Politique d'Accession à la Propriété et Inégalité selon JR Collins



Comment des personnes qui gagnaient peu dans les années 80 sont devenus propriétaires rentiers a Londres, San Francisco, Hong Kong ? Par un concours de circonstances générationnel qui ne se reproduit que si certaines conditions sont remplies.

Dans son livre de 2017, Josh Ryan Collins nous invite à repenser l'économie de la propriété immobilière et du logement. Si le sujet a pu paraître ambitieux à son auteur, il se concentre principalement sur l'évolution de la propriété immobilière au Royaume-Uni. Une évolution similaire a en effet eu lieu dans beaucoup de pays suite à la baisse des taux et aux incitations fiscales faisant de l'immobilier une niche d'investissement particulièrement attrayante.

Il ne s'agit pas d'un phénomène structurel d'accumulation capitaliste des profits par l'exploitation des travailleurs, mais de paris risqués dans les années 1985-2005 qui réussirent là ou les circonstances économiques et fiscales étaient les plus propices. Ces preneurs de risques ont bénéficié de ce développement urbain tandis que les locataires aisés qui s'installent dans ces villes doivent consacrer une part importante de leur revenus aux loyers.



Histoire de la Propriété Immobilière


Collins commence par une analyse de l'historique de la propriété en Angleterre : le mouvement des enclosures au 16e siècle transforme des champs communs en propriété privée. A l'époque des économistes classiques, la valeur immobilière procède de la fertilité et du rendement agraire des sols. Ce droit de propriété est important pour le développement comme l'explique De Soto car il permet aux exploitants d'emprunter pour développer leur activité.

Selon Collins, le droit de propriété libère en tant qu'il permet le développement. Puis, reprenant en cela l'argument des communistes les plus durs, l'auteur dit que ce droit constitue un vol dans la mesure ou il dépouille les autres du droit à une parcelle de terrain qui ne peut pas être recréé par l'industrie et dont il a l'usage exclusif. Il s'agit d'une redéfinition : le vol correspond à un transfert de propriété ou on dépouille l'autre sans son accord. Un transfert de propriété qui se fait dans le cadre d'un accord des deux parties est plus légitime.

Avec la révolution industrielle, la richesse se concentre dans l'industrie et le terrain se trouve relégué au second plan derrière l'investissement en bâtiment d'usines et en machinerie. Il n'est plus différencié des autres formes de capital tangible par les économistes néo-classique et se retrouve dans l'agrégat PP&E (property, plant & equipment).

En 1879, Henry George publie Progrès et Pauvreté, un livre qui propose de taxer la propriété de terrain et de ressources naturelles afin d'éviter l'extraction de rente. Ce livre participera au début de l'ère progressiste, mais ce n'est pas finalement sa proposition qui sera retenue et un impôt sur le revenu beaucoup plus complexe que l’impôt sur la propriété sera mis en place. Selon Collins, la proposition de Henry George était préférable.

La social-démocratie et la reconstruction après la seconde guerre mondiale conduiront à une augmentation significative de la part du logement social public jusque dans les années 70. Ce système de logement social devait correspondre à une subvention collective des moins fortunes. En pratique, certains de ces locataires font partie du décile P90, des plus hauts revenus. On évite de faire partir les riches car la mixité sociale et la présence de familles en ascension sociale est très importante pour donner l'exemple.

Cependant, dans les années 60 et 70, différents avantages fiscaux sont créés en faveur des propriétaires de résidence principale. Il s'agit de l'exemption de plus-values, de l'exemption des intérêts d'emprunt, et la part des propriétaires occupants augmente dans la population.

À Part Peut-être Madame Thatcher...


À partir des années 80, le gouvernement Thatcher offre aux locataires sociaux la possibilité d'acheter leur appartement. Les plus riches locataires sociaux en profitent tout de suite.

Les prêts immobiliers que seules les "building societies" (sociétés mutualistes de financement immobilier) pouvaient accorder sur des critères conservateurs ont été dérégulés. Ils subissent la concurrence des banques qui causent la diminution de l'apport initial. Enfin, la baisse des taux, phénomène mondial, va accélérer le mouvement d'accession à la propriété.

