démocratie et Curseur Redistributif


Comme l'explique René Passet, la forte croissance économique mondiale en temps de paix depuis deux cents ans est le fruit d'une maturation scientifique de l'occident. Elle s'est traduite par des progrès technologiques dans la maîtrise de l'énergie fournie par le bois, le charbon minier, puis le pétrole, et de l'information par le courrier postal, le télégraphe, téléphone, puis les réseaux de données. Toute la question est de comprendre quelles institutions ont favorisé un tel progrès.

Des libéraux comme Ayn Rand attribuent ce progrès technologique à un régime propriétaire bourgeois qui incite à appliquer la science, à pousser l'efficacité pour produire de la richesse. Cela contraste avec l'ancien régime ou avec différentes formes modernes de dirigisme qui confisquent les fruits de l'initiative productive. L'extraction de rente auprès de l'État est dans ce cas le meilleur moyen de réussite.

Le fonds de commerce de Piketty est l'étude des inégalités patrimoniales. Il dénonce un ultra-capitalisme importé par la mondialisation comme la cause des problèmes économiques français. Sa solution est encore de pousser encore le curseur redistributif à fond à gauche mais cette fois-ci dans tous les pays en même temps. Il faut regarder la Corée du Nord pour apprécier la capacité du dirigisme à annuler les effets de 70 ans de progrès technologique offert aux pays émergents.

Les sociaux-démocrates attribuent la forte croissance économique de l'après-guerre à la prévalence au niveau mondial d'un régime redistributif, qui permet l'accès de tous à l'éducation et élève l'activité économique en favorisant un niveau élevé de consommation. Depuis 1970, la croissance économique est atone dans les social-démocraties dont les systèmes redistributifs sont les plus "mûrs" alors que la situation économique est meilleure dans les pays plus libéraux. De même, des flux redistributifs accrus ne semblent pas aider la cohésion de l'Italie du Sud à l'Italie du Nord, de la banlieue de Neuilly avec d'autres banlieues... La théorie des choix publics avance une explication basée sur un effet de cliquet des dépenses publiques.

Se pourrait-il que le curseur redistributif ait été poussé trop loin au vu de son capital social ? Par exemple, la Suisse ou l'Amérique sont dans une meilleure situation économique que la France, alors que l'Argentine qui s'obstine depuis 70 ans dans un projet de "justice sociale" a vu sa richesse par habitant chuter durant toute cette période.


Buenos Aires avant la justice sociale.

La situation actuelle n'est pas le produit d'un déterminisme historique, mais d'une série d'aiguillages critiques, de choix faits face aux événements, de compromis pragmatiques en présence de forces opposées et d'information incomplète. Nous avons vu comment la France est passée de l'ancien régime à une société libérale, puis à la social-démocratie. Une évolution similaire a eu lieu dans les autres pays, nous reviendrons sur certains d'entre eux dans de prochains billets.


2019-08-05

L'Opinion Publique selon Walter Lippmann

Walter Lippmann est un journaliste américain du début du 20e siècle. Très influent auprès des présidents américains, pionnier de l'analyse de la formation du consensus et de l'opinion publique. Il préconise de préparer l'information distribuée aux médias afin d'assurer une représentation uniforme des faits sociaux, assurer la cohésion sociale, et éviter les dérives totalitaires. Ce livre soulignant la fragilité de l'opinion publique en démocratie est un texte fondateur pour l'étude des médias. C'est le précurseur de nombreux prolongements : Fenêtre d'Overton, Sphères de Hallin, Fabrication du Consentement, ainsi que pour le passage des médias de masse à internet : chambres d'écho idéologiques, radicalisation, polarisation de la société.

Walter Lippman en 1920


Un Ouvrage Fondateur


Opinion Publique est un livre de Walter Lippmann, publié en 1922. C'est une critique du fonctionnement des démocraties suite à la formation d'opinions divisives et irrationnelles sur les faits sociaux, de leur influence sur les comportements individuels, et de leur effet délétère sur la cohésion sociale. C'est un texte fondateur dans l'étude des médias, en sciences politique, et en psychologie sociale par sa description détaillée des limitations cognitives des individus face à leur environnement socio-politique et culturel, limitation qui les conduit à utiliser un catalogue évolutif de stéréotypes pour interpréter la réalité.

Pseudo-environnement


L'environnement réel est à la fois trop vaste, trop complexe, et trop changeant pour être appréhendé correctement. Chaque homme construit un pseudo-environnement qui est une image subjective et simplifiée de la réalité. Dans une certaine mesure, chacun de ces pseudo-environnements est une fiction. Les gens vivent dans le même monde, mais ils pensent et ils ressentent dans des mondes différents.

