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Toqueville: aristocrate libéral "modéré" soutien de l'impôt progressif et du suffrage universel |
1. L’approche libérale et des Lumières : 1789 bien, 1793 mal
Thèse centrale : La Révolution était légitime en 1789 (Déclaration des droits de l’homme), mais a dégénéré avec la Terreur (1793-1794).
Auteurs clés :
- Alexis de Tocqueville (L’Ancien Régime et la Révolution, 1856) :
- La Révolution a achevé la centralisation monarchique plutôt que de la renverser.
- Critique de la démocratie jacobine, trop égalitariste et despotique.
- François Furet (Penser la Révolution française, 1978) :
- La Terreur n’était pas un accident, mais une conséquence logique de l’idéologie révolutionnaire.
- Rejet de l’idée marxiste d’une "révolution bourgeoise".
- Benjamin Constant (De la Terreur, 1797) :
- Défend les libertés individuelles contre l’État jacobin.
Citation emblématique (Tocqueville) : "La Révolution a perfectionné la puissance de l’État bien plus qu’elle ne l’a détruite."
2. L’approche socialiste et marxiste : 1793 bien, Thermidor mal
Thèse centrale : La Révolution était un processus de lutte des classes ; la Terreur était nécessaire, mais trahie par Thermidor (1794).
Auteurs clés :
- Jean Jaurès (Histoire socialiste de la Révolution, 1901-1904) :
- La Révolution a été portée par le peuple, mais la bourgeoisie a confisqué ses gains.
- Albert Mathiez (La Révolution française, 1922-1927) :
- Défend Robespierre et la Terreur comme moyens de sauver la Révolution.
- Georges Lefebvre (Les Paysans du Nord, 1924) :
- Montre comment la paysannerie a été un acteur autonome de la Révolution.
- Albert Soboul (Les Sans-Culottes parisiens, 1958) :
- Étudie le mouvement populaire comme préfiguration des luttes ouvrières.
Citation emblématique (Mathiez) : "La Terreur n’était pas un système de gouvernement, mais une arme de guerre civile."
3. Les analyses institutionnelles : continuité et formation de l’État
Thèse centrale : La Révolution n’a pas tout changé ; elle a accéléré des processus déjà engagés sous la monarchie.
Auteurs clés :
- Alexis de Tocqueville (déjà cité) :
- Montre comment l’administration centralisée de Napoléon prolonge l’Ancien Régime.
- Charles Tilly (La France conteste, 1986) :
- La Révolution a renforcé le monopole étatique de la violence (écrasement des Chouans).
- Pierre Rosanvallon (L’État en France, 1990) :
- Étudie comment la Révolution a inventé la citoyenneté moderne.
Citation emblématique (Tocqueville) : "La Révolution a continué l’œuvre de la monarchie avec d’autres moyens."
4. Les analyses psychologiques : foules, terreur et mentalités
Thèse centrale : La violence révolutionnaire s’explique par des dynamiques de groupe et des peurs collectives.
Auteurs clés :
- Gustave Le Bon (La Révolution française et la psychologie des révolutions, 1912) :
- La Terreur est le produit de foules irrationnelles et de meneurs manipulateurs.
- Hippolyte Taine (Les Origines de la France contemporaine, 1875) :
- Dénonce la "barbarie" jacobine comme une régression mentale.
- Michel Vovelle (La Mentalité révolutionnaire, 1985) :
- Analyse les croyances et peurs qui ont alimenté la violence.
Citation emblématique (Le Bon) : "Les foules révolutionnaires obéissent à des impulsions et non à la raison."
Enseignement scolaire républicain, évolution
La Révolution française occupe une place centrale dans le récit national enseigné par l’Éducation nationale. Cette vision, souvent qualifiée de "républicaine", a été façonnée par des historiens engagés et a évolué au gré des débats politiques et scientifiques.
1. Les fondateurs du récit républicain (XIXe siècle)
A. Jules Michelet (1798-1874)
Œuvre clé : Histoire de la Révolution française (1847-1853) Apport :
- Une Révolution "peuple" : Michelet en fait l’acte fondateur de la nation française, porté par le peuple (et non seulement les élites).
- Dimension mystique : Il décrit 1789 comme une "renaissance" de la France, presque sacrée. Postérité : Son récit romantique influence l’école républicaine, qui en fait un modèle d’unité nationale.
