2025-08-02

Jésuites : comment l’Église a perdu le contrôle de l’école française

Voici une chronologie des relations entre l'État et l'Église en France, depuis l'arrivée des Jésuites jusqu'au XXIe siècle, avec un focus sur leur rôle éducatif et les grands tournants politico-religieux.

Le très gallican Richelieu utilisera les jésuites ultramontains
Image: Siège de la Rochelle - Henri Motte, wikicommons



I. L'implantation des Jésuites et leur apogée (XVIe-XVIIe siècles)

  1. 1540 : Fondation de la Compagnie de Jésus (reconnaissance papale).
  2. 1563 : Création du Collège de Clermont (futur Louis-le-Grand) à Paris.
  3. 1604 : Henri IV officialise leur présence en France - développement rapide des collèges (La Flèche, Bordeaux...).
  4. 1618 : Le Collège de Clermont devient Collège Louis-le-Grand (sous Louis XIII).
  5. 1638-1682 : Âge d'or des collèges royaux jésuites :
    • Formation de l'élite administrative et noble.
    • Opposition aux jansénistes (fermeture de Port-Royal en 1660).
  6. 1713 : Louis XIV soutient la bulle Unigenitus contre le jansénisme, s'appuyant sur les Jésuites.


II. Le tournant anti-jésuite et la Révolution (XVIIIe siècle)

  1. 1762 : Le Parlement de Paris expulse les Jésuites (accusés d'ultramontanisme).
  2. 1764 : Louis XV généralise l'expulsion - confiscation de leurs biens (dont 105 collèges).
  3. 1773 : Suppression mondiale de la Compagnie par le pape Clément XIV.
  4. 1789-1799 : Révolution française :
    • 1790 : Constitution civile du clergé (nationalisation des biens d'Église).
    • 1792-1799 : Déchristianisation violente (destruction d'églises, culte de la Raison).

III. Le XIXe siècle : Retour des Jésuites et guerres scolaires

  1. 1801-1802 : Concordat napoléonien - rétablissement du culte catholique mais sous contrôle étatique.
  2. 1814 : Pie VII rétablit la Compagnie de Jésus.
  3. 1828 : Loi Martignac limite leur enseignement (petits séminaires seulement).
  4. 1850 : Loi Falloux - les congrégations retrouvent une place dans l'enseignement.
  5. 1880-1904 : Offensive laïque :
    • 1882 : Lois Ferry (école gratuite, laïque, obligatoire).
    • 1901 : Loi sur les associations (dissolution des congrégations non autorisées).
    • 1904 : Interdiction totale de l'enseignement aux congrégations.

IV. Le XXe siècle : De la séparation aux compromis

  1. 1905 : Loi de séparation des Églises et de l'État.
  2. 1914-1940 : Assouplissements :
    • 1914 : Autorisation des aumôneries militaires.
    • 1921 : Rétablissement des relations avec le Vatican.
  3. 1940-1944 : Régime de Vichy - retour des congrégations enseignantes.
  4. 1959 : Loi Debré - financement public des écoles catholiques sous contrat.
  5. 1984 : Abandon du projet Savary (nationalisation de l'enseignement catholique) après manifestations.

V. Le XXIe siècle : Nouvelles tensions laïques

  1. 2004 : Loi sur les signes religieux à l'école (interdiction du voile).
  2. 2016 : Extension de la laïcité aux universités.
  3. 2021 : Loi contre le séparatisme - contrôle accru sur l'instruction à domicile.

Focus : Les collèges jésuites en dates clés

PériodeÉvénement
1563-1604Implantation des premiers collèges (Clermont, La Flèche).
1604-1762Réseau éducatif dominant (40 000 élèves en 1750).
1762-1814Disparition (biens transférés aux Oratoriens ou aux universités).
1814-1904Retour progressif mais limité (loi Falloux en 1850).
Depuis 1959Intégration dans le système éducatif sous contrat (loi Debré).



Les Jésuites, révélateurs des tensions entre pouvoir politique et religieux


L’histoire des Jésuites en France est bien plus que celle d’un ordre religieux : c’est une clé de lecture des rapports tumultueux entre l’Église et l’État. Tour à tour instrument du pouvoir royal, bouc émissaire des Lumières, puis symbole des compromis de la laïcité, leur trajectoire reflète les métamorphoses de la société française.

Trois actes pour une saga nationale

  • L’âge d’or (XVIe–XVIIIe siècles) : Alliés des rois, les Jésuites deviennent les éducateurs de l’élite et les gardiens de l’orthodoxie catholique, jusqu’à incarner l’union du trône et de l’autel. Leur expulsion en 1762 marque un premier basculement : l’État, sous influence des Lumières, affirme sa primauté sur l’Église.
  • Le long exil (1762–1814) : Supprimés globalement en 1773, leur retour post-Napoléon s’accompagne de méfiance. Le XIXe siècle est celui des guerres scolaires, où leur réinsertion (loi Falloux, 1850) provoque la contre-offensive laïque (lois Ferry, 1882).
  • L’intégration paradoxale (XXe–XXIe siècles) : La loi Debré (1959) scelle un pacte inattendu : l’État finance des écoles catholiques… à condition qu’elles servent le « service public ». Aujourd’hui, les Jésuites naviguent entre héritage religieux et adaptation à une société sécularisée.

Une question toujours ouverte

Les débats récents (loi de 2021 contre le « séparatisme ») montrent que la question scolaire n’est pas close. Les Jésuites, désormais minoritaires dans un paysage éducatif dominé par le public, incarnent-ils un modèle dépassé ou une alternative pertinente face aux défis de l’éducation ? Leur histoire suggère une leçon : en France, toute coexistence entre Église et État repose sur un équilibre fragile, sans cesse à réinventer.

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