Le comportement humain s'inscrit dans le cadre du pseudo-environnement, mais il donne lieu à des actions bien réelles. Le pseudo-environnement est donc une fiction, et son alignement au sein d'une population est d'une importance primordiale pour permettre une action cohérente. L'ouvrage présente l'influence des médias sur ce cadre perceptif stéréotypé.


Le ministre des finances de Louis XVI par Vigée le Brun. Il ne put mener ses réformes fiscales jugées inacceptables en 1787 par l'assemblée des notables qu'il avait pourtant triés sur le volet. L'opinion était trop divisée.

La Liberté guidant le peuple par Delacroix. Les états-généraux furent convoqués par le ministre Necker qui surpondéra le tiers-état afin de passer outre les privilèges des notables et obtenir les moyens de résoudre la crise

Journalisme et Vérité


Un fait ne peut pas être présenté exactement. La description d'un événement nécessite une composition, un arrangement et une interprétation. Ceux qui sont le plus au courant des faits concernant un environnement construisent un pseudo-environnement qu'ils communiquent au public et qui est aligné avec leurs propres stéréotypes et leur lecture subjective de la réalité. Les médias en tant que véhicules de transmission de l'information sont particulièrement vulnérables à la manipulation.

Les médias ne sont pas les seuls responsables de telles manipulation. La responsabilité incombe également à certains membres du public qui consomment les nouvelles avec peu d'engagement intellectuel. Avec les conséquences suivantes :

  • Le public consommateur achète aux médias de masse une information qui lui permet de comprendre le monde. Le public est sélectif et paiera le moins possible pour une représentation qu'il entend être fidèle et cohérente de la réalité. "Alors que pour un dollar, on ne peut même pas obtenir une poignée de bonbons, pour un dollar ou moins, les gens espèrent une représentation exacte de la réalité." 
  • Les journaux sont avant tout des entreprises qui doivent vendre leur produit et s'efforcent de maintenir une image professionnelle et objective de leur travail.
  • Seules les nouvelles de sources officielles sont présentées car le reste n'est pas confirmé et pourrait être accusé de canard. Les nouvelles non officielles ou privées sont indisponibles.
  • Les nouvelles signalent des changements. Ces signaux sont la conséquence délibérée de la politique éditoriale d'un media. Le journalisme façonne l'opinion publique.
Lippmann conclut poetiquement: Les hommes doivent avoir des cartes si ils veulent traverser le monde. La difficulté la plus persistante est de se procurer des cartes sur lesquelles leurs propres besoins ou ceux des autres n'aient pas inscrit les rivages de Bohème.

Fabrication du Consentement


Quand elle est déployée dans l'intérêt général, la Fabrication du Consentement est utile et nécessaire à la cohésion sociale. Dans bien des cas, l'intérêt commun du public n'est pas évident sauf après une analyse attentive des données. Cette analyse est un exercice critique qui est hors de portée pour la plupart des gens, soit qu'il ne les intéresse pas, ou qu'ils en soient incapables. Pour cette raison, la plupart doivent avoir l'information résumée et présentée par les personnes les mieux informées, après quoi ils peuvent agir en conséquence.

L'élite politique figure parmi les personnes incapables de comprendre par eux-mêmes l'environnement invisible et complexe qui déterminent les affaires d'un État moderne. Lippmann propose qu'une classe professionnalisée de spécialistes collecte et analyse les données, et présente leurs conclusions aux décideurs d'une société. Ceux-ci à leur tour utilisent l'art de la persuasion pour informer le public des circonstance et des décisions qui les affectent.

Opinion Publique suggère que le pouvoir de la propagande et la connaissance spécialisée requise pour des choix politiques dans l'intérêt public ont rendu la démocratie traditionnelle impossible.

Une question liée la fabrication du consentement et explorée en 1997 par Timur Kuran est la falsification des préférences, ou une majorité silencieuse évite la confrontation avec une minorité organisée si bien que la fenêtre d'overton est plus extrème que l'opinion médiane. Il s'agit la d'une autre démonstration de la puissance des intérêts spéciaux dans les questions d'action collective.

Réception et Influences

Walter Lippmann a conseillé des présidents américains dans les années 30. Il visait à ce que l'État libéral ou libertaire fabrique un consensus et une vision sociétale cohésive pour combattre  les idéologies totalitaires qui ont une propagande très efficace sur les masses, et qui fleurissent dans le terreau de la division sociale (que ce soit le communisme basés sur l'opposition des pauvres et des riches, ou les fascistes et leur opposition identitaire et nationaliste).