B. Alphonse Aulard (1849-1928)
Œuvre clé : Histoire politique de la Révolution française (1901) Apport :
- Premier titulaire d’une chaire d’histoire de la Révolution à la Sorbonne (1885).
- Défense de Danton contre Robespierre, vu comme un modéré face aux excès de la Terreur. Impact scolaire : Son manuel La Révolution française et le régime féodal (1919) a été utilisé dans les écoles jusqu’aux années 1950.
2. L’école républicaine et l’apogée du roman national (IIIe République)
Sous la IIIe République (1870-1940), la Révolution devient le socle de l’identité française, enseignée comme :
- Un progrès inéluctable (contre l’Ancien Régime).
- Une lutte pour la liberté et la raison (héritage des Lumières).
- Un modèle d’émancipation universelle (droits de l’homme, laïcité).
Auteurs marquants :
- Ernest Lavisse (1842-1922) :
- Ses manuels scolaires (années 1880-1910) présentent la Révolution comme l’aboutissement de l’histoire de France.
- Citation typique : "La Révolution a fait de tous les Français des citoyens égaux."
- Charles Seignobos (1854-1942) :
- Met l’accent sur les institutions nouvelles (Constitution de 1791, suffrage).
3. Les remises en cause et évolutions (XXe-XXIe siècles)
À partir des années 1960, le récit républicain traditionnel est contesté :
A. La critique marxiste (années 1950-1970)
- Albert Soboul et Georges Lefebvre intègrent les programmes scolaires, insistant sur les luttes sociales (sans-culottes, paysans).
- Mais : Leur vision est progressivement attaquée par les libéraux (Furet).
B. Le tournant Furet (années 1980-2000)
- François Furet (Penser la Révolution française, 1978) déconstruit le "roman national".
- Impact scolaire : Les manuels des années 1990-2000 présentent désormais une Révolution controversée, avec des débats sur la Terreur.
C. Approches récentes (depuis 2000)
- Mémoire et diversité :
- La question coloniale (esclavage, révoltes antillaises) est intégrée.
- Le rôle des femmes (Olympe de Gouges, Théroigne de Méricourt) est mieux étudié.
- Manuels actuels :
- Moins de linéarité, plus de multiplicité des perspectives (ex. : la Contre-Révolution, la Vendée).
- Utilisation de documents contradictoires (discours de Robespierre vs témoignages de victimes).
4. La Révolution dans l’enseignement aujourd’hui
Ce qui reste du récit républicain classique :
- 1789 comme fondation (Déclaration des droits, abolition des privilèges).
- La République comme aboutissement (malgré les détours impériaux).
Ce qui a changé :
- La Terreur n’est plus justifiée : elle est présentée comme un problème moral et politique.
- Moins de héros, more de débats : Robespierre n’est plus un "saint laïc", Napoléon n’est plus seulement un génie.
- Histoire globale : La Révolution est reliée aux révoltes atlantiques (Haïti, États-Unis).
La Révolution française, une mosaïque d’interprétations
La Révolution de 1789-1799 n’est pas un événement historique figé, mais un miroir où chaque génération projette ses interrogations. Quatre grands récits s’affrontent, révélant autant de visions de la société :
- Le récit libéral (Tocqueville, Furet) voit dans la Révolution une tragédie des bonnes intentions : l’élan de 1789, légitime, aurait été perverti par la Terreur, preuve des dangers de l’égalitarisme radical.
- Le récit marxiste (Jaurès, Soboul) y décèle une lutte des classes inachevée, où la Terreur fut un outil nécessaire, trahi par la bourgeoisie thermidorienne.
- Le récit institutionnel (Rosanvallon, Tilly) souligne les continuités cachées : la Révolution n’a pas tant détruit l’Ancien Régime qu’accéléré sa centralisation, préparant l’État napoléonien.
- Le récit psychologique (Le Bon, Taine) explore l’irrationnel des foules, rappelant que les idéaux peuvent engendrer la violence quand la peur et le fanatisme prennent le pouvoir.
Un enseignement en tension
À l’école, cette pluralité se reflète dans un enseignement tiraillé entre deux pôles :- La tradition républicaine, héritière de Michelet, célèbre 1789 comme l’acte de naissance de la citoyenneté moderne.
- L’approche critique, influencée par Furet, insiste sur les ambiguïtés, des massacres de Vendée aux contradictions de la Terreur.
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