La conséquence de cette politique est que l'électeur médian en Angleterre n'est plus un locataire mais un propriétaire, et cela change tout quant à l'agenda fiscal poussé par les politiciens.

Financiarisation et les Années 90


Après la crise de 1992, qui avait culminé avec des taux à 15 % dans un pays ou les taux des prêts sont flottant, les taux n'ont fait que baisser. Cela a nourri une hausse constante des prix immobiliers de 1992 à nos jours.

En 1997, la relocalisation dans la City de nombreux professionnels des marches financier de la zone Euro a contribué à améliorer nettement la solvabilité de la demande locative à Londres.

Cela s'est traduit par ce que l'ancien gouverneur de la banque d'Angleterre Mervyn King appelait la décade "NICE" (No Inflation, Continuous Expansion). L'auteur explique comment chaque nouvelle vente de la même maison à un prix plus élevé se traduit par un crédit et donc une création monétaire qui est réinjectée dans l'économie et nourri la croissance au profit des propriétaires.

Dès la fin des années 90, La financiarisation poussée du crédit immobilier par la titrisation pousse les créances hors bilan et permet aux banques d'émettre encore plus de prêts.

Extraction de Rente : Un Phénomène Limité ?


Les économistes classiques distinguaient comme revenus le salaire, les profit et la rente comme revenus du travail, du commerce et de l'industrie, et de la propriété. Contrairement aux deux autres, la rente a mauvaise presse en général car elle ne correspond pas à une activité. Elle est nécessaire cependant pour fournir un revenu aux inactifs. Par exemple, les retraités français sont des rentiers qui extraient leur rentes des cotisations payées par les actifs.

En 1996, la ville de Londres me semblait bien pauvre, les toilettes de mon hôtel 4 étoiles n'avaient pas été rafraîchis depuis 50 ans. Je m'y suis installé en 97. Je pensais qu'il était trop risqué d'acheter avec un taux flottant dans une devise qui n'avait pas la stabilité de l'Euro. En 1999, un propriétaire me faisant visiter un appartement dans un quartier "en développement" m'expliquait dans un anglais approximatif que c'était la quatrième propriété qu'il venait d'acheter, et que la gentrification était telle qu'il n'aurait plus jamais besoin de travailler. En 2001, c'est un voiturier qui me tient le même discours et qui lui possède 3 maisons. En 2005, c'est un parent d'élève qui me dit qu'il a arrêté de travailler depuis qu'il s'est rendu compte qu'il gagnait plus d'argent grâce à la hausse de l'immobilier Londonien qu'en travaillant pour un salaire.

Lorsque l'on analyse les inégalités dans ce pays on distingue donc les propriétaires qui ont pris des risques dans les années 80-90, investissant à taux flottant avec un levier de 20 ou 30, et d'autre part des locataires qui se sont contentés de leur salaire et qui sont en fin de compte bien plus pauvres, et qui étaient amplement taxes sur les revenus de leurs économies.

Alors qu'un travailleur de la City était aisé à Londres entre 1997 et 2006, ceux qui y travaillent à présent ont du mal à faire face aux dépenses avec leur salaire. La fiscalité de l'immobilier a permis aux preneurs de risques de se constituer une rente aux dépens de la fine fleur diplômée des meilleures universités du continent qui vient travailler dans cette ville.

L'ouvrage de Mr Collins a vocation universelle, mais son analyse est spécifique aux villes qui attirent des professionnels à hauts revenus. On pense aussi à San Francisco, ou Hong Kong. Un des mérites de cette analyse est de montrer que le phénomène immobilier Londonien que l'on pourrait croire aussi ancien que la ville s'est en fait déployé sur une période plutôt courte depuis la fin des années 80.

À Londres comme à Hong Kong ou San Francisco le cadre fiscal et réglementaire incitatif ont permis aux preneurs de risques de faire fortune alors que les taux baissaient et que cette ville attirait de plus en plus de professionnels à hauts salaires. La majorité de résidents habitant a tendance à voter pour moins de développement et pour limiter les nouvelles constructions.

Ce modèle va être plus difficile à reproduire ailleurs car les taux ne vont plus baisser de 10 % mais il convient de surveiller l'évolution de la fiscalité et la croissance démographique de long terme des villes où l'on pense investir.



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