L'ouvrage de Lippmann apparait en 1922, 4 ans après la fin de la première guerre mondiale et 9 ans après la création de l'impôt sur le revenu. Il allait donc encourager l'utilisation des fonds considérables levés par l'administration fédérale pour développer des bureaux de statistiques spécialisés. On pense au NBER (1920), FTC (1914), FDA (1906), BLS (1884). Le montant élevé et la pérennité de l'impôt fédéral allait sceller la supériorité de la politique fédérale sur la politique des États de l'union.

Le concept de fabrique de consentement a été repris et développé par d'autres auteurs :
  • La fenêtre d'Overton suppose que le discours politique est restreint par une fenêtre d'opinion publique. Il existe une gradation de l'impensable au radical, du radical au raisonnable, du raisonnable au populaire, et le politicien ne peut proposer que des politiques dans un champ restreint. 
  • Les sphères de Hallin décrivent une catégorisation par les médias des opinions entre sphère du consensus, sphère de controverse légitime, et sphère de l'opinion déviante. Indépendamment du mérite d'une opinion, un journaliste défendra donc ce qui fait partie du consensus de son public, organisera des débats dans la sphère de controverse légitime, et censurera les opinions jugée comme déviante. Par exemple, l'abolition du contrôle des loyers en France, ou la mise en place d'une assurance maladie universelle aux États-Unis sont des idées déviantes hors du champ du débat politique acceptable quand bien même ces mesures font partie du consensus dans d'autres pays.
  • le socialiste Noam Chomsky a écrit un livre inspiré des théories du néo-libéral Walter Lippmann: La Fabrication du Consentement par lequel il explique comment les médias aux États-Unis. ont pu soutenir des interventions militaires désastreuses à l'étranger et censurer le discours politique concernant l'assurance maladie universelle. .
  • Plus récemment, des analyses montrent des effets d'amplificateur, de radicalisation et de chambre d'écho sur internet, et la polarisation de la société. Les sphères de Hallin commenceraient ainsi à se séparer.


2019-07-06

Le Coût de l'Assurance Maladie


Le Progrès au Service de la Vie


Que de progrès ! Les seules interventions bien maîtrisées par la chirurgie sous Napoléon étaient l'amputation d'un membre. Les moyens étaient rudimentaires : il suffisait d'une scie, d'une chaise et de 2 forts gaillards. 

Les attentes ont changé et la plupart des patients veulent séjourner à l'hôpital sans qu'il leur en coûte un bras. L'éventail de soins disponibles s'est complexifié. Les hôpitaux ont des départements de radiographie, d'imagerie médicale, d'anesthésie. Cette complexité a un prix.
L’hôtel des Invalides, 1671

Rôle de l'Administration et Problèmes d'Agents


Une organisation administrative centralisée permet de recueillir des statistiques pour informer l'allocation de ressources limitées et servir l'amélioration de la santé publique.

De plus, un encadrement du marché des soins médicaux permet une pré-négociation des prix pour les personnes dont la santé est défaillante qui ne peuvent pas comparer les prix et services.

Les enjeux de santé publique et économiques sont cruciaux. Étant donné la faiblesse des patients et la possibilité d'extraction de rentes quand les patients sont pris en charge par une assurance et ne payent de leurs deniers, le remboursement des dépenses de santé doit faire l'objet de contrôles rigoureux.

Pour aller plus loin, ce billet de Mr Monne en 2010 explique certaines mesures qui permettraient d'éviter les dérives de l'assurance maladie en France.


Première Comparaison Européenne


Pour élargir le débat, un article de 2007 de Chirstian Raaflaub résume la situation des systèmes d'assurance maladie en Europe.

Certains pays comme la Suisse et l'Allemagne mettent en concurrence différentes caisses d'assurance tandis que le Danemark, la Suède ont un système unique. Les Suisses étaient appelés à voter pour une proposition de copier le système Danois avec une caisse unique.

Les chiffres cités par cet article sont les dépenses de santé en 2004 en pourcentage du produit intérieur brut (PIB):

USA: 15,3%
Suisse: 11,6%
Allemagne: 10,9%
France: 10,5%
Autriche: 9,6%
Suède: 9,1%
Moyenne des pays de l'OCDE: 8,9%
Danemark: 8,9%
Italie: 8,4%

L'existence d'une caisse unique permet en théorie de négocier à la baisse le prix des médicaments et de contrôler le prix des soins. C'est la théorie que soutient l'économiste Paul Krugman. Cela expliquerait la situation catastrophique de l'assurance maladie aux États-Unis.

En pratique, les Allemands et les Suisses parviennent à financer un bon système avec un système concurrentiel, et le système Danois est bien plus efficace que le système Suédois selon cet article en dépit d'une caisse unique pour la Suède.

En dépit de l'argument théorique, l'efficacité des systèmes n'est pas liée à l'existence de concurrence ou de monopole dans les faits.

Autres Horizons : US, Angleterre, Singapour


En restreignant suffisamment le domaine d'investigation, cet article suisse de 2007 dépeint une situation relativement homogène où tous les pays dépensent 10 % de leur PIB pour l'assurance maladie. On pourrait même ajouter que le Japon aussi dépense 10 % de son PIB en assurance maladie. La France serait-elle donc indistinguable parmi les autres pays ?

Trois autres points ont été omis dans l'article suisse qu'il conviendra de rappeler:
  • l'assurance maladie aux États-Unis où les coûts des dépenses de santé sont en train de passer de 15 % du PIB à 20 % du PIB.
  • le NHS (National Health Service) britannique longtemps coûtait 6 % de PIB (c'est un service gratuit mais rationné avec files d'attentes etc) alors que les 5 % restant de coût était payés par la population plus aisée.
  • Singapour a une assurance maladie très partielle qui coûte 4 % de PIB, le reste étant payé par les malades eux-mêmes, selon cet article. Il y a la une grande question : faut-il rembourser uniquement les soins important, ou même les visites de confort ? Une autre différence importante est que les Singapouriens cotisent pour leur dépenses de santé ultérieures. Ce point est important car 80 % des personnes ont leurs plus grosses dépenses de santé dans leur dernière année de vie.

Point de vue de la Cour des Comptes 


La Cour des Comptes donne ici des éléments concernant l'évolution récente de ces prestations en Europe face à la hausse des coûts. Il faut noter que le graphe obtenu par la cour des comptes montre curieusement une hausse très faible en 2016. Est-ce lié à son utilisation du dollar américain au lieu de l'euro ou à l'évolution démographique ?

L'étude donne également des informations concernant la qualité et l'accès aux soins. 

La vidéo ci-dessous résume leur conclusion sur l'évolution des coûts et des prestations.

:



Budget : le Contrôle de la Pensée par la Définition des Termes


Une recherche internet sur les coûts de l'assurance maladie montre que les médias, l'INSEE, et même la Cour des comptes se préoccupent surtout du déficit annuel de la sécurité sociale. Pourtant, ce n'est pas du solde résiduel mais des dépenses, et donc du poids total sur l'économie qu'il devrait être question.

Le contrôle des coûts de l'assurance maladie est une question très différente du financement des retraites. Un article typique sur les 70 ans du trou de la sécu montre que la confusion est totale entre l'assurance maladie qui a une composante technologique forte, et le financement des retraites qui est une question démographique et actuarielle,

Enfin, le but n'est pas d'éviter un déficit mais de contrôler le niveau de dépenses afin que le système puisse faire face au vieillissement de la population. Avec un taux de cotisation suffisamment élevé, on peut équilibrer n'importe quel niveau de dépenses. Ce graphe des dépenses en euros montre une hausse progressive importante:

source: wikipedia et ccss

Cette donnée n'est guère discutée dans les médias. En fait, le niveau de dépenses de 2018 ou 2019 n'est repris nul part, et il faut le chercher sur le site de la commission des comptes de la sécurité sociale.

On ne voit pas non plus d'analyses prévisionnelle de la hausse des coûts d'assurance maladie suivant le vieillissement de la population française, ou sur la baisse des recettes. En effet, des cotisations de 7%+7 % de CNAM et 9 % de CSG sont prélevées sur la fiche de paye d'un jeune de 20 ans, un retraité de plus de 65 ans ne paye que 8.3% de CSG. Un déficit apparaît automatiquement quand la population vieillit.

Il y a donc trois sources de confusion:
  1. les catégories différentes que sont l'assurance maladie et le financement des retraites sont confondues dans les comptes de la nation ce qui dissimule le surcoût des retraites par rapport aux autres pays 
  2. l'assurance maladie est sous facturées pour la partie de la population qui l'utilise le plus, ce qui rend le budget instable quand cette population augmente, 
  3. le discours public construit et repris autour du déficit présent et du cumul de la dette sociale passée est posé dans des termes qui ignorent l'augmentation prévue des dépenses.
Ces confusions obscurcissent le débat public et la compréhension des décideurs.

Futur de l'Assurance Maladie en France


Le coût d'un système d'assurance maladie est entre 4 % et 20 % du PIB. Avec 10 % de coût et peu de pénuries ou de files d'attentes, le système français est l'un des plus efficaces. Cependant ce coût  est sous-facturé aux retraités et surfacturé aux actifs. Le mode de financement de l'assurance maladie en France est donc instable.

En fait, le futur du système s'installe depuis les années 1990 : la technologie améliore la médecine et augmente son coût dans tous les pays. Pour y faire face en France, de nouvelles cotisations sont mises en place qui cimentent la position du pays dans le palmarès fiscal et obèrent sa compétitivité économique, des pénuries de soins et de médicament apparaissent, l'age de la retraite est progressivement retardé. L'évolution se fait sur 30 ans de manière graduelle. La situation par rapport à 1990 a beaucoup changé car ce sont les cotisations surtout qui ont augmenté.

La gabegie en France est plus importante pour son système de retraite où 30 % de PIB sont utilisés au lieu de 10 % dans les pays qui utilisent la retraite par capitalisation, cette disparité va augmenter en l'absence de réforme.

Il conviendrait donc d'allouer correctement les coûts d'assurance maladie afin de rendre plus transparente la transition et l'évolution requise du système de retraite.




2019-06-09

La Théorie des Choix Publics selon J Buchanan

La théorie des choix publics a été développée aux États-Unis en 1962 par J Buchanan. Son but est d'expliquer le mécanisme de cliquet de l'augmentation de la dépense publique dans les démocraties.
James M Buchanan

Les dysfonctionnements mis en évidence peuvent porter les dépenses au delà de l'optimum social. Comme les libéraux pensent que ce seuil est vite dépassé tandis que les socialistes estiment que l'on est toujours en deçà de ce seuil, cette théorie est souvent reprise par les libéraux.

Il ne faut pas la confondre avec la théorie du choix social qui s'intéresse à des questions d'évaluation des choix collectifs et des procédures de choix.


source: Insee

Qui décide de ce que fait l'État et dans quel but ?


La relation principal-agent est au cœur de la gestion des affaires de la nation. Le comportement des hommes politiques et des fonctionnaires peut être vu comme celui d'agents rationnels individualistes.

Selon cette théorie, ce n'est pas le candidat prônant la meilleure politique qui sera élu, et mais celui qui saura mobiliser l'électorat quels qu'en soient les moyens. De même, ce n'est pas le fonctionnaire le plus efficace qui deviendra le plus influent, mais celui qui obtiendra le budget le plus important et les prérogatives les plus exorbitantes pour son administration.

L'école de la Liberté


Voici une série de vidéos de François Facchini présentant la théorie du choix public intitulée  Pourquoi l'État croit-il ? Cette série libérale présente les thèmes suivants :
  • coalition des pauvres contre les riches
  • dictature de l'électeur médian
  • impact de la mondialisation sur les dépenses publiques
  • groupes de pression
  • hommes politiques et bureaucrates
  • dépense publique et recherche de rente
  • l'illusion fiscale
  • les cycles politico-économiques
  • réponses constitutionnelles
  • les juges
  • fédéralisme budgétaire

La théorie du choix public pousse en général a revoir à la baisse la taille de l'État. Nous revoyons maintenant deux cas contradictoires où les choix publics sont clairement moins bon ou meilleurs que les choix privés.


Moins d'État pour plus de retraites


Un bon exemple est le choix du financement des retraites par répartition au lieu de capitalisation. Il conduit au triplement en 70 ans du coût des retraites, représentant maintenant 27 % des revenus français au lieu de 10 % pour les autres pays.

Ce surcoût est le pire obstacle à la compétitivité des Français. Aucune entreprise ne pourrait supporter un tel coût, mais par choix public, il a été socialisé sur l'ensemble des salariés du pays.

Au lieu de le remettre en question, il a été étendu à l'ensemble des revenus des Français par la création de la CSG quand cela s'est avéré insuffisant.


Plus d'État pour une meilleure assurance maladie


La réduction des services publics ce n'est pas une panacée : la socialisation de l'assurance maladie au Royaume-Uni a permis d'améliorer la santé publique à un coût de 5% du PIB, et 10% pour la France alors qu'il est de 17 % États-Unis, pays où le PIB par habitant est pourtant bien supérieur.

La négociation du tarif de remboursement des soins et médicaments est bien mieux faite par un organisme centralisé que par un patient qui a besoin de soins.

Les pays tels Singapour qui établissent un système social tardivement ont l'avantage de pouvoir comparer différents exemples et copier ceux qui fonctionnent le mieux. Cependant, comme l'expliquent les économistes du développement, la mise en place d'un système efficace requiert avant tout une volonté d'efficacité des agents de l'Etat. Ce n'est pas un problème de connaissances mais d'alignement des intérêts.

Une théorie pertinente mais invisible dans le débat public

Cette question devient d'autant plus pertinente que le poids de l'État sur la nation augmente.

Malgré des dépenses publique qui ont augmentées de 11 % à 60 % en 100 ans et des services publics qui laissent toujours à désirer, il n'est pas question dans le débat politique de réduire le poids de l'État . L'opinion semble être polarisée selon deux lignes d'action publique :
  1. éliminer l'immigration, sur-consommatrice de services sociaux et source de violences criminelles
  2. exproprier les riches, parasites oiseux et ennemis de classe du peuple au nom de la justice sociale
Dans les deux cas, le politicien prône une augmentation des prérogatives de l'État sur les autres (les immigrés, les riches) afin de résoudre les problèmes de l'électeur médian.

Un politicien qui laisserait entendre que les choix publics sont la source de problèmes commettrait une mise en abyme digne d'une tragédie baroque. Les politiciens, dans leurs péroraisons, s'en tiennent aux règles du théâtre classique.



2019-04-28

Le Coût des Retraites

La retraite par répartition soutient la consommation, mais si elle etait deux a trois fois moins chere que la capitalisation lorsque l'esperance de vie était basse en 1945, elle est devenue trois à quatre fois plus coûteuse en cotisation que la retraite par capitalisation. 

Beveridge en 1943: garantir un minimum en préservant l'incitation au travail

Les Français payent maintenant plus du double de ce qu'ils devraient pour leur retraite, et ce coût va encore augmenter. Ce coût croissant pèse sur le pouvoir d'achat. Est-il trop tard pour évoluer vers un système mixte comme le système suisse des trois piliers ?

Retraites par Capitalisation : Liberté, Imprévisibilité


Combien faut-il épargner pour se garantir une retraite autofinancée ? La réponse dépend fortement du domaine et de la période d’investissement.

Si les fonds sont investis à long terme sur les marches d’actions mondiaux, la performance sur les 120 dernières années est de 5 % au-dessus du niveau d’inflation. Dans ce cas, il faut épargner 12 % de ses revenus dès 18 ans pour pouvoir prendre sa retraite à 60 ans jusqu’à 100 ans.
  • Aux US avec un rendement de 6,4%, il suffisait d’épargner 7 % de ses revenus
  • En Europe à un rendement de 4,1%, il fallait 15 % d’effort d’épargne.
Ces chiffres proviennent d’historiques sur 120 années, les périodes de rendement inférieur nécessitent que les travailleurs économisent plus ou continuent à travailler plus longtemps. Il faut épargner entre 7 % et 15 % en fonction des performances du marché.

Une retraite par capitalisation coûte typiquement 10 % de leur salaire aux employés (5 % sont mis par l'employé, et 5 % abondés par l'employeur).

Il faut noter que ces chiffres supposent que le salaire suive l’inflation. Pour une retraite à 80 % du salaire moyen, il faut retenir 80 % de ce taux d’épargne soit 5 % à 12 %.

La retraite par capitalisation est vulnérable. Deux guerres mondiales et la pire dépression en 200 ans ont démontré sa fragilité. Les systèmes par capitalisation supposent qu'il y a toujours des investissements avec 5 % de rendement au-dessus de l'inflation, et l'on ne peut pas garantir ce rendement, bien qu'un tel rendement ait été possible même sous l'ancien régime. 

Jean Jaurès: la gauche en faveur de la capitalisation avant 1914

Le rentier français a été mis à rude épreuve par les calamités des deux guerres, (répudiation de l’emprunt russe pour 9 milliards de franc or, soit 3500 milliards d’euros, une somme qui suffirait à financer la moitié des retraites en France) et la crise de 1930. À cause de cela, la génération des retraités de 1915 à 1945 a connu 30 ans d'austérité.

Enfin, la retraite par capitalisation suppose un investissement judicieux de l'épargne. Dans la plupart des pays ou la retraite est financée par capitalisation, l'investissement obligataire y est encore important en dépit d'une sous-performance prévue face à l'inflation.

Retraites par Répartition : Coercition et Pénurie Planifiée


La retraite par distribution est insensible aux aléas des marchés. Les revenus des actifs sont directement partagés avec les retraités. Ce partage est décidé par le gouvernement plutôt que par les prix des marchés de capitaux. C'est un amortisseur de crise macro-économique qui garanti que le pouvoir d'achat des retraités ne s'effondre pas avec les cours en bourse.

Otto von Bismark: achète le soutien des retraités pour l'Etat Prussien 

L'inconvénient est que si une personne active doit supporter un retraité tout de suite, il doit y consacrer 50 % de ses revenus. Le fait d’investir les fonds longtemps avant d’en tirer un revenu permet de soutenir un retraité avec 7 % à 15 % d’effort d'épargne pour une pension identique au salaire.

La situation économique était la plus difficile entre 1918 et 1940 pour les retraites. Pourtant, le système de retraite est plus récent :
  • Création d'une retraite par répartition le 15 Mars 1941, Philippe Pétain declare: « Je tiens les promesses, même celles des autres lorsque ces promesses sont fondées sur la justice » sous l’égide d'un ministre du travail de la CGT R Belin, et de P Laroque et A Parodi. Tandis que Mr Belin continuera la collaboration, Mrs Laroque et Parodi quitteront ou seront congédié de ce gouvernement. En 1946, un système de retraite par répartition continue sous l'égide de ces deux derniers où l’on distribue aux personnes âgées de plus de 65 ans une retraite financée par les actifs.
  • En 1983, l’âge de la retraite est porté à 60 ans, c'est une décision politique progressiste qui diminue le pourcentage d'actif et augmente le besoin de financement annuel des retraites.
  • En 2003, les fonctionnaires peuvent prendre leur retraite dès 56 ans dès lors qu’ils ont travaillé 40 ans.
  • En 2010, l’âge de la retraite est repoussé de 60 ans 62 ans.
En 2019, il y a en France 3 millions de chômeurs et 26.6 millions d’actifs payes 35.976 euros bruts en moyenne. Cela représente un revenu brut de 957 milliards. Les retraités sont 16 millions avec un coût des retraites de 310 milliards par ans, soit 19.255 euros par retraité.

Electoralement, le groupe des retraités (16 millions), chômeurs (3 millions) et fonctionaires (6 millions) comporte 25 millions d'electeurs qui tirent leurs revenus de prélevements pbligatoires et le maintiennent par leur vote, contre 20 millions du travailleurs du privé qui doivent produire quelque chose que des clients décident d'acheter pour etre payés. On a franchi il y bien longtemps le seuil de l'electeur médian, avec les conséquences de convergence des revenus vers un niveau de subsistence caractéristique d'une societé ou la recherche de rente promet la meilleure rémunération.

Le coût de la retraite solidaire est donc de 32 % des salaires des actifs. Ces 32 % sont financés par les actifs qui payent 25 % de leur salaire pour financer la retraite des autres, les 7 % restant sont financés par la CSG.

Il y a donc là deux problèmes :
  • Pour les actifs : le poids des retraités est le double par rapport au 7 % à 15 % du système par capitalisation, 
  • Pour les retraités : ils ne touchent que 54 % de ce qu'ils toucheraient avec le système de capitalisation.
Les systèmes par répartition ne sont avantageux que dans des contextes de natalité élevée ou d’espérance de vie à la retraite limitée. La transition vers un système par capitalisation doit être envisagée quand l’espérance de vie augmente, ou quand la natalité est insuffisante.

Les Français sont forcés de cotiser à un système qui les mène à la pénurie.

Le Fantôme de Lord Keynes

La mise en place d'une retraite par répartition est aussi une manière de faire participer une plus grande population à la croissance du pays. C'est une mesure de stimulation par la consommation recommandée depuis les années 30 en cas de crise liée à une surcapacité productive.

La retraite par répartition aurait ainsi réduit la formation de capital en France et contribué à stimuler la demande pendant la reconstruction de l'Europe après 1945. Cet effet sur la consommation est d'autant plus efficace que les retraites sont modestes et donc sensibles à la stimulation.

La Suisse et les États-Unis ont aussi mis en place un minimum vital solidaire aidant la population la plus démunie à une stimulation de la consommation, mais les retraites dorées sont financées par capitalisation.

La transition semble nécessaire pour faire face à l'allongement de la durée de vie et la baisse de la natalité.

Fertilité et Espérance de Vie : Deux Facteurs Inexorables


La France compte maintenant 16 millions de retraites pour 26 millions d’actifs, soit 41 %. Il faudrait donc 5 enfants par femme en moyenne, ou bien que l'espérance de vie à l'age de la retraite diminue de moitié pour que le système par répartition soit mieux adapté que la capitalisation pour la démographie française.

La fertilité en France était aux alentours de 3 pendant les 30 glorieuses entre 1950 et 1970, avant de passer en dessous de 2 dans les années 70. On n’a jamais eu 4 enfants par femmes. L’espérance de vie à 65 ans est passée de 73 ans à 80 ans dans tous les pays développés, tandis que la cohorte de personnes atteignant l’âge de la retraite a fortement augmenté.


Quand Réformer : Histoire Française


L’augmentation du poids des retraites sur les actifs depuis 1945 est la conséquence de ces données démographiques. L’ensemble du dispositif français de sécurité sociale (assurance maladie et retraites) ne coûtant que 3 % du PIB de 1947 jusques 62 (selon l'Insee en 1968). Il apparaît que la France a laissé passer une opportunité de réforme entre 1962 et 1968.

Pouvait-on espérer avant 1968 que la croissance paierait la dette sociale ?

En pratique, la croissance de la France et de l'Allemagne pendant les trente glorieuses était beaucoup plus élevée que celle des États-unis et de l'Angleterre en raison de son PIB par habitant bien inférieur pendant la reconstruction. L'effet de ces politiques Keynésiennes semblait être de garantir une croissance de 8 % au-dessus de l'inflation. Qui peut dire quelle eut été la croissance si on favorisait l'investissement plutôt que de stimuler directement la consommation durant cette période ?

Cette question pouvait sembler alors indécidable. En théorie, on savait que les retraites augmentent avec le revenu par habitant et que la réforme était nécessaire.

On voit 50 ans plus tard que la France scellait un dispositif qui allait engendrer une sous compétitivité structurelle.
La vague de 1983 a déferlé 10 ans durant jusque son premier endiguement en 1993 avec la hausse de 37 à 40 trimestres de cotisation, puis 27 ans plus tard en 2010, l'âge passe à 62 ans. Les électeurs de 1981 se sont moins souciés de réforme que de faire payer tout se suite leur retraite par les générations futures. Nous recevons en héritage de cette génération la CSG et RDS, mises en place par M Rocard en 1991.

Contrairement à leurs électeurs, les politiciens qui ont pris ces décisions ont travaillé bien au delà de leurs 65 ans. Cette prodigalité relève plus de l'ambition de figurer parmi les grands hommes. Il fallait donc accorder au nom du progrès des bienfaits à la mesure de ceux du Front Populaire en 1936 et du programme des Jours Heureux du Conseil National de la Résistance en 1945.


La Main Invisible Qui Décide


La main invisible de la démocratie représentative mène t-elle la France à l'optimum social ? La théorie du choix public fait l'objet d'un billet le mois prochain.




A cause d'une espérance de vie courte, la France payait en 1962 la moitié du coût des retraites par capitalisation. Chaque actif en France paye maintenant 3 à 4 fois le prix qu'on paie à l'étranger. 

Une autre maniere d'aborder la question est l'emploi plutot que le cout de ces cotisation. Si les retraites étaient financées par 3% de cotisation en 45, c'est parce, comme s'en plaignait Mr Thorez, les pauvres mourraient a 65 ans alors que leur cotisations servaient a financer les retraites dorée des cols blancs peu nombreux qui vivaient longtemps. La retraite coute maintenant 27% du salaire parce qu'elle finance la cohorte des boomers, qui est en pleine forme. Il ne s'agit pas de regreter un age d'or imaginaire: le systeme exploitait les pauvres en 1945, il exploite maintenant les jeunes au bénéfices des boomers.

Au vu des données démographiques, il faut rehausser l’âge de la retraite ou baisser les pensions. L'alternative est la transition vers un système mixte plus efficace pour le financement des retraites. 

Lorsqu'ils sont sondés sur la question, les Français se déclarent pour une retraite plus tôt. Il sera intéressant de voir quel choix social sera fait par la societé francaise, une possibilité en effet est la baisse de qualité des soins, qui diminuerait l'esperance de vie et permettrait d'abaisser l'age de la retraite. 

Leur donnera t-on les moyens de prévoir et financer eux-mêmes cette retraite ou s'agit-il à nouveau de la faire financer par la génération à venir ?

Si il y a une grosse différence de pouvoir d'achat et de compétitivité entre cotiser 12% des salaires comme c’était le cas dans le années 60 et devoir cotiser 24% comme c'est le cas maintenant, qu'en sera t-il si ce poids passe à 50% avec 35 ans de vie active après des études jusque 25 ans, et 35 ans de retraite? 

Pour d'autres point de vue sur la retraite